Titre II. Le service public de la justice

On entend par service public le fait que rendre la justice est une fonction régalienne, c'est-à-dire une fonction qui n'appartient en principe qu'à l'État. Il y a un monopole étatique sur la justice.

C'est le principe, mais comme souvent en droit, nous verrons que ce principe connaît un certain nombre d'exceptions.

La justice est en principe un monopole d'État et ce sera l'objet du premier chapitre. Dans un second chapitre, nous envisagerons les caractères de ce service public : l'égalité devant la justice, une justice gratuite, une justice impartiale, une justice collégiale, indépendante.

Chapitre I. Le monopole étatique

Nul ne peut se rendre justice à soi-même : la justice privée n'est pas la logique du système judiciaire français. Et cela paraît difficilement conciliable avec l'idée d'un service public qu'il puisse y avoir une justice privée, et donc, en principe, il y a un monopole étatique sur la justice. Mais il y aura des exceptions à ce principe.

Section 1. Le principe du monopole

Pour comprendre cette question du monopole étatique sur la justice, il faut comprendre deux notions complémentaires, très importantes, dans la fonction de juger.

La justice a toujours été considérée comme un attribut de la souveraineté, auparavant qui appartenait au roi, qui aujourd'hui, donc, appartient à l'État - pensez à Saint Louis qui rend la justice sous le chêne, etc. Rendre la justice, c'est une fonction régalienne qui n'appartient qu'à l'État.

Il faut bien distinguer, cependant, dans l'idée de rendre la justice, deux notions : la juridictio, en latin, et l'imperium, deux prérogatives.

Quand on possède la juridictio et quand on possède l'imperium, cela signifie que l'État a le monopole de la violence.

On dit que l'État a le monopole sur la justice car l'État est le seul organe qui dispose de ces deux pouvoirs, à la fois la juridictio, il peut dire le droit, et à la fois l'imperium, les décisions qu'il rend. Alors, ce n'est pas l'État qui rend les décisions comme ça, ce sont bien sûr les divers organes judiciaires, donc les juridictions, mais qui représentent l'État. L'État est le seul à pouvoir dire le droit, juridictio, et c'est le seul dont les décisions sont dotées de l'imperium, c'est-à-dire de la force exécutoire.

Quand on a une décision de justice, c'est un titre exécutoire, on peut demander à ce qu'elle soit appliquée. L'État a le monopole étatique sur la justice, il peut dire le droit et il peut faire exécuter ses décisions de justice.

Les conséquences de ce monopole étatique, c'est qu'en principe, aucune autre autorité n'a le pouvoir de rendre la justice. Et c'est très important parce qu'il y a des juridictions qui semblent rendre la justice.

Par exemple, il existe des juridictions religieuses. Il y a des tribunaux ecclésiastiques qui sont présidés par les évêques de France ou des juridictions qu'on appelle le Beth Din, des juridictions judaïques. Ce sont, selon les différentes religions, des juridictions, mais elles ne rendent pas la justice au sens du monopole étatique parce que ces décisions, évidemment, sont considérées comme du pur fait et pas comme du droit, en tout cas par les tribunaux français.

La seconde conséquence du monopole étatique, c'est que si seul l'État peut rendre la justice, cela a pour conséquence que l'État est tenu de rendre la justice. Il est tenu de rendre la justice, c'est-à-dire qu'il ne peut pas dire « ah ben non, moi je ne décide rien en cette affaire », c'est-à-dire faire un déni de justice. L'État (i.e. les juridictions étatiques) est obligé de se prononcer, les juridictions étatiques sont tenues de trancher les conflits qu'on leur soumet. C'est le fameux article 4 du Code civil.

Section 2. Les modes alternatifs de règlement des différends

Ce monopole peut présenter des exceptions; ces exceptions sont mises sous une bannière commune, une appellation qu'on appelle les modes alternatifs de règlement des différents (mardes).

Les mardes, ce sont donc des façons de régler un différent, mais en dehors de la justice étatique. Certains de ces modes sont juridictionnels, cela veut dire qu'ils ont la juridiction, dont l'exemple le plus connu est l'arbitrage. Mais il existe des modes non juridictionnels de règlement des conflits. Ce sont tous les procédés par lesquels on cherche à échapper au juge en essayant de régler le problème en amont avant d'arriver devant le juge par différentes manières de concilier les parties entre elles, soit qu'elles se concilient toutes seules, soit avec l'aide d'un tiers.

L’arbitrage (mode juridictionnel)

C'est un mode juridictionnel parce que l'arbitre dispose de la juridiction, c'est-à-dire qu'il peut dire le droit. En revanche, il ne dispose pas de l'imperium. Ses décisions n'ont pas la force exécutoire, contrairement aux décisions rendues par la justice étatique.

L'arbitrage est une forme, finalement, de justice privée. L'arbitre, c'est un juge privé qui est choisi par les parties et qui va trancher le conflit entre les parties à la suite d'un contrat qu'on appelle le compromis d'arbitrage ou d'une clause qui figure dans le contrat, une clause compromissoire, qui va instaurer la procédure d'arbitrage et qui va trancher le litige à la place de la justice étatique.

L'arbitrage peut présenter certains avantages. La justice judiciaire se fait sur un temps longs, les tribunaux sont encombrés, donc l'arbitrage peut aller plus vite. L'arbitrage aussi peut être plus discret parce que c'est une procédure plus secrète alors que la justice étatique est une justice publique.

L'arbitrage présente aussi des inconvénients, notamment parce que c'est une procédure qui est extrêmement coûteuse pour les parties. Il faut payer l'arbitre et, en principe, c'est assez coûteux.

Il y a aussi un certain nombre de conditions pour recourir à un arbitrage. D'abord, il faut que les parties soient d'accord, d'accord pour renoncer à la justice étatique et pour choisir de soumettre leur litige à un arbitre. La deuxième condition, c'est que l'arbitrage n'est possible que dans certaines matières, des matières qu'on dit arbitrables, c'est-à-dire dans lesquelles un arbitrage peut intervenir.

Et ce sont des matières, en principe, dont les parties ont la libre disposition, et notamment les matières commerciales. Dans les matières de commerce international, par exemple, l'arbitrage est extrêmement développé.

Mais il y a des matières, comme les matières extra-patrimoniales, comme les questions de filiation ou de divorce, qui ne sont pas arbitrales : on ne peut pas divorcer devant un arbitre, il faut en passer par la justice étatique.

Dernière condition, c'est que, bien cette justice soit privée, on a instauré un certain nombre de garanties, et notamment, l'arbitre doit respecter, comme devant la justice étatique, les droits de la défense, c'est-à-dire préserver les droits de chacune des parties qui se présentent devant lui, afin de garantir que la sentence arbitrale, c'est le nom de la décision que l'arbitre rend, soit impartiale.

Cette sentence arbitrale, c'est la juridiction de l'arbitre, il peut dire le droit, mais cette décision, en revanche, n'est pas dotée de la force exécutoire. Pour qu'elle soit dotée de la force exécutoire, il faudra faire revêtir la sentence arbitrale de ce qu'on appelle l'exequatur.

L'exequatur, c'est donner la force exécutoire à la sentence arbitrale, mais seul un juge étatique peut le faire.

C'est la limite de la justice privée qui, finalement, à la fin du cheminement, a besoin d'un juge, mais seulement si la décision n'est pas exécutée volontairement par la partie qui doit l'exécuter.

C'est donc une exception au monopole étatique, mais c'est une exception partielle, parce que dans l'arbitrage, l'arbitre a la juridictio, mais pas l'imperium. L'imperium est toujours confié, même dans l'arbitrage, au juge étatique.

Les modes non juridictionnels

Ce n'est pas vraiment une exception, mais plutôt un tempérament au monopole étatique, parce que ce sont les modes non juridictionnels de règlement des conflits.

Par hypothèse, ces modes non juridictionnels ne disposent ni de la juridiction, donc ni du pouvoir de dire le droit, ni de l'imperium, c'est-à-dire ni de la force exécutoire.

On peut se demander à quoi cela sert, finalement, si on tranche un litige, et qu'on ne peut pas dire le droit, et qu'il n'y a pas de force exécutoire à la décision. Il faut se replacer dans l'idée d'encombrement des tribunaux et de phénomène de déjudiciarisation. L'idée qu'il faut retirer du contentieux au magistrat, parce qu'on n'a pas les moyens personnels ni financiers d'assumer la masse de contentieux.

On va donc favoriser d'autres modes de règlement des litiges pour essayer que le contentieux ne parvienne jamais devant le juge, on va chercher à éteindre le litige, plutôt qu'à le trancher.

C'est une justice qui est considérée comme plus douce, plus contractuelle, plus transactionnelle, moins imposée, évidemment, que la justice étatique. Dans ces modes non juridictionnels de règlement des conflits, on trouve deux types.

Il y a donc une véritable faveur des dernières politiques en matière de procédure, des dernières lois en matière de procédure pour ces différents modes alternatifs de règlement des litiges qui tendent donc à rapprocher les parties et à trouver une solution à l'aide d'un tiers.

Chapitre II. Les caractères du service public de la justice

Ce service public doit présenter certains caractères qui sont fondés sur les principes fondamentaux posés par les lois des 14 et 26 août 1790. Pour rendre une justice de qualité, il faut respecter un certain nombre de principes, des principes qui sont issus de la Révolution Française.

Ces règles, ces principes fondamentaux constituent véritablement la colonne vertébrale d'un système judiciaire qui soit ambitieux et de qualité. Ces règles sont intangibles, elles ne sont pas négociables et elles sont vraiment au fondement de notre organisation. C'est pour ça qu'on peut les considérer véritablement comme des principes fondamentaux.

Il s'agit de l'égalité devant la justice, de la gratuité, de l'indépendance, de l'impartialité des magistrats, du caractère public de la justice ou encore de la continuité de la justice ou de sa collégialité.

Section 1. L’égalité

Sous l'Ancien Régime le juge variait selon le corps social auquel appartenait le justiciable : si l'on était noble, on était jugé par des juridictions nobles, sénioriales; si l'on était du clergé, on relevait des juridictions ecclésiastiques; si on provenait du tiers état, on relevait encore d'autres juridictions. Donc selon le statut social, on avait une juridiction qui nous correspondait.

Cette façon de faire créait une inégalité devant la justice, parce qu'on pouvait imaginer qu'un noble qui jugeait un autre noble avait un parti pris, sans doute, pour le noble contre l'autre personne. Ces privilèges de juridiction ont été abolis lors de la Révolution Française.

Et cette abolition, on la retrouve à la fois dans la Déclaration des Droits de l'homme et des citoyens de 1789, mais aussi dans la loi des 16 et 24 août 1790, et même dans un traité international, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques des Nations Unies du 16 décembre 1966, qui interdit aussi tout privilège de juridiction.

Ainsi, il y a une égalité pour tous devant la justice, égalité entre les justiciables devant la justice. Mais pour que cette égalité devant la justice soit respectée, en réalité, il faut s'arranger pour que trois principes soient respectés.

D'abord, il faut que tous les justiciables soient jugés par les mêmes juges, par des juges identiques. Il faut aussi qu'ils soient jugés selon des formes identiques. Ce sont les deux principes fondamentaux pour préserver finalement l'égalité de tous devant la justice. Néanmoins, il demeure, certains obstacles à cette égalité pour tous devant la justice.

Des juges identiques

Il ne faut qu'aucune discrimination fondée sur la qualité de la personne ne soit possible : qu'on soit chef d'entreprise, qu'on soit professeur d'université ou qu'on soit boulanger, si l'on divorce, on va tous devant le même juge.

Il n'y a pas de différence entre les personnes et entre les juges : c'est l'interdiction du privilège de juridiction.

Cela n'empêche pas d'instaurer au sein du système judiciaire et d'assurer quand même l'égalité pour tous devant la justice, d'instaurer des juridictions spécialisées, et d'ailleurs il existe en France, dans l'ordre juridictionnel judiciaire français, des juridictions spécialisées qui concernent certaines matières.

Mais il y a une différence fondamentale parce que la juridiction spécialisée ne dépend pas de la qualité de la personne, qu'elle soit noble ou ecclésiastique, mais elle dépense de la matière qui est à la base du conflit.

Il faut néanmoins ajouter une juridiction spécialisée, particulière, qui ne tient pas cette fois-ci à la matière, mais qui tient bien à la personne du justiciable, qui est une exception quant à la non discrimination selon la qualité de la personne : c'est la justice pour les mineurs.

Il y a une discrimination en France entre la justice pour les majeurs et la justice pour les mineurs, parce que les mineurs ont besoin d'une protection particulière, et donc il y a une justice, et notamment une justice pénale des mineurs, qui est propre à cette catégorie de personnes en raison de la protection qui les nécessaire d'accorder à ces mineurs.

Des formes identiques

L'égalité devant la justice passe par la forme même du procès. Cette idée est théorisée sous le nom de l'égalité des armes entre les parties au procès. Cela signifie que chaque partie au procès doit être placée dans une égalité procédurale.

Par exemple, si une partie est totalement privée de l'accès aux pièces du dossier, alors que l'autre partie, elle, a l'accès à toutes les pièces, la partie qui n'a pas accès aux pièces ne va pas pouvoir se défendre aussi bien que la partie qui a accès à toutes les pièces.

Cela permet de comprendre pourquoi l'égalité procédurale est absolument primordiale pour assurer l'égalité des justiciables devant la justice.

Au-delà de l'égalité des armes, qui permet une égalité procédurale entre les parties, c'est l'idée que le procès doit respecter le principe du contradictoire. Les parties doivent avoir une égale connaissance des arguments et des pièces de l'autre, et qu'elles doivent pouvoir y répondre chacune. On peut répondre aux observations de l'autre, on peut répondre aux documents de l'autre, etc. Et c'est cette égalité procédurale qui permet d'assurer l'égalité devant la justice.

Les obstacles à l’égalité

Le principe de l'égalité pour tous devant la justice rencontre toujours, toujours à l'heure actuelle peut-être, de façon même exacerbée sur certains points, des obstacles.

Si, dans les principes, en théorie, l'égalité devant la justice est préservée, parce qu'on accorde des juges identiques, parce qu'il y a une égalité procédurale, d'un point de vue effectif, en pratique cette égalité est parfois mise à mal.

En effet, il y a des obstacles sociologiques. Il peut y avoir une barrière sociale qui existe entre le juge et les justiciables, et notamment dans des milieux plus modestes, on peut hésiter pour tout un tas de raisons, que ce soit des raisons financières, des raisons de méconnaissance.

On peut ne pas refuser finalement de saisir le juge pour tout un tas de raisons. Et finalement, ça rend les grands principes d'égalité, certes toujours beaux, mais assez peu effectifs en pratique : pour une certaine frange de la population, la justice reste assez mystérieuse et assez lointaine.

C'est pour ça qu'un certain nombre de procédés, de mesures, ont été adoptés pour essayer de rapprocher le justiciable de la justice. Cela peut se faire par exemple par la mise en place de maisons de justice et du droit qui vont informer les justiciables sur leurs droits, des informations juridiques sur leurs droits, sur la façon dont on peut saisir un tribunal, etc.

Il y a également le développement de procédures orales. Le principe devant les tribunaux, c'est qu'il y a une procédure écrite. Mais la procédure écrite nécessite le plus souvent le recours à un avocat, ou en tout cas lorsque l'assistance d'un avocat n'est pas obligatoire, de pouvoir manier le verbe et l'écrit de manière suffisante pour défendre son dossier, ce qui n'est pas à la portée de tout le monde. Et donc dans certains cas, on privilégie une procédure orale qui facilite la procédure, qui l'allège et qui permet de défendre son dossier parfois plus facilement.

Parfois aussi, on facilite la procédure en renonçant à l'assistance obligatoire d'un avocat. Ce n'est pas toujours un service rendu aux parties, mais encore une fois, le coût que peut représenter un avocat peut être un obstacle à la saisie d'un tribunal; si on peut se présenter seul et défendre seul son dossier plutôt qu'en ayant recours à un avocat, cela peut faciliter et lever les obstacles, et permettre d'assurer d'une certaine manière l'égalité devant la justice.

Il y a un dernier obstacle, et non des moindres, à l'égalité devant la justice, c'est la question du coût, la question du coût du procès : la justice est gratuite, ça ne veut pas dire qu'elle est peu coûteuse.

Section 2. La gratuité

À l'origine, le problème de la gratuité de la justice concerne la question du salaire du juge. La justice est considérée gratuite si on ne paye pas le juge. En France, la justice est dite gratuite justement parce que les plaideurs n'ont pas à payer le juge.

Il faut savoir que ça n'a pas toujours été le cas et qu'avant l'abolition des privilèges et de certaines règles au moment de la Révolution Française, il y avait un principe qu'on appelait la vénalité des charges de la judicature : à l'époque pour être juge, il fallait payer une charge, comme les notaires actuellement doivent acheter leur charge, leur étude notariale. À l'époque, on achetait une charge de juge, c'était donc assez coûteux pour la personne qui voulait devenir juge; en contrepartie il fallait qu'il soit payé, par les plaideurs.

Pour la petite anecdote, la somme qu'on versait aux juges à l'époque, donc avant la Révolution Française, sous l'Ancien Régime, on appelait ça les épices, parce qu'il était de coutume que le juge ne soit pas toujours payé en monnaie sonnante et trébuchante, mais parfois il était payé avec des dragées, des confitures, des vrais épices, qui, à l'époque, étaient des denrées rares, ou précieuses.

Au moment de la Révolution Française et lors de la nuit du 4 août 1789, on abolit la vénalité des charges. Les magistrats n'achètent plus leurs charges et on va s'installer dans un système où le juge sera in fine fonctionnaire comme il est aujourd'hui, c'est-à-dire payé par l'État et où le plaideur n'a plus à payer son juge.

Ainsi, la justice est bien gratuite en France. Néanmoins, dire que la justice est gratuite ne résout pas toutes les difficultés : en réalité, à côté de la question qui est certes très importante du salaire du juge, il y a d'autres frais qui sont générés par une action en justice, par un procès.

Ces frais reposent essentiellement sur les plaideurs, ce qui fait que cela pose un problème, une difficulté en termes d'accès à la justice.

Un exemple : vous achetez un ordinateur, un nouveau téléphone et le vendeur a inséré des clauses abusives dans le contrat ou il y a une pratique commerciale trompeuse. Votre ordinateur a coûté quelques centaines d'euros, peut-être quelques milliers d'euros. Est-ce que vous avez envie véritablement d'engager une action justice ? Certes, vous n'aurez pas à payer le juge, mais il va falloir payer l'avocat, il y a des frais supplémentaires et la question de l'utilité de dépenser autant d'argent (avocat, frais divers) pour finalement un litige qui lui n'est pas d'une somme très élevée. Il y a en réalité une question d'accès à la justice, parce qu'on peut se priver d'un procès en tenant ce raisonnement.

Donc même si la justice est gratuite au sens où on ne paye pas le juge, la question des autres frais qui sont engagés lors d'un procès sont extrêmement importants. Certaines personnes ne sont pas capables d'engager ces frais, n'ont pas les revenus nécessaires pour engager ces frais. L'État français a mis en place ce qu'on appelle une aide juridictionnelle qui permet aux gens qui n'ont pas les revenus suffisants d'accéder quand même à la justice.

La notion de frais et dépens

Les honoraires d'avocat

Au moment de la rencontre de l'avocat, les frais sont négociés. Les honoraires sont variables d'un avocat à l'autre, mais aussi en fonction du temps qui est nécessaire à consacrer au dossier. Ces frais d'avocats sont à la charge du plaideur, c'est-à-dire de celui qui l'engage en principe.

Les frais autres : émoluments, débours, taxes

Il y en a trois principalement, les émoluments, les débours et les taxes.

Les émoluments désignent tous les prix des actes de procédure. Lors d'un procès, il y a un certain nombre d'actes de procédure à faire, donc par exemple des actes d'huissier pour l'assignation, par exemple; il y a aussi des actes de rédaction de conclusion d'avocat. Ce prix est fixe, il est fixé par voie réglementaire et cela s'ajoute aux frais, aux honoraires d'avocats.

Les débours sont tout simplement le tarif du déplacement de l'avocat, les frais de déplacement des avocats.

En effet, si vous habitez une petite ville qui n'a pas de tribunal, l'avocat va devoir se déplacer; ou alors en cas d'appel, si la cour d'appel ne se trouve pas dans la ville de résidence, l'avocat doit s'y rendre : ses frais sont aussi à la charge du plaideur et il s'appelle les débours.

Les taxes sont les frais qui sont les plus discutables parce que l'État, donc le Trésor Public, perçoit sur un certain nombre d'actes des taxes. Par exemple, quand on introduit appel, donc quand on fait appel, il y a une taxe. Ces taxes sont souvent critiquées, d'une part parce que ce sont des impôts, mais aussi parce que c'est finalement un moyen de rendre la justice payante, là où on nous dit que la justice est en principe un service public gratuit.

Les dépens

Ces frais, émoluments, débours, taxes sont à la charge du plaideur, certes, mais il existe une règle particulière, c'est finalement qui supporte les frais à la fin : c'est la notion de dépens.

Les dépens, c'est l'ensemble des frais donc qui sont supportés par la partie perdante du procès. Il est, en principe, prévu par le code de procédure civile, c'est son article 696, que "la partie perdante est condamnée au dépens", c'est donc le principe, "à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge de l'autre partie".

Ainsi, il y a un principe : la partie qui perd le procès va, en fait, assumer les dépens, c'est-à-dire l'ensemble des frais que, mais que le juge, et il a un pouvoir souverain en la matière, a le moyen de moduler cette règle et en fait de répartir les dépens entre les deux parties et même de les mettre à la charge de la partie gagnante, le cas échéant.

L’aide juridictionnelle

Ces frais de justice peuvent être importants et certaines personnes, en raison de revenus limités, n'ont pas les moyens d'agir en justice, ce qui est extrêmement grave du point de vue de l'accès à la justice et cela suscite de graves difficultés. Et donc a été mis en place ce qu'on appelle l'aide juridictionnelle.

L'aide juridictionnelle est une institution qui permet à des personnes qui sont démunies, avec des ressources insuffisantes, d'être dispensées d'avoir à payer les frais et les honoraires des auxiliaires de justice pour plaider devant les tribunaux.

Les conditions

La première condition est une condition de ressources. Il y a un seuil qui est révisé chaque année et en deçà duquel l'aide juridictionnelle donc peut être obtenue. Par exemple, en 2020, l'aide juridictionnelle totale était accordée aux personnes qui gagnaient mensuellement moins de 1700 euros. Cela permettait une aide juridictionnelle totale.

Ensuite, il y a des seuils différents et on peut obtenir, si on gagne un peu plus que la somme indiquée, une aide juridictionnelle qui est simplement partielle et pas totale.

Cette première condition est une condition objective.

La deuxième condition est plus subjective car le bureau d'aide juridictionnelle, donc le bureau qui est en réalité chargé d'apprécier si la personne peut obtenir l'aide juridictionnelle doit apprécier si le plaideur, la personne qui demande l'aide juridictionnelle, a une demande en justice qui soit sérieuse. C'est assez difficile à évaluer parce qu'évidemment le bureau d'aide juridictionnelle ne peut pas se substituer au juge. Il ne peut pas dire "le plaideur a raison, il va gagner donc je lui accorde l'aide juridictionnelle", ou "il a tort, il va perdre donc je ne lui accorde pas l'aide juridictionnelle".

L'idée ici est juste de vérifier que la demande ne soit pas farfelue, totalement hors des clous, mais à partir du moment où la demande est un tant soit peu sérieuse, qu'elle est motivée, l'aide juridictionnelle peut être accordée.

Les effets

Une fois que ces deux conditions, conditions de revenu et conditions de sérieux de la demande, sont remplies, l'aide juridictionnelle est accordée. Le principal effet est que, lorsque le plaideur bénéficie de l'aide juridictionnelle, il va être dispensé d'avancer tous les frais liés au procès; ce n'est pas qu'il va payer et qu'on va le rembourser, il est dispensé d'avancer les frais, ce qui est beaucoup plus avantageux pour le plaideur et en termes d'accès à la justice. Il est donc dispensé des honoraires d'avocat, des émoluments, des débours, des dépens, de tous les frais qu'il était susceptible d'avoir à supporter.

Dans le cas où le plaideur de l'aide juridictionnelle gagne, c'est l'adversaire qui devra payer les frais et les dépens, mais au lieu de les verser au plaideur, qui n'a rien payé vu qu'il a été dispensé d'avancer les frais, le perdant devra rembourser le Trésor Public car c'est lui qui a avancé les fonds nécessaires au procès. Si le demandeur, celui qui a obtenu l'aide juridictionnelle perd son procès, normalement, la partie perdante doit payer les frais et les dépens - mais ici, il n'en a pas les moyens. Dans ce cas, le plus souvent, le tribunal va en réalité alléger les frais qui lui incombe et le gagnant, très souvent, même s'il a gagné, devra lui assumer les frais ou les dépens, en tout cas une grande partie de ses frais et dépens.

Section 3. L’impartialité

Avant de commencer, il est important de bien distinguer entre l'indépendance de la justice et l'impartialité. L’indépendance se rapporte à l’absence de lien structurel entre le juge et une autre entité ou autorité qui pourrait exercer une pression sur lui.

Aujourd'hui, nous abordons une question différente : l'impartialité, qui implique l'absence de parti pris, de préjugé ou de préférence personnelle du juge sur l'affaire.

L’impartialité est une exigence de neutralité. Personne ne souhaite qu’un juge prenne parti pour l’une des parties sans analyse objective des règles de droit. Le travail du juge est d'appliquer ces règles pour trancher un litige de manière objective.

L’impartialité du juge est donc un caractère essentiel du service public de la justice. Elle est garantie par le Code de l'organisation judiciaire et internationalement protégée par des conventions telles que la Convention européenne des droits de l’homme (article 6, paragraphe 1).

Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bienfondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle.
Article 6, alinéa 1 (extrait) de la Convention européenne des droits de l’homme 

L’impartialité comporte deux aspects :

L’impartialité personnelle

Des éléments personnels peuvent rendre un juge partial, notamment :

Le Code de l'organisation judiciaire, article 11-6, détaille les situations dans lesquelles un juge doit se retirer, comme lorsqu'il a des liens familiaux ou conjugaux avec les parties.

L’impartialité fonctionnelle

Certaines fonctions précédentes peuvent compromettre l'impartialité d'un juge. Par exemple :

L’impartialité fonctionnelle garantit ainsi qu’un juge apporte un regard neuf sur chaque affaire.

Les solutions contre la partialité

Lorsque l’impartialité est compromise, plusieurs solutions existent :

Ces solutions visent à assurer l’impartialité du juge pour maintenir la confiance du public dans le système judiciaire.

Section 4. La publicité

La publicité de la justice signifie que les procès sont ouverts au public, qui peut assister aux audiences. Peut-être que certains d’entre vous, en tant qu’étudiants en droit, ont déjà observé un procès ou une audience dans une salle de tribunal.

La publicité de la justice garantit que le processus judiciaire est transparent, visible de tous, et sans rien à cacher. Cela permet de dénoncer d’éventuelles défaillances, renforçant la confiance dans le service public de la justice. Elle est inscrite dans la Déclaration universelle des droits de l’homme (article 10) et protégée par la Convention européenne des droits de l’homme (article 6, paragraphe 1).

Les fondements de la publicité

Historiquement, la justice a toujours été publique :

Aujourd’hui, cette tradition est maintenue pour garantir que la justice soit accessible et transparente.

Toute personne a droit, en pleine égalité, à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal indépendant et impartial, qui décidera, soit de ses droits et obligations, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle.
Article 10 de la Déclaration universelle des droits de l'homme 

Les contours de la publicité

Bien que la publicité soit primordiale, elle ne s’applique pas à toutes les phases du procès.

La publicité respectée

La publicité est essentielle dans deux moments du procès :

Jusqu'à récemment, l’enregistrement vidéo de l'audience était strictement interdit, sauf pour des procès historiques (Klaus Barbie, l'affaire du sang contaminé, l'affaire Maurice Papon, le procès de l'explosion de l'usine AZF, le procès de la dictature chilienne...). Cependant, une loi du 22 décembre 2021 autorise l’enregistrement à des fins pédagogiques, informatives, culturelles, ou scientifiques. Par exemple, l’émission Justice en France, sur un partenariat entre le ministère de la justice et France Télévisions, diffuse des procès enregistrés pour éducation publique.

La publicité écartée

Dans certains cas, la publicité n’est ni utile ni appropriée :

Ainsi, ce quatrième caractère de la justice, la publicité, assure transparence et confiance dans le système judiciaire.

Section 5. La continuité

La justice est une mission régalienne, partie intégrante de la souveraineté de l'État, tout comme la police ou l'armée. Mais la question se pose : la justice doit-elle être exercée en continu ?

En France, contrairement aux systèmes nord-américains où les tribunaux fonctionnent par sessions, le service public de la justice est continu. Cela signifie que les tribunaux siègent toute l'année, du 1er janvier au 31 décembre, conformément au Code de l'organisation judiciaire.

La permanence et la continuité du service public de la justice demeurent toujours assurées.
Article L111-4 du Code de l'organisation judiciaire 

Bien que la justice soit continue, cela ne signifie pas que les juges siègent sans interruption. Le président du tribunal organise des permanences, notamment l'été et le week-end, pour qu'un juge soit disponible en cas de besoin urgent.

Toutefois, certaines juridictions, comme les cours d'assises et le tribunal paritaire des baux ruraux, siègent par session en raison de la nature de leurs affaires. Nous détaillerons les fonctions de ces juridictions dans la seconde partie du cours, consacrée aux organes de la justice.

Section 6. La collégialité

La collégialité signifie que la justice est rendue, en principe, par plusieurs juges (formation collégiale) et non par un juge unique. Cette approche permet une décision issue d'une réflexion commune, car des juges ayant des opinions et sensibilités différentes échangent et débattent. Ainsi, la collégialité renforce l’impartialité et l’indépendance des décisions judiciaires.

En France, la justice est donc majoritairement collégiale et comporte en général trois juges, ce nombre impair permettant de trancher le litige par majorité en cas de désaccord.

Les Inconvénients de la Collégialité

Malgré ses avantages, la collégialité présente aussi des inconvénients :

L’Utilisation du Juge Unique

Le juge unique, introduit pour simplifier le traitement des affaires plus simples, est aujourd’hui commun dans des domaines comme les affaires familiales ou les juges de l'exécution ou de la mise en état. Ce modèle permet d’augmenter l’efficacité du système judiciaire face à l’accroissement du nombre de dossiers.

Cependant, pour les affaires pénales graves (correctionnelles ou criminelles), la collégialité reste incontournable en raison des enjeux de privation de liberté, nécessitant une prise de décision collective.

Section 7. La responsabilité

La justice, pour remplir sa mission de service public, doit respecter des garanties et des principes fondamentaux. Cependant, la justice étant rendue par des hommes, des défaillances peuvent survenir. La question se pose alors : quelle est la responsabilité en cas de dysfonctionnement du service public de la justice ?

Dans de rares cas, il est possible de mettre en œuvre la responsabilité personnelle du juge, bien que cela soit extrêmement rare. En général, pour garantir que le juge puisse exercer sa mission sereinement, c'est l'État qui est tenu responsable en cas de dysfonctionnement.

La responsabilité de l'État pour défaut dans le fonctionnement du service public de la justice repose sur deux types de régimes : un régime général et des régimes spéciaux.

Le régime général de responsabilité

Depuis 1972, le Code de l’organisation judiciaire prévoit que l’État est responsable en cas de fonctionnement défectueux du service public de la justice. Ce régime général couvre l'activité du siège, du parquet, des greffiers, et plus généralement de tous les agents participant aux opérations d'enquête et de police judiciaire.

Deux cas de responsabilité de l'État :

Les régimes spéciaux de responsabilité

Les régimes spéciaux concernent principalement la justice pénale, où les conséquences d’un dysfonctionnement sont particulièrement graves. Ces régimes incluent :