Chapitre I. Le monopole étatique

Nul ne peut se rendre justice à soi-même : la justice privée n'est pas la logique du système judiciaire français. Et cela paraît difficilement conciliable avec l'idée d'un service public qu'il puisse y avoir une justice privée, et donc, en principe, il y a un monopole étatique sur la justice. Mais il y aura des exceptions à ce principe.

Section 1. Le principe du monopole

Pour comprendre cette question du monopole étatique sur la justice, il faut comprendre deux notions complémentaires, très importantes, dans la fonction de juger.

La justice a toujours été considérée comme un attribut de la souveraineté, auparavant qui appartenait au roi, qui aujourd'hui, donc, appartient à l'État - pensez à Saint Louis qui rend la justice sous le chêne, etc. Rendre la justice, c'est une fonction régalienne qui n'appartient qu'à l'État.

Il faut bien distinguer, cependant, dans l'idée de rendre la justice, deux notions : la juridictio, en latin, et l'imperium, deux prérogatives.

Quand on possède la juridictio et quand on possède l'imperium, cela signifie que l'État a le monopole de la violence.

On dit que l'État a le monopole sur la justice car l'État est le seul organe qui dispose de ces deux pouvoirs, à la fois la juridictio, il peut dire le droit, et à la fois l'imperium, les décisions qu'il rend. Alors, ce n'est pas l'État qui rend les décisions comme ça, ce sont bien sûr les divers organes judiciaires, donc les juridictions, mais qui représentent l'État. L'État est le seul à pouvoir dire le droit, juridictio, et c'est le seul dont les décisions sont dotées de l'imperium, c'est-à-dire de la force exécutoire.

Quand on a une décision de justice, c'est un titre exécutoire, on peut demander à ce qu'elle soit appliquée. L'État a le monopole étatique sur la justice, il peut dire le droit et il peut faire exécuter ses décisions de justice.

Les conséquences de ce monopole étatique, c'est qu'en principe, aucune autre autorité n'a le pouvoir de rendre la justice. Et c'est très important parce qu'il y a des juridictions qui semblent rendre la justice.

Par exemple, il existe des juridictions religieuses. Il y a des tribunaux ecclésiastiques qui sont présidés par les évêques de France ou des juridictions qu'on appelle le Beth Din, des juridictions judaïques. Ce sont, selon les différentes religions, des juridictions, mais elles ne rendent pas la justice au sens du monopole étatique parce que ces décisions, évidemment, sont considérées comme du pur fait et pas comme du droit, en tout cas par les tribunaux français.

La seconde conséquence du monopole étatique, c'est que si seul l'État peut rendre la justice, cela a pour conséquence que l'État est tenu de rendre la justice. Il est tenu de rendre la justice, c'est-à-dire qu'il ne peut pas dire « ah ben non, moi je ne décide rien en cette affaire », c'est-à-dire faire un déni de justice. L'État (i.e. les juridictions étatiques) est obligé de se prononcer, les juridictions étatiques sont tenues de trancher les conflits qu'on leur soumet. C'est le fameux article 4 du Code civil.

Section 2. Les modes alternatifs de règlement des différends

Ce monopole peut présenter des exceptions; ces exceptions sont mises sous une bannière commune, une appellation qu'on appelle les modes alternatifs de règlement des différents (mardes).

Les mardes, ce sont donc des façons de régler un différent, mais en dehors de la justice étatique. Certains de ces modes sont juridictionnels, cela veut dire qu'ils ont la juridiction, dont l'exemple le plus connu est l'arbitrage. Mais il existe des modes non juridictionnels de règlement des conflits. Ce sont tous les procédés par lesquels on cherche à échapper au juge en essayant de régler le problème en amont avant d'arriver devant le juge par différentes manières de concilier les parties entre elles, soit qu'elles se concilient toutes seules, soit avec l'aide d'un tiers.

L’arbitrage (mode juridictionnel)

C'est un mode juridictionnel parce que l'arbitre dispose de la juridiction, c'est-à-dire qu'il peut dire le droit. En revanche, il ne dispose pas de l'imperium. Ses décisions n'ont pas la force exécutoire, contrairement aux décisions rendues par la justice étatique.

L'arbitrage est une forme, finalement, de justice privée. L'arbitre, c'est un juge privé qui est choisi par les parties et qui va trancher le conflit entre les parties à la suite d'un contrat qu'on appelle le compromis d'arbitrage ou d'une clause qui figure dans le contrat, une clause compromissoire, qui va instaurer la procédure d'arbitrage et qui va trancher le litige à la place de la justice étatique.

L'arbitrage peut présenter certains avantages. La justice judiciaire se fait sur un temps longs, les tribunaux sont encombrés, donc l'arbitrage peut aller plus vite. L'arbitrage aussi peut être plus discret parce que c'est une procédure plus secrète alors que la justice étatique est une justice publique.

L'arbitrage présente aussi des inconvénients, notamment parce que c'est une procédure qui est extrêmement coûteuse pour les parties. Il faut payer l'arbitre et, en principe, c'est assez coûteux.

Il y a aussi un certain nombre de conditions pour recourir à un arbitrage. D'abord, il faut que les parties soient d'accord, d'accord pour renoncer à la justice étatique et pour choisir de soumettre leur litige à un arbitre. La deuxième condition, c'est que l'arbitrage n'est possible que dans certaines matières, des matières qu'on dit arbitrables, c'est-à-dire dans lesquelles un arbitrage peut intervenir.

Et ce sont des matières, en principe, dont les parties ont la libre disposition, et notamment les matières commerciales. Dans les matières de commerce international, par exemple, l'arbitrage est extrêmement développé.

Mais il y a des matières, comme les matières extra-patrimoniales, comme les questions de filiation ou de divorce, qui ne sont pas arbitrales : on ne peut pas divorcer devant un arbitre, il faut en passer par la justice étatique.

Dernière condition, c'est que, bien cette justice soit privée, on a instauré un certain nombre de garanties, et notamment, l'arbitre doit respecter, comme devant la justice étatique, les droits de la défense, c'est-à-dire préserver les droits de chacune des parties qui se présentent devant lui, afin de garantir que la sentence arbitrale, c'est le nom de la décision que l'arbitre rend, soit impartiale.

Cette sentence arbitrale, c'est la juridiction de l'arbitre, il peut dire le droit, mais cette décision, en revanche, n'est pas dotée de la force exécutoire. Pour qu'elle soit dotée de la force exécutoire, il faudra faire revêtir la sentence arbitrale de ce qu'on appelle l'exequatur.

L'exequatur, c'est donner la force exécutoire à la sentence arbitrale, mais seul un juge étatique peut le faire.

C'est la limite de la justice privée qui, finalement, à la fin du cheminement, a besoin d'un juge, mais seulement si la décision n'est pas exécutée volontairement par la partie qui doit l'exécuter.

C'est donc une exception au monopole étatique, mais c'est une exception partielle, parce que dans l'arbitrage, l'arbitre a la juridictio, mais pas l'imperium. L'imperium est toujours confié, même dans l'arbitrage, au juge étatique.

Les modes non juridictionnels

Ce n'est pas vraiment une exception, mais plutôt un tempérament au monopole étatique, parce que ce sont les modes non juridictionnels de règlement des conflits.

Par hypothèse, ces modes non juridictionnels ne disposent ni de la juridiction, donc ni du pouvoir de dire le droit, ni de l'imperium, c'est-à-dire ni de la force exécutoire.

On peut se demander à quoi cela sert, finalement, si on tranche un litige, et qu'on ne peut pas dire le droit, et qu'il n'y a pas de force exécutoire à la décision. Il faut se replacer dans l'idée d'encombrement des tribunaux et de phénomène de déjudiciarisation. L'idée qu'il faut retirer du contentieux au magistrat, parce qu'on n'a pas les moyens personnels ni financiers d'assumer la masse de contentieux.

On va donc favoriser d'autres modes de règlement des litiges pour essayer que le contentieux ne parvienne jamais devant le juge, on va chercher à éteindre le litige, plutôt qu'à le trancher.

C'est une justice qui est considérée comme plus douce, plus contractuelle, plus transactionnelle, moins imposée, évidemment, que la justice étatique. Dans ces modes non juridictionnels de règlement des conflits, on trouve deux types.

Il y a donc une véritable faveur des dernières politiques en matière de procédure, des dernières lois en matière de procédure pour ces différents modes alternatifs de règlement des litiges qui tendent donc à rapprocher les parties et à trouver une solution à l'aide d'un tiers.


Revision #2
Created 28 November 2024 21:45:01 by Antoine Crouzet
Updated 28 November 2024 21:46:53 by Antoine Crouzet