Chapitre II. Le contrôle du droit canonique
On a vu de quelle manière le roi, en utilisant différents mécanismes comme le cas privilégié, l'appel, va essayer d'avoir une emprise juridictionnelle sur les juridictions ecclésiastiques. Mais il ne touchait pas aux droits canoniques; le droit canonique était un droit édicté par l'église et du point de vue du contenu du droit, le roi n'avait rien à dire.
À partir du XVIe siècle, si on considère que tout le droit est issu de la volonté royale, l'existence d'un droit concurrent en quelque sorte, émanant d'autorités installées à Rome, le Pape, le concile est quelque chose qui est une bizarrerie. On va faire évoluer cela avec la logique de ce que l'on appelle le gallicanisme juridique et le gallicanisme juridique va avoir pour conséquence une réception par le droit royal du droit canonique.
Section 1 - Le gallicanisme juridique
Pour bien comprendre de quoi il s'agit, prenons l'exemple anglais, avec l'affaire de Henri VIII qui voulait divorcer, pour épouser la jeune et belle Anne Boleyn et qui, en 1534, va rompre avec Rome, de sorte qu'on a une église anglicane, et puis l'église romaine qui reste l'église universelle. Au fond, l'église anglicane a comme caractéristique, c'est pas tout à fait une église protestante, c'est une église plutôt catholique dans son rituel mais qui a comme caractéristique d'avoir comme chef d'église la reine ou bien le roi d'Angleterre.
Ce mouvement, qui consiste à vouloir nationaliser une église, existe également en France. Il a existé à l'époque médiévale et en particulier dans les conflits qu'ont eu Philippe le Bel et Boniface VIII au tournant des XIIIe et XIXe siècles.
Au fond, Boniface VIII voulait avoir une emprise sur le roi de France et le roi Philippe le Bel voulait avoir au contraire une très grande indépendance par rapport au Pape, et en particulier, il voulait pouvoir taxer le clergé de France sans l'autorisation du Pape.
Par conséquent, ce mouvement visant à avoir une relation directe entre le clergé de France et le roi de France indépendamment de la relation entre le clergé de France et leur chef spirituel qui est le pape est un mouvement plus ancien.
En France, on appelait ce mouvement le gallicanisme comme en Angleterre l'anglicanisme. Mais ce gallicanisme français n'a jamais abouti à une logique de rupture avec la papauté.
La France est fille aînée de l'église et donc, même s'il y a eu des tensions, on a toujours trouvé un modus vivendi, un accord entre la monarchie française et la papauté. Toutefois, la tendance va quand même être, pour le roi de n'accepter les règles de droits canoniques en France que de manière conditionnelle, c'est à dire sous condition de réception par le droit français.
On va avoir des juristes, des juristes gallicans qui vont défendre cette idée que le droit canonique ne peut pas et ne doit pas s'imposer pour les sujets français du roi sans que la monarchie ait son mot à dire.
Section 2 – La réception du droit canonique : l’exemple du mariage
On va prendre l'exemple du mariage.
Le protestantisme a provoqué une crise tout à fait considérable en France, et dans toute l'Europe, et a même provoqué entre 1562 et 1598 une guerre civile en France. Certains juristes français en profitent pour essayer de rompre avec Rome en disant, au fond, sur les questions religieuses, il vaut mieux avoir un droit français qui aménage certaines règles pour les catholiques, d'autres règles pour les protestants, mais qu'on se libère de la tutelle de Rome.
Il se trouve aussi que pour contrer la progression très importante du protestantisme, dans le nord de l'Europe en particulier, donc en Allemagne, aux Pays-Bas, en Scandinavie et également en Angleterre, l'église catholique va organiser ce que l'on a appelé la contre réforme, il y a la réforme protestante et la contre réforme catholique, et l'église catholique va se remettre en cause et va le faire en particulier en réunissant un immense concile, c'est à dire une immense assemblée de tous les cardinaux qu'on appelle le concile de Trente qui est lié donc à la ville d'Italie, la ville de Trente, et ce concile va se réunir en trois séquences pendant 18 ans entre 1545 et 1563 : une première réunion entre 1545 et 1549, puis une deuxième session entre 1551 et 1552 et ensuite une autre réunion entre 1562 et 1563. Toutes les questions aussi bien dogmatiques que les questions juridiques vont y être débattues.
Il y a un point qui porte sur la question du mariage et c'est l'exemple que l'on va prendre.
François 1er est mort en 1547, et il avait annoncé très clairement que les décisions qui seraient prises pendant le concile de Trente ne seraient pas directement exécutoires dans le Royaume de France, et que les décisions de ce concile, donc les canons de ce concile, ne seraient accueillis qu'au cas par cas en fonction de la position des juristes français, et son fils Henri II adopte la même position.
En 1563, le concile adopte une réforme considérable. Il décide que désormais le mariage serait un acte public.
C'est le principe de publicité du mariage pour éviter les mariages clandestins, qui permettaient un certain nombre d'abus tels que la bigamie ou des ruptures de mariage un tout petit peu abusives, faute de pouvoir prouver son existence : deux personnes vivaient maritalement comme des gens mariés, et puis l'un des deux en quelque sorte répudiaient l'autre, et l'autre n'avait plus aucun droit parce qu'il n'y avait pas d'actes publics et d'actes officiels et d'actes écrits qui attestait la preuve de leur mariage.
Auparavant, pour prouver un mariage, il y avait un adage, parce que le droit était appris de manière très orale et donc on essayait de faire rimer les règles de droit, de les versifier pour pouvoir mieux les retenir. C'est un effort qui a été fait en particulier par par Loisel et donc la formule est la suivante "Boire, manger, coucher ensemble, c'est mariage ce me semble". Pour prouver un mariage, c'est une preuve par la possession d'état parce que des gens vivent comme des mariés, vivent maritalement, leur mariage existe.
Ce que va introduire le concile de Trente, c'est la nécessité d'une preuve et cet acte est le fameux décret Tametsi qui sont les premiers premiers mots du décret qui posent le principe de la publicité du mariage.
Conformément à ce que avaient souhaité François 1er et Henri II, cette règle ne fut pas accueillie immédiatement en droit français. Ce fut chose faite uniquement lorsqu'elle fut intégrée dans l'ordonnance de Blois de 1579 qui faisait suite aux Etats Généraux de Blois de 1576.
Ce qui est intéressant, c'est que l'ordonnance de Blois introduit en droit français la plupart des règles issues du concile de Trente mais pas toutes.
Par exemple, en principe en droit canonique, il n'est pas nécessaire, pour que le mariage soit valable, que le consentement des parents au mariage de leurs enfants existe et qu'il soit formalisé. L'église considère que chacun est libre, indépendamment de la volonté de ses parents, au fond de son coeur, de pouvoir s'engager dans les liens du mariage et que les parents n'ont pas à s'immiscer dans le choix qui est fait par leurs enfants.
Pourtant, les mentalités de l'époque à la fin du XVIe siècle ne sont pas suffisamment libérales, ne sont pas suffisamment avancées pour admettre cette logique et donc l'ordonnance de Blois va maintenir l'exigence de consentement des parents pour le mariage de leurs enfants, y compris leurs enfants majeurs, dans cette logique de verticalité des familles, d'ordre dans les familles. Cette règle est bien connue lorsqu'on assiste aux comédies rédigées par Molière, sur tel ou tel personnage qui vient supplier son père de l'autoriser à épouser la personne qu'elle aime et que le père, un petit peu obtus, a d'autres plans pour sa fille et en particulier des plans qui se conçoivent de manière essentiellement financière ou réputationnelle.
Au fond, désormais, le droit canonique ne s'impose plus en droit français, un petit peu à l'image des directives européennes aujourd'hui, les directives européennes sont énoncées par l'union européenne mais elles doivent être reçues, elles doivent être intégrées, ratifiées, incorporées dans le droit français par la loi française.
C'est un petit peu la même logique, à ceci de près que dans les règles de l'union européenne, la transcription des directives est obligatoire alors que, comme on vient de le voir, les règles de droit canonique adoptées par les conciles ne sont pas obligatoirement introduites dans le droit royal.
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