Chapitre I. L’usufruit et ses diminutifs
Section 1. Notion et caractères de l’usufruit
Voici une définition donnée par l'article 578 du Code civil.
L'usufruit est le droit de jouir des choses dont un autre a la propriété, comme le propriétaire lui-même, mais à la charge d'en conserver la substance.
— Article 578 du Code civil
Une remarque immédiate : cette définition n'est pas parfaite, en ce qu'elle ne fait pas référence au caractère toujours temporaire de l'usufruit qui est absolument fondamental. Du moins, cette définition permet-elle de saisir le démembrement de la propriété qui s'opère en présence d'un usufruit.
Comme vous le savez, la propriété comporte trois prérogatives : l'usus, le fructus, et l'abusus. En présence d'un usufruit, l'usus et le fructus passent à l'usufruitier, qui a l'usage et la jouissance de la chose, le propriétaire ne conservant que l'abusus (le pouvoir de disposer de la chose), que l'usufruitier n'a pas. "Il doit conserver la substance", dit l'article 578.
Ainsi dépouillée de l'usus et du fructus, la propriété n'est plus qu'une nue-propriété.
Ainsi, avec l'usufruit apparaissent en réalité deux droits réels issus du démembrement de la propriété : la pleine propriété se divise en usufruit, d'une part, et en nue-propriété, d'autre part => deux droits réels démembrés.
Concrètement, pendant toute la durée de l'usufruit, c'est l'usufruitier qui a la chose entre les mains. C'est lui qui a l'utilité économique de la chose. Le nu-propriétaire en est, lui, dépouillé pendant tout le temps de l'usufruit.
Cependant, il reste une potentialité, car la nue-propriété porte en elle la certitude de redevenir un jour pleine propriété.
- 1e caractère : l'usufruit est un droit temporaire
Par essence, l'usufruit un droit temporaire. A la différence de la propriété, l'usufruit a toujours vocation à s'éteindre. Ceci emportera alors reconstitution de la pleine propriété au profit de celui qui était alors nu-propriétaire.
Quelle est la durée de l'usufruit ? En général, c'est un droit viager (qui a vocation à s'éteindre avec le décès de son titulaire) (article 617). Il est en outre possible de prévoir, dans l'acte qui lui donne naissance, une durée moindre que la vie de l'usufruitier. Par exemple : 3 ans, 5 ans, 8 ans, 10 ans, 12 ans, étant observé que si le titulaire décède avant l'expiration du terme prévu, l'usufruit s'éteint avec le décès. L'usufruit n'est pas transmissible à cause de mort. Il ne peut survivre à son titulaire.
L'usufruit s'éteint :
Par la mort de l'usufruitier ;
Par l'expiration du temps pour lequel il a été accordé ;
Par la consolidation ou la réunion sur la même tête, des deux qualités d'usufruitier et de propriétaire ;
Par le non-usage du droit pendant trente ans ;
Par la perte totale de la chose sur laquelle l'usufruit est établi.
— Article 617 du Code civil
Lorsque l'usufruit a été constitué au profit de plusieurs personnes, il va s'éteindre au décès du dernier vivant de ses usufruitiers.
Lorsqu'il est constitué au profit d'une personne morale, la loi fixe la durée maximale de l'usufruit à 30 ans (article 619).
L'usufruit qui n'est pas accordé à des particuliers ne dure que trente ans.
— Article 619 du Code civil
- 2e caractère : droit réel qui porte donc directement sur une chose
L'usufruit est un droit réel qui porte directement sur la chose.
Usufruit et nue-propriété sont deux droits réels parallèles, qui se côtoient en s'ignorant. Leurs titulaires respectifs exercent des prérogatives différentes, mais toujours directement sur la chose. La situation est ainsi très différente de celle qui naît d'un contrat de bail : le locataire a certes, comme l'usufruitier, le droit de jouir de la chose, mais pour le locataire, il s'agit d'un droit personnel (c'est-à-dire d'une créance contre le bailleur, qui est personnellement obligé de lui assurer la jouissance de la chose). Au contraire, l'usufruitier retire directement la jouissance du bien. Le nu-propriétaire n'a pas d'obligations personnelles à son égard. Il n'est pas tenu de lui assurer cette jouissance.
Si l'usufruitier est troublé dans sa jouissance, il dispose d'actions possessoires (parce que l'usufruit, comme tout droit réel, est susceptible de possession). Il dispose aussi d'une action réelle s'il lui est nécessaire de faire reconnaître son droit contre une personne qui serait mise en possession de la chose (et alors faire reconnaître son droit d'usufruit). Cette action est dite action confessoire d'usufruit.
- 3e caractère : l'usufruit est cessible et saisissable
L'usufruit est par ailleurs cessible. Ce droit n'est pas cessible à cause de mort puisqu'il s'éteint avec le décès de son titulaire. Mais entre vifs, une vente d'usufruit ou une donation d'usufruit sont concevables (comme ces transmissions sont concevables aussi pour le droit de propriété et pour la nue-propriété).
Cessible, l'usufruit peut aussi être saisi. Il est saisissable par les créanciers de l'usufruit. Il peut être vendu par les créanciers pour se désintéresser. Cependant, l'objet d'une cession portant sur un usufruit n'est jamais que le droit réel de l'usufruitier (qui a vocation à s'éteindre au plus tard lors du décès de celui-ci). Ce n'est pas un nouveau droit que recueille le cessionnaire. C'est bien le droit d'usufruit de l'usufruitier, qui finira avec la vie de celui-ci. Donc la valeur de l'usufruit, dans une cession, n'est pas forcément très élevée.
- 4e caractère : l'usufruit peut porter sur toute sorte de biens => biens meubles ou immeubles (C. Civ., art. 581) ; choses corporelles ou incorporelles
Ce droit réel porte sur toutes sortes de biens : des biens meubles ou immeubles, dit l'article 581 du Code civil.
Il peut être établi sur toute espèce de biens meubles ou immeubles.
— Article 581 du Code civil
Cela peut être sur des choses corporelles (l'usufruit d'une maison, d'un tableau) ; et sur des choses incorporelles(l'usufruit des droits d'un auteur sur une œuvre littéraire et artistique, l'usufruit d'actions d'une société, l'usufruit d'autres valeurs mobilières, l'usufruit d'une créance).
L'usufruit porte tantôt sur des choses envisagées isolément (l'usufruit d'un appartement, d'un meuble meublant), tantôt sur une universalité (c'est le cas très fréquent de l'usufruit légal du conjoint survivant qui porte sur toute la succession laissée par son époux prédécédé).
Une particularité doit être signalée lorsqu'un usufruit porte sur des choses consomptibles. La loi admet un tel usufruit, alors que l'usufruitier doit conserver la substance de la chose (article 578). Comment ceci est-il compatible avec des choses qui se consomment par le premier usage ?
L'usufruit est le droit de jouir des choses dont un autre a la propriété, comme le propriétaire lui-même, mais à la charge d'en conserver la substance.
— Article 578 du Code civil
L'usufruit prend ici une physionomie très particulière qui est envisagée à l'article 587.
Si l'usufruit comprend des choses dont on ne peut faire usage sans les consommer, comme l'argent, les grains, les liqueurs, l'usufruitier a le droit de s'en servir, mais à la charge de rendre, à la fin de l'usufruit, soit des choses de même quantité et qualité soit leur valeur estimée à la date de la restitution.
— Article 587 du Code civil
Ceci signifie que l'usufruitier devient en réalité pleinement propriétaire des choses consomptibles sur lesquelles porte son droit. Pour le distinguer de l'usufruit ordinaire sur les autres biens, on va l'appeler "quasi-usufruit". Il devient propriétaire et débiteur d'une chose semblable (ou bien de la valeur de cette chose), qu'il doit rendre à la fin de son quasi-usufruit. Le nu-propriétaire, pendant toute cette durée de ce quasi-usufruit, n'est que créancier de cet objet à la fin du quasi-usufruit. Tant que le quasi-usufruit est en cours, le nu-propriétaire n'a aucun droit sur les choses consomptibles. Et si au moment de la restitution, le quasi-usufruitier est insolvable (en totalité ou en partie), le nu-propriétaire se trouvera en concours avec les autres créanciers du débiteur. Il n'obtiendra donc au mieux qu'une satisfaction partielle, sans pouvoir se prévaloir d'une quelconque préférence sur les choses consomptibles objets de l'usufruit, et qui n'auraient pas été consommées par l'usufruitier. Ces choses sont devenues le gage commun de tous les créanciers de l'usufruitier, et pas seulement du nu-propriétaire.
Exemple : le quasi-usufruit d'une somme d'argent qu'avait le défunt en banque lors de son décès : voici que ce défunt était marié (il y a un conjoint survivant). Ce conjoint survivant est en présence d'enfants : la loi lui accorde l'usufruit de tous les biens de la succession. Parmi les biens de la succession, nous trouvons une somme d'argent (50 000 euros) en banque. Le conjoint survivant en est le quasi-usufruitier (c'est-à-dire qu'il va pouvoir utiliser la chose comme bon lui semble). En réalité, la somme lui appartient. Simplement, lors du décès du conjoint survivant se trouvera, au passif de sa succession, l'obligation de rendre une quantité identique d'argent.
On s'est demandé si l'article 587 était applicable au cas d'un usufruit portant sur un portefeuille de valeurs mobilières. La réponse de la jurisprudence est négative : "Non, car ce ne sont pas des choses consomptibles par le premier usage."
Cependant, le portefeuille est constitutif d'une universalité que l'usufruitier est autorisé à gérer en procédant comme il peut être de saine gestion habituellement, en procédant à des cessions d'actions, puis à de nouvelles acquisitions de titres en remplacement. Mais l'usufruitier doit conserver la substance globale du portefeuille puisqu'il ne s'agit pas d'un quasi-usufruit. Il n'est pas seulement débiteur de la restitution de la valeur des actions, il doit conserver le portefeuille. C'est assez différent d'un quasi-usufruit. Cela étant, rien n'interdit, entre le propriétaire et l'usufruitier, de faire une convention de quasi-usufruit, même sur des biens qui ne sont pas des choses consomptibles et de prévoir qu'on les traitera comme des choses consomptibles. Ça pourrait être le cas, en particulier, au sujet de valeurs mobilières.
Enfin, l'article 589 prend le soin de préciser que l'usufruit reste dans sa physionomie habituelle lorsqu'il porte sur des choses qui, sans se consommer de suite, se détériorent peu à peu par l'usage (comme du linge, des meubles meublants, une voiture).
Si l'usufruit comprend des choses qui, sans se consommer de suite, se détériorent peu à peu par l'usage, comme du linge, des meubles meublants, l'usufruitier a le droit de s'en servir pour l'usage auquel elles sont destinées, et n'est obligé de les rendre à la fin de l'usufruit que dans l'état où elles se trouvent, non détériorées par son dol ou par sa faute.
— Article 589 du Code civil
L'usufruitier de la voiture peut s'en servir, et va la rendre dans son état à la fin de l'usufruit. Si l'usufruit a duré 10 ou 15 ans, la voiture ne sera plus en état neuf. C'est la logique du droit de jouissance de l'usufruitier sur la chose.
À l'issue de cette section, on peut rassembler les éléments de la notion et les caractères principaux de l'usufruit dans une définition un peu plus complète que celle de l'article 578.
L'usufruit est un droit réel temporaire conférant à son titulaire l'usage et la jouissance d'une chose qui appartient à autrui ou d'un droit dont un autre est titulaire.
Section 2. Constitution de l’usufruit
I. Usufruits établis par la loi
II. Usufruits établis par des actes de volonté privés
Section 3. Droits et obligations du nu-propriétaire et de l’usufruitier
I. Droits et obligations du nu-propriétaire
II. Droits et obligations de l’usufruitier
A) Lors de l’entrée en jouissance
1) Faire un inventaire ou un état des lieux
2) donner caution
B) Au cours de l’usufruit
1) Droits de l’usufruitier
a) droit d’user de la chose
b) droit d’en retirer les fruits
c) droit de faire des actes d’administration
2) Obligations de l’usufruitier
a) conserver la chose
b) se comporter en bon père de famille
c) entretenir la chose
d) supporter les charges usufructuaires