Chapitre I. La maitrise du droit coutumier
On va voir comment les choses se sont passées d'un point de vue plus historique et plus politique.
Le premier chantier que va se proposer de prendre en charge la monarchie, c'est le droit coutumier. On a vu dans les chapitres précédents que le roi intervenait en matière coutumière pour abroger les mauvaises coutumes et pour confirmer les bonnes coutumes.
D'une certaine manière, il s'agissait d'une forme de pouvoir normatif puisque abroger une norme suppose le même pouvoir que faire la norme, on pouvait considérer que retirer une mauvaise coutume, c'est d'une certaine manière l'inverse de faire une coutume, donc la possibilité de faire une coutume. Mais le phénomène reste très limité et reste dans un contexte particulier.
Ce qui est nouveau au XVIe siècle, c'est la volonté de considérer que désormais, parce qu'on va demander dans toutes les provinces de mettre par écrit les coutumes, les coutumes n'auront de force juridique que parce qu'elles seront voulues par le roi.
Le roi, autrement dit, accepte de respecter les usages locaux, et ce sont les usages locaux qui vont être codifiés, mais la force de cette coutume ne viendra plus de sa nature profonde, sa nature coutumière, c'est-à-dire la répétition d'un usage revêtu ensuite de l'opinio juris.
Désormais, ce qui donnera vigueur à la coutume, c'est la volonté royale qui s'y exprime.
Section 1 - La « législation coutumière »
Pourquoi utiliser cette oxymore, législation, la loi, coutumière, la coutume ? Ce sont deux sources du droit qui ne sont absolument pas identiques. Alors, pourquoi utiliser cette forme de formule contradictoire et d'oxymore ? Tout simplement parce que c'est de ce dont il s'agit ici.
L'article 125 de l'ordonnance de Monty-les-Tours, d'avril 1454 ordonnait que toutes les coutumes fussent rédigées pour éviter les contrariétés et les contradictions entre les règles de droit coutumier. Autrement dit, pour garantir de la sécurité juridique aux justiciables, on aurait un texte, un texte certain et un texte qui ne serait pas sujet à contestation.
Le problème du droit coutumier, c'est que dans un procès coutumier, il y a toujours deux phases. Une phase qui consiste à essayer de trouver ce qu'est la règle de droit applicable et ensuite qui consiste à l'appliquer.
Là, il s'agissait d'éliminer la première partie du procès, c'est-à-dire l'incertitude sur la règle applicable, grâce à du droit écrit.
Ce n'est qu'à la fin du XVe siècle, presque un demi-siècle plus tard, que les premières coutumes vont être rédigées officiellement, les coutumes de Chaumont, de Troyes, de Sens ou encore de Melun.
Mais le mouvement de rédaction des coutumes prend un véritable essor seulement au XVIe siècle.
Le processus de rédaction
La rédaction d'une coutume est quelque chose qui se déroule de manière assez participative, comme on parlerait aujourd'hui de démocratie participative.
D'abord, chaque pays, chaque détroit de coutume a des représentants locaux, qui sont en général des spécialistes du droit, des hommes de loi, qui sont des professionnels, des procureurs, des avocats, des greffiers, qui se réunissent pour essayer de se mettre d'accord sur ce qu'est la coutume locale, et commencent une première rédaction.
Ensuite, ce texte est soumis à des représentants, qu'on appelle les représentants des états provinciaux. Les états provinciaux sont à la province, ce que les états généraux sont au royaume sous l'Ancien Régime, c'est-à-dire une réunion de députés élus par ordre, ceux du clergé, ceux de la noblesse, et ceux du tiers-état.
Cet examen par les états provinciaux se fait sous le regard, quelquefois la surveillance, d'un commissaire royal.
À ce moment-là, deux solutions. Soit les états provinciaux acceptent la première mouture de la coutume, et on dit que l'article est accordé, ou bien ils la refusent, et dans ces cas-là, on dit que l'article est discordé.
Et dans ce cas-là, c'est une troisième étape. C'est le Parlement, cour de justice souveraine, qui est saisi et qui arrête la rédaction définitive de l'article, et ensuite la coutume est promulguée au nom du roi.
Le fond du droit correspond bien aux coutumes locales, c'est-à-dire qui correspond bien aux usages locaux. En cela, le roi n'est pas pouvoir législatif, ce n'est pas lui qui va créer des règles nouvelles. Ça c'est quelque chose qui interviendra seulement après la Révolution française.
Mais en revanche, ce qui va donner la force de cette coutume, ce n'est pas, encore une fois, le fait que ce soit un usage revêtu de l'opinio juris, mais bien parce que c'est la volonté du roi que cette coutume soit ainsi rédigée et appliquée.
Alors, au début du XVIe siècle, toutes les régions de France, toutes les provinces de France, ont rédigé leurs coutumes, la coutume d'Anjou et Maine en 1508, la coutume d'Orléans en 1509, la coutume de Bretagne en 1539. La coutume qui restera très célèbre et une des coutumes les plus importantes, c'est la coutume de Paris, qui est rédigée et mise par écrit en 1510.
La monarchie a réalisé ce tour de force de transformer la plupart des règles de droit en règles de droit écrites, et pourtant, la monarchie n'est pas entièrement satisfaite, parce que nous sommes à l'époque de la Renaissance, et la Renaissance tourne le dos clairement à l'époque médiévale, que l'on considère comme une époque un peu ombrageuse.
Donc, on va avoir la volonté très vite de moderniser un certain nombre de règles, notamment pour ce qui concerne la propriété, pour ce qui concerne le commerce ou encore le droit pénal, avec une logique différente.
Et puis, il faut comprendre aussi qu'au XVIe siècle, l'imprimerie, qui est une technologie tout à fait nouvelle, commence à se diffuser. Et l'imprimerie va permettre à des juristes un peu partout en France de comparer les coutumes les unes avec les autres, et de comparer les règles les unes avec les autres. Ces juristes vont être capables de dire, telle pratique, telle manière de faire dans le Poitou, telle manière de faire en Bourgogne, est plus intéressante, plus juste.
Donc, cette comparaison va conduire à vouloir réformer les coutumes, parce que certaines pratiques sont jugées dépassées.
Le mouvement de réformation
Dans la deuxième moitié du XVIe siècle, on va vouloir reprendre ces coutumes, moins d'un demi-siècle après, c'est-à-dire pratiquement une génération, un peu plus d'une génération, on va vouloir reprendre ces coutumes pour les réformer.
On voit bien que l'idée même de réformer une coutume, elle aussi est une absurdité, parce qu'une coutume ne se réforme pas par la volonté. Une coutume est tout simplement liée à l'évolution des usages, des évolutions qui se veulent spontanées.
À partir du moment où la coutume est mise par écrit, elle ne peut plus évoluer par elle-même, parce que le texte fige dans le temps. Et donc, il faut la réformer. Cette réformation des coutumes se fait de manière plus verticale.
Le roi nomme un seul commissaire pour la réformation de plusieurs coutumes, parce que ce commissaire, qui va avoir connaissance des règles de droit de plusieurs coutumes, va essayer dans la réformation de faire ce qu'on appelle quelquefois aujourd'hui le benchmarking, c'est-à-dire la comparaison entre plusieurs solutions trouvées et retenir la meilleure des solutions.
Il y a encore la réunion d'assemblée des états provinciaux pour faire évoluer ces coutumes, mais dans l'immense majorité des cas, ces assemblées se sont montrées très favorables aux évolutions.
En effet, on est dans un changement d'époque, l'époque de la Renaissance, qui est favorable à des solutions nouvelles et à l'abandon de ce qui est perçu désormais comme des archaïsmes. La Renaissance est une société plus cultivée, plus bourgeoise aussi, mais une société qui peut se montrer aussi particulièrement archaïque, eu égard à la cruauté des comportements pendant les guerres de religion.
Les textes qui sont adoptés sont appelés nouvelles coutumes, en particulier l'une d'elles, la nouvelle coutume de Paris, qui date de 1580, est considérée comme une coutume tout à fait remarquable par sa qualité, par sa simplicité. Elle comporte seulement 362 articles, mais qui permettent de régler un très grand nombre de situations juridiques.
La coutume de Bretagne, elle, date de 1580, mais elle comporte 685 articles, et c'est une coutume beaucoup plus fouillie, beaucoup plus désordonnée que la coutume d'Orléans.
Alors, quelles sont les tendances principales, les principales évolutions ?
En matière pénale, on laisse de plus en plus une possibilité d'arbitraire du juge, mais un arbitraire qui ne doit pas être conçu de manière négative, mais une possibilité pour le juge d'arbitrer entre plusieurs peines possibles, de façon à prendre en considération les circonstances atténuantes ou bien les circonstances aggravantes.
En matière de procès civil, là encore, on va mettre davantage en avant la question de l'échange des volontés, on va introduire davantage de subjectivisme dans l'appréciation du contrat, et en particulier des contrats de vente.
Alors, ces nouvelles coutumes gardent au fond un caractère un petit peu coutumier, parce qu'elles correspondent à l'évolution des usages et des mentalités de l'époque. Mais en réalité, désormais, clairement, ces coutumes sont des lois.
Ce sont des lois, c'est-à-dire que leur vigueur juridique, leur force juridique résulte du fait qu'elles sont promulguées, qu'elles sont sanctionnées, scellées par le roi, que c'est la volonté du roi qui leur donne force.
Guy Coquille, qui est un grand juriste de l'époque, dit que le roi inspire vigueur de loi, et la vigueur c'est la force, quand on dit qu'une loi est en vigueur, c'est qu'elle a de la force, inspire vigueur de loi aux coutumes officielles.
Section 2 - Le « droit commun coutumier »
L'idée qui va se développer à partir du XVIe siècle et puis ensuite au XVIIe siècle, c'est l'idée très simple qu'il y a beaucoup de coutumes différentes dans le royaume et que ce qu'elles ont en commun est plus important que ce qui les distingue. Et donc qu'il faut essayer d'avoir une seule loi commune qui serait une coutume commune, comme on aura à partir de 1804 un seul code civil ou à partir de 1810 un seul code pénal.
Le droit commun coutumier ne désigne pas une réalité parce que cette ambition d'une coutume commune ne va jamais être réalisée sous l'Ancien Régime. Le droit commun coutumier désigne plus exactement un mouvement, une ambition, un chemin doctrinal mais un chemin qui ne va pas aboutir. On va voir de quoi résulte cette ambition.
La naissance d’une conscience juridique nationale
D'une part cela résulte de la naissance d'une conscience juridique nationale.
Le royaume est bien unifié au XVIe siècle et il est clairement indépendant de l'extérieur. Et l'idée est que ce royaume unique, unifié, avec sa propre langue qui commence à s'imposer, qui est le français, doit avoir son propre droit.
Puis il y a une autre idée qui commence à germer, c'est qu'au fond le droit romain est un droit qui n'est pas français, c'est un droit qui est importé de l'extérieur, de Rome, en réalité plus exactement de Constantinople. Ce droit n'est pas complètement ou n'est pas exactement adapté au caractère français, au génie français.
Et donc un juriste comme Charles Dumoulin, qui est né en 1500 et qui est mort en 1566, qui est un commentateur de la coutume de Paris, va émettre cette idée de concorde et d'union de toutes les coutumes en une seule, avec en particulier, à son avis, la supériorité de la coutume de Paris. Et à la fin du XVIe siècle et au début du XVIIe siècle, les idées se précisent, les critiques envers le droit romain se font plus sévères, qui est considéré comme un droit étranger, et on insiste sur la singularité des coutumes françaises.
Il s'agit vraiment de la naissance d'une forme de nationalisme, alors un nationalisme pas au sens du XIXe siècle, mais de promotion d'une idée, d'un nationalisme juridique, c'est-à-dire la volonté de promouvoir un droit purement français.
Guy Coquille publie un ouvrage, dont le titre est très symptomatique, en 1607, il écrit Institution du droit français, et ce qui, pour lui, est véritablement le droit français, ce sont les coutumes de France, et en particulier la coutume de Paris.
En 1608, Antoine Loisel, qui est un autre grand juriste, écrit les Institutes coutumières, et met clairement en avant l'idée que cet ouvrage est un ouvrage préparatoire à l'unification de toutes les coutumes du royaume, c'est-à-dire un droit commun, commun à tous les français, qu'il soit un droit commun coutumier. Il a des expressions en disant que le droit commun coutumier, c'est le droit universel de notre royaume.
La volonté d’unification juridique
Ce mouvement idéologique, en faveur du droit coutumier, se poursuit au XVIIe siècle, et un personnage très éminent, Guillaume de Lamoignon, qui est le premier président du Parlement de Paris, donc vraiment une des plus hautes autorités juridiques du royaume, publie un ouvrage qu'il intitule Les Arrêtés, Les Arrêtés de Guillaume de Lamoignon, dans lequel il tente de synthétiser toutes les coutumes qui relèvent du Parlement de Paris en une seule, et évidemment, là encore, la coutume maîtresse, la coutume étalon, c'est la coutume de Paris de 1580, qu'il appelle également la coutume généralissime, celle que l'on va utiliser, par exemple, comme point de référence lorsque une coutume locale est lacunaire.
Ce mouvement se poursuit, mais de manière moins importante, au XVIIIe siècle, avec l'exemple de Bourjon, qui est un juriste parisien, qui, en 1747, publie Le droit commun de la France et la coutume de Paris réduits en principe. Pour cet auteur, aucun doute n'est possible, une seule coutume, claire, simple, précise, qui serait emblématique du tempérament français, une coutume pour tous les français.
Alors, toutes ces volontés ne vont pas aboutir, elles ne vont pas aboutir parce que, au XVIIe siècle, et en particulier sous le règne de Louis XIV, le travail d'unification n'est pas suffisamment avancé, et puis au XVIIIe siècle, il va y avoir un mouvement inverse, et l'idée que chaque région, chaque province a ses propres règles, va être davantage considérée comme une liberté, contre une forme de centralisation parisienne, ou versaillaise en l'occurrence, assez autoritaire.
Il va falloir, en réalité, attendre le règne très autoritaire de Napoléon, qui va, en 1804, réaliser, de manière un petit peu forcée, ce que les révolutionnaires n'ont pas réussi à réaliser, à savoir un code, un code commun à tous les français, le code civil, et le code pénal, et puis les différents codes de procédure civile, et le code d'instruction criminelle.
La reconnaissance savante
Jusqu'au XVIIe siècle, dans les universités de droit, on n'enseignait que les droits savants, c'est-à-dire le droit romain, et le droit canonique, qui avait un corpus, et qui avait des commentateurs, et une science du droit. Mais on considérait que les coutumes étaient du droit de tous les jours, du droit pratique, qui n'étaient pas digne d'un enseignement particulier, ou d'une réflexion particulière.
Au XVIIe siècle, on va changer le regard sur les coutumes, notamment à la faveur de ce mouvement, en faveur du droit commun coutumier, et Louis XIV, dans une ordonnance de 1679, ordonnance de Saint-Germain-en-Laye, va ordonner que dans toutes les universités de droit, il y ait un professeur de droit français, un professeur royal de droit français.
Ce professeur de droit français a pour charge d'enseigner le droit coutumier dans une logique intellectuelle. De nombreux de professeurs d'université à qui on a confié cette mission vont écrire des livres, et ces livres vont avoir une dimension savante, une dimension intellectuelle, et donc ainsi, le droit coutumier va se hisser à la hauteur d'un droit objet de réflexion, objet de comparaison, objet de spéculation intellectuelle.
Beaucoup d'ouvrages vont être publiés, il y a ceux qui précèdent le mouvement, les ouvrages de Loisel, de Coquille, et puis on va avoir d'autres ouvrages à la fin du XVIIe siècle et au XVIIIe siècle, qui s'intitulent souvent Principes ou Instituts, qui essaient de singer le vocabulaire que l'on utilisait pour le droit romain, et qui vont permettre à ce droit d'avoir une véritable reconnaissance académique, au même titre que le droit romain et le droit canonique, même si, encore une fois, ce mouvement en faveur du droit français, d'un droit spécifiquement français issu des coutumes, ce mouvement n'a jamais abouti pleinement au cours du XVIIe et va reculer au cours du XVIIIe siècle et il faudra donc la Révolution et l'Empire pour que l'on aboutisse à l'unification véritable du droit français.
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