Chapitre III. Le monopole du pouvoir législatif
On a vu qu'au Moyen-Âge, les textes normatifs se limitaient aux questions d'ordre public, c'est-à-dire la paix dans le royaume, la paix intérieure, et les questions de guerre extérieure.
Qu'en est-il au XVIe et au XVIIe siècle ?
Du point de vue théorique, la chose est acquise, on l'a vu avec la pensée de Jean Bodin, c'est la volonté royale qui prévaut pour fabriquer du droit, et donc la loi royale peut porter sur tous les objets.
Dans la réalité, le roi intervient certes de plus en plus, mais de manière encore relativement limitée sur le plan législatif, parce que toute une énorme partie du droit privé est réglée soit par le droit canonique, un droit canonique qui est intégré par la volonté royale dans ses processus de ratification, le droit coutumier qui est rédigé, mais le fond du droit reste un droit qui n'est pas issu de la volonté royale.
La plupart des lois entre le XVIe et le XVIIIe siècle sont des lois qui demeurent, des lois qui portent sur ce qu'on appelle au sens large le droit public, c'est-à-dire l'ordre public.
Pour fabriquer une loi du roi ou une loi royale, c'est la même logique que pour la loi constitutionnelle actuelle : il y a d'abord un processus d'initiative, ensuite une logique de rédaction, et enfin un processus de diffusion.
Section 1 – Le processus législatif
L’initiative
En théorie, mais c'est très théorique, l'initiative appartient au roi seul. Dans la pratique, pas du tout.
D'abord, il y a un personnage tout à fait central pour l'initiative des lois du roi qui est le chancelier. Le chancelier, c'est le ministre de la justice, c'est le premier collaborateur du roi au XVIe siècle, et c'est lui qui est le meilleur connaisseur des besoins du royaume au plan de la législation.
Il va y avoir des chanceliers très actifs, des chanceliers très célèbres, qui vont œuvrer et inspirer au roi de nombreux textes législatifs. On peut penser au chancelier Michel de l'Hospital, qui devient chancelier en 1560, mais également le chancelier d'Aguesseau en 1717, ou encore le chancelier de Maupeou en 1768.
Parfois également, ce sont des ministres qui vont être à l'initiative d'une loi. Un des ministres très célèbres de Louis XIV, le surintendant des finances, Colbert, va inspirer un grand nombre de lois sur le commerce, le commerce maritime, et d'autres sujets encore.
Parfois également aussi, l'initiative appartient à de simples particuliers ou à des communautés d'habitants, des communautés de villages, qui vont envoyer une supplique au roi, et qui va avoir une conséquence législative plus tard.
Et puis, il y a aussi une influence politique de ce que l'on appelle les états généraux ou les états provinciaux. Ce sont des assemblées élues, qui rassemblent soit dans les provinces, soit au plan de l'ensemble du royaume, les trois ordres, le clergé, la noblesse et le tiers état. Et ces assemblées sont faites pour conseiller le roi au plan législatif, au plan de la réformation du royaume.
Ce qui est intéressant, c'est qu'au XVIe siècle, les fréquentes réunions des états généraux vont inspirer un certain nombre d'ordonnances. Pour donner quelques exemples, la fameuse ordonnance d'Orléans de 1561 fait suite aux états généraux d'Orléans de 1560. L'ordonnance de Blois, à propos du mariage de 1579, fait suite aux états généraux de Blois de 1576.
Après 1614, on passe dans une phase beaucoup plus absolutiste de la monarchie et les états généraux ne sont plus réunis jusqu'à cette ultime réunion qui sera celle de 1789.
L’élaboration
Ce n'est pas le roi qui rédige personnellement les textes, ce sont des proches conseillers et en particulier le chancelier qui a cette mission. En réalité, on ne sait pas exactement comment se déroule ce processus, de la même manière qu'aujourd'hui on ne sait pas exactement comment se passe le processus de rédaction d'un texte législatif dans le cadre d'un cabinet ministériel pour les projets de loi.
En tout cas, ce qui est certain, c'est que les lois apparaissent le plus souvent comme étant des lois dites de proprio motu, c'est-à-dire de la propre volonté, du propre mouvement du roi, comme si la chose était totalement spontanée.
En réalité, ce n'est pas le cas. L'initiative des lois du roi résulte d'idées qui viennent de bien d'autres que le roi, mais le roi veut indiquer qu'il est à l'origine de cette volonté, et donc on indique ce fameux proprio motu.
Mais toujours, dans les textes de loi, que ce soit des ordonnances ou bien des édits, il est indiqué que le roi recueille préalablement l'avis de son conseil. Donc vraisemblablement, une fois que le texte est mis en forme, il est soumis au conseil qui peut apporter un certain nombre de modifications.
La diffusion
En principe, le droit royal est obligatoire à partir du moment où les ordonnances ou bien les édits sont scellées et signées par le roi, signées par le roi et scellées par le chancelier. Mais il se trouve qu'il faut qu'une procédure de publicité, c'est-à-dire rendre publique, soit mise en œuvre pour que ces lois soient connues, qu'elles soient diffusées.
Et avant le temps de l'imprimerie, ça pose un problème pratique qui est un problème très important. Il faut que ceux qui sont chargés d'appliquer la loi en aient connaissance.
Ils en ont connaissance en en recevant une copie, mais des copies manuscrites.
Comment les choses se passent-elles ?
Le premier juge du roi qui est chargé de faire appliquer les lois du roi, c'est le parlement, et ce parlement va recevoir une copie de l'ordonnance ou de l'édit ou des lettres de manière générale. Ils vont recevoir une copie et puis le président de ce parlement va en donner lecture, et enfin ces documents vont être placés dans des registres pour en conserver une copie. Cette procédure s'appelle l'enregistrement et à l'occasion de cet enregistrement, des juges, qui sont des professionnels du droit, vont pouvoir faire un certain nombre de remarques et éventuellement vont faire valoir au droit, vont indiquer au roi que certaines malfaçons ont pu s'introduire dans la loi : ils vont faire ce qu'on appelle des remontrances, c'est-à-dire qu'ils vont montrer à nouveau au roi ce qu'est sa loi; ils vont faire éventuellement des représentations, c'est-à-dire présenter à nouveau au roi en suggérant quelques modifications, parce que l'on porte atteinte à des privilèges acquis, parce que l'on porte atteinte au droit d'autrui.
Et au moment de cette remontrance, en général, le roi en tient compte au Moyen-Âge et d'ailleurs bien souvent c'est le roi lui-même qui sollicite ces remontrances pour améliorer la qualité de ses propres ordonnances. Dans l'idée d'une volonté unique, on voit que la volonté est en réalité un petit peu plus partagée.
Et il faut attendre évidemment cet enregistrement pour que la loi ne soit pas seulement en vigueur in abstracto, c'est-à-dire signée et scellée, mais qu'elle soit en vigueur in concreto, c'est-à-dire qu'elle puisse être appliquée parce qu'elle est connue des magistrats.
La diffusion, pour le reste du peuple, se fait en général en criant sur les places publiques les lois du roi : c'est ce qu'on appelle une publication à corps et à cri.
A partir du XVe et du XVIe siècle, cette pratique de la remontrance va être élevée au rang de droit de remontrance, c'est-à-dire la revendication par des magistrats d'un devoir, d'une possibilité de faire des objections aux lois du roi.
Il se trouve que le XVIe, et surtout à partir du début du XVIIe siècle, c'est l'époque de l'absolutisme, et le roi n'est plus dans une logique de monarchie qui écoute, une monarchie par conseil ou monarchie par grand conseil. Le roi est dans une logique d'une monarchie très verticale et il perçoit désormais ce droit de remontrance comme une participation inacceptable à son pouvoir législatif dont il aurait l'exclusivité.
Entre le XVIe et la Révolution française, pendant trois siècles, vont se succéder des combats, des luttes avec des moments très vifs entre le Parlement de Paris et la monarchie à propos des lois du roi, parce que le monarque estime que sa seule volonté doit s'imposer et que l'enregistrement doit se faire automatiquement, et les parlements estiment qu'ils sont les gardiens de la justice des lois du roi et que lorsque le roi a été mal conseillé, lorsque sa volonté a été obrepticement ou subrepticement détournée du bien du royaume, alors il faut réformer la loi. Il y aura donc une tension extrêmement forte.
Lorsque le roi veut imposer sa volonté, il adresse ce que l'on appelle des lettre de jussion, du latin jubere, qui veut dire ordonner : il ordonne l'enregistrement immédiat de la loi sans faire de remontrance, sans faire de représentation. Mais cela échoue le plus souvent, on est dans une constitution qui n'est pas une constitution écrite, donc ce sont les pratiques et les rapports de force qui jouent considérablement.
Et puis lorsque, après des lettres de jussion, le monarque veut encore imposer sa volonté, il se déplace en personne dans ce qu'on appelle la cérémonie du lit de justice, parce qu'on déplace le trône royal, et on met en scène l'idée que la délégation du pouvoir de juger au nom et place du roi dans cette cour de parlement, que cette délégation, est comme suspendue et le roi ordonne, rejoignant ainsi son pouvoir en quelque sorte législatif et son pouvoir judiciaire. Dans ce cas, le parlement se tait et la loi est dans les registres.
Est-ce que les choses sont complètement terminées? Non, et pour une raison toute simple, qui est la suivante : les arrêts qui sont rendus sous l'Ancien Régime ne comportent pas les visas, c'est-à-dire vu la loi ceci, vu la loi cela, et que par conséquent, bien souvent, il y a toute une doctrine pour appuyer ce point de vue, bien souvent, les parlements font comme si la loi du roi n'existait pas et donc l'ignorent dans leur manière de rendre la justice.
Certains auteurs ont pu considérer que ce mécanisme de contrôle a priori des lois du roi par le droit de remontrance, et la possibilité d'écarter une loi du roi lorsque celle-ci est jugée contraire à des lois fondamentales de la monarchie, des lois fondamentales du royaume, préfigurait d'une certaine manière le contrôle de la constitutionnalité des lois telles qu'il existe dans nos constitutions modernes, qu'il s'agisse du contrôle a priori ou du contrôle a postériori.
Et d'ailleurs, de manière très symptomatique, lorsque le doyen Vedel avait voulu indiquer que lorsque le conseil constitutionnel censurait une loi, le constituant, le pouvoir de révision, avait toujours la possibilité de s'emparer du dossier, il avait appelé cela un lit de justice, reprenant ainsi l'expression qui était celle qu'on utilisait sous l'Ancien Régime.
On présente souvent l'Ancien Régime comme une période d'absolutisme, et c'est vrai. Mais on la présente aussi comme une période de toute puissance royale, et c'est faux.
De toute puissance royale concrète, à part le règne de Louis XIV où les parlements se sont tus, les règnes de ses prédécesseurs, Henri IV, Louis XIII, et de ses successeurs, Louis XV et Louis XVI, sont des règnes au cours desquels le problème est parfois beaucoup plus l'impuissance royale que l'excès de puissance royale. Il faut voir aussi dans la fin de la monarchie, et en particulier la fin du XVIIIe siècle, beaucoup plus le résultat d'une impuissance à réformer le royaume plutôt que d'un excès de puissance à réformer le royaume.
L'autre chose à retenir, c'est que l'Ancien Régime, loin d'être un État arbitraire, est véritablement un État dans lequel le droit ou les droits sont tout à fait pris au sérieux. Un auteur historien du droit a appelé ça l'État de justice, d'autres appellent ça une préfiguration de l'État de droit. En tout cas, il n'y a absolument pas de logique de la toute puissance et d'une toute puissance arbitraire.
C'est en cela d'ailleurs que Montesquieu distingue la monarchie d'Ancien Régime d'un mécanisme de despotisme tel qu'on peut le voir en Turquie à peu près à la même époque.
Section 2 – L’objet des lois du roi
Au XVIe siècle, ce n'est que timidement que la monarchie intervient dans le domaine de ce qu'on appelle le droit privé, à travers des ordonnances dites de réformation. Et au XVIIe et au XVIIIe siècle, la législation royale se fait plus précise, plus rationnelle, de sorte qu'on qualifie les lois du roi davantage d'ordonnances dites de codification.
Les ordonnances de réformation
Dans un sens strict, la réformation, c'est le contraire de ce que nous appelons aujourd'hui la réforme. Actuellement, quand un président de la République dit « je vais réformer le pays », il se projette dans l'avenir.
Au XVIe siècle, ce n'est pas tout à fait ça : on se projette plutôt dans l'immobilité. Au fond, la réformation, c'est remettre dans sa forme initiale ce que le temps a déformé, ce que le temps a corrompu.
L'Ancien Régime, c'est une époque au cours de laquelle on est très conservateur. Il y a toujours cette idée qu'il y a du danger à innover, il y a du danger à se projeter dans l'avenir grâce à la raison humaine.
On se propose plutôt de réformer, de remettre dans la forme ancienne ce que le temps, jugé corrupteur, a altéré. On va voir quand même que derrière cette présentation, la réformation consiste à ne rien changer, il y a en réalité une approche qui nous fait plonger dans la modernité et dans un certain volontarisme.
L’innovation dans la réformation
L'ordonnance de 1454, l'ordonnance de Montils-lès-Tours, avait ordonné la mise par écrit de toutes les coutumes du royaume.
C'est une innovation, car auparavant, les coutumes n'étaient pas mises par écrit. Pourtant, cette ordonnance est présentée comme une ordonnance de réformation. En effet, il s'agit de remettre de l'ordre dans le royaume après les ravages de la guerre de Cent Ans. On va réformer le royaume pour le remettre dans ce bon ordre qui est lié à ce qui précède la guerre de Cent Ans.
Autre exemple caractéristique, l'ordonnance dite de Villers-Coteret de 1539, prise par François 1er, qui se présente comme une ordonnance de réformation de la justice. Il s'agit de 192 articles par lesquels la monarchie confirme sa mainmise sur l'appareil judiciaire. Elle restreint les compétences des officialités en matière de droit canonique, et elle traite de la procédure pénale.
En réalité, ce sont beaucoup d'innovations, mais cette ordonnance de Villers-Coteret va innover sur un point tout à fait capital. Désormais, ce sont les curés de paroisses qui vont être invités à tenir des registres de baptême afin d'apporter une preuve certaine au lien de filiation, c'est-à-dire la certitude que tel enfant a pour parent tel ménage. Même chose pour des certificats de décès, des registres de décès.
C'est pourtant présenté comme une ordonnance de réformation, parce qu'il y a cette idée qu'avoir des registres bien tenus, c'est faciliter le mode de preuve, de prouver la filiation, et donc c'est toujours dans le sens d'une amélioration et d'une conservation de la justice.
Et puis, cette ordonnance est très célèbre pour une autre raison, c'est qu'elle est la première à ordonner que les actes juridiques soient rédigés aussi en français, en langue vernaculaire, en une langue qui soit comprise par les justiciables.
Là encore, il s'agit d'une très grande innovation qui influe considérablement sur l'application du droit de la justice. A cette époque, la bonne application du droit qui concerne la justice n'est pas tout à fait considérée comme du droit privé, mais comme quelque chose qui concerne le bon ordre du royaume, et donc l'ordre public au sens large du terme.
En réalité, cette idée de remettre dans la forme ancienne est l'occasion pour le roi de prendre des initiatives législatives tout à fait significatives.
Le désordre apparent des ordonnances de réformation
Les ordonnances de réformation se présentent de manière un petit peu fourre-tout, un petit peu comme une suite d'articles sans lien très direct parfois les uns avec les autres. Par exemple, pour l'ordonnance de Moulin de 1566, les articles vont concerner les itératives remontrances, les remontrances réitérées, et puis l'interdiction faite aux justices municipales de s'emparer d'affaires de droits civils au-delà d'un certain montant, l'obligation de la preuve écrite pour certains contrats, etc.
Cette ordonnance, qui se présente d'ailleurs comme une ordonnance de police générale du royaume, passe d'un sujet à un autre sans ordre. On doit se dire que c'est une logique étrange que quelqu'un qui fait le droit soit fouillis.
En réalité, ce n'est pas du tout illogique, parce que bien souvent, ces ordonnances sont le résultat d'assemblées, qu'on appelle les états généraux, par lesquels le roi va consulter ce que sont les besoins de son royaume. Ces états généraux vont faire remonter vers le pouvoir central un certain nombre de doléances, un certain nombre de besoins des sujets, et ces ordonnances sont une réponse à ces sujets.
Ces sujets étant de différentes natures, les réponses sont de différentes natures.
Ces ordonnances de réformation donnent un aspect un petit peu patchwork, mais c'est en réalité parce qu'on est encore dans une monarchie qui est assez largement consultative, une monarchie qui n'est pas encore totalement dans la logique de l'absolutisme, qu'on va voir apparaître au XVIIe siècle.
On doit noter d'ailleurs que cette tendance à des lois un petit peu fourre-tout, des lois un petit peu patchwork, est une tendance que nous retrouvons au XXIe siècle, avec des lois qui s'intitulent "loi portant diverses mesures touchants à la stimulation ou à la modernisation de l'économie".
En réalité, on ne sait pas exactement de quoi il en retourne, et les articles de ces lois viennent se loger dans différents codes pour modifier telle ou telle disposition.
Les ordonnances de codification
Louis XIV se retrouve roi de France en 1643 à l'âge de 5 ans. C'est sa mère, Anne d'Autriche, qui assure la régence, et ce n'est seulement en 1661 que le roi Louis XIV prend véritablement en main les affaires de l'État.
Mais il se trouve aussi que dans son enfance, en 1648, Louis XIV a vécu un assez grand traumatisme, qui est l'épisode de la Fronde, au cours duquel une partie de la noblesse et une partie aussi des parlements se sont rebellés contre l'autorité royale.
Louis XIV veut abandonner cette logique de la monarchie consultative, d'aucuns l'ont appelée, comme Philippe Sueur, une monarchie participative. L'expression est employée par des historiens du droit.
Et il va essayer de faire accepter ces ordonnances, non parce qu'elles seront acceptées et souhaitées par ces sujets, mais plus parce que ces ordonnances vont être parfaites, vont être rationnelles, vont être composées avec un esprit de rigueur tout à fait excellent. Et au fond, l'approbation des sujets viendra plus de l'admiration que l'on aura pour la législation royale que pour le fait d'y avoir participé.
Dans cette catégorie des ordonnances de codification, on en retient généralement quatre.
Les ordonnances de procédure de 1667 et 1670
La première, c'est ce qu'on appelle l'ordonnance civile de 1667. C'est une ordonnance civile qui, il faut faire attention à cela, ne préfigure pas le code civil, mais qui préfigure le code de procédure civile.
En réalité, cette ordonnance veille à ce que l'ensemble des moyens de preuve devant les juridictions civiles et que l'ensemble du déroulé du procès civil soit identique dans tout le royaume. On ne touche pas au fond du droit, mais on se contente d'analyser et de veiller à ce que la procédure, la manière de procéder devant les tribunaux soit identique dans tout le royaume.
La deuxième ordonnance est celle de 1670, qu'on appelle l'ordonnance criminelle. Cette ordonnance criminelle est, comme l'ordonnance civile, non pas un code pénal ou une préfiguration du code pénal, mais plutôt une préfiguration du code de procédure criminelle ou du code de procédure pénale.
Là encore, il s'agit d'avoir une grande unité dans l'administration de la preuve et dans le déroulé du procès, le rôle du parquet, du rôle de l'accusation, le rôle de la défense.
Pourquoi chercher à unifier la procédure sans chercher à unifier le fond ? On a vu que le fond, on avait cherché à l'unifier, mais ça n'avait pas abouti. Il s'était agi de ce qu'on a appelé le mouvement du droit commun coutumier qui n'a pas abouti. Mais en revanche, unifier la procédure était quelque chose de très important parce que dans ce royaume de France de la fin du XVIIe siècle puis du XVIIIe siècle, on circule davantage.
Il faut que, lorsque des personnes qui sont jugées devant différents tribunaux dans le royaume, ils puissent y avoir cette même manière de procéder devant les juridictions.
Et puis aussi, c'est bien montrer, pour le roi de France, une forme d'unification de son royaume à travers l'ensemble des juridictions dont désormais assurément le roi a une maîtrise parfaite.
Les ordonnances du commerce et de la marine
Les deux autres ordonnances dites de codification sont des ordonnances qui vont toucher au fond des choses. Il y a d'abord l'ordonnance du commerce et il y a également l'ordonnance de la marine.
L'ordonnance du commerce est datée de 1673 et l'ordonnance de la marine de 1681. Ce sont des ordonnances très intéressantes sur la manière de les construire.
Le roi réunit autour de ses ministres des commissions de travail qui vont essayer de repérer tout ce que sont les bonnes pratiques en matière de commerce et de droit du commerce, ce qu'on appelle la loi des marchands, la lex mercatoria.
Et ils vont confier, pour l'ordonnance du commerce, à un certain Savary - c'est pour ça qu'on a appelé cette ordonnance du commerce le code Savary - cette collection de toutes les pratiques, et Savary va sélectionner parmi ces pratiques celles qui sont jugées les meilleures, les plus saines pour l'économie et c'est ce qui va lui permettre de faire cette ordonnance du commerce dont un certain nombre de dispositions seront reprises par Napoléon dans son code du commerce de 1807.
S'agissant de la marine, c'est un petit peu le même procédé. On va essayer de voir ce qui se fait dans le commerce maritime international où les pratiques sont essentiellement coutumières et on va reprendre ce que sont les meilleures pratiques pour les hisser au rang de droit royal.
On va sortir de la logique coutumière pour avoir un droit sûr, un droit écrit, un droit désormais incontestable et beaucoup des dispositions de l'ordonnance de la marine sont reprises également au XVIII et au XIXe siècle après l'Ancien Régime.
Les ordonnances du XVIIIe siècle
Les ordonnances du XVIIIe siècle se situent dans un contexte tout à fait différent, parce qu'au XVIIIe siècle, après la mort de Louis XIV, on commence à être dans une logique de contestation de la monarchie absolue.
L'idée même que le roi puisse peser sur le droit privé, sur la vie des gens, est considérée comme un pouvoir excessif. La vie des gens doit concerner d'abord les pratiques, les coutumes, parce que la loi du roi n'est pas une loi présentée comme issue de la volonté de cette société.
Quand la loi vient d'en haut, même si elle est parfaite, si elle est rationnelle, à l'époque de Louis XIV, ça marche un peu moins au XVIIIe siècle. On va avoir cette revendication qu'il faut laisser aux différentes provinces du royaume la capacité à fabriquer elles-mêmes leurs droits et dans la spécificité des pratiques locales.
La conséquence, évidemment, c'est que le mouvement de codification du droit français est extrêmement ralenti, quasiment stoppé. Il faudra d'ailleurs attendre l'époque napoléonienne, et pas la Révolution, pour qu'un pouvoir très puissant parvienne, avec beaucoup de verticalité et de force, à imposer un code civil, à imposer un code pénal, un code de procédure civile, de procédure criminelle, de commerce et autres.
Il y a trois ordonnances principales du XVIIIe siècle : l'ordonnance sur les donations de 1731, l'ordonnance sur les testaments de 1735 et l'ordonnance sur les substitutions de 1747, la substitution étant un outil juridique visant à préserver l'intégrité d'un patrimoine dans une même famille.
Ces ordonnances sont préparées après la consultation d'un très grand nombre d'experts et les résultats viennent toujours très lentement, avec beaucoup de contestations.
Ces ordonnances portent sur ces questions de patrimoine familial car, désormais, à l'intérieur du royaume, on circule davantage, il est important de sécuriser les patrimoines familiaux avec un droit qui se prend à un droit à peu près unique.
À la veille de la Révolution, le roi dispose, en matière juridique, d'une puissance absolue, de sorte que, d'un point de vue strictement théorique et d'un point de vue juridique, le roi a le pouvoir de légiférer sur toute matière. Mais, et ça c'est très important, la légitimité du roi repose sur la tradition. La tradition, c'est-à-dire le fait qu'il soit issu d'une lignée qui, au moment de la Révolution, a 800 ans, et puis sans compter les précédentes dynasties.
Et donc, comment être quelqu'un qui est ancré dans la tradition et quelqu'un qui se projette vers l'avant ? C'est un paradoxe.
Avoir le pouvoir législatif, c'est se projeter dans l'avenir, mais en même temps, être légitime, c'est maintenir l'existant, et c'est réformer en tremblant, ce qui fait que la monarchie, en réalité, légifère relativement peu, dans le domaine du droit privé.
S'agissant, en revanche, du domaine de l'implantation de l'État, c'est-à-dire dans le domaine de ce qu'on appelle le droit public, alors le droit va faire preuve davantage d'esprit d'initiative, et il va permettre une véritable construction de l'État.
Mais un droit organisationnel, un droit qui consiste à régler des procédures ou qui consiste à régler des institutions entre elles, ce n'est pas tout à fait la même chose qu'un droit qui concerne les relations qu'entretiennent les particuliers les uns avec les autres. Cette partie du droit, le strict droit privé, le droit civil, va très largement rester extérieur au pouvoir normatif royal jusqu'à la Révolution.
Section 3 - La dilatation du champ d’intervention du roi par la voie normative
On considère en général que la monarchie, avant la Révolution donc, n'intervient pas dans le droit privé et se contente d'intervenir dans le domaine du droit public ou de l'ordre public. Autrement dit, les coutumes, le droit canonique et le droit romain restent des droits qui échappent à la législation royale.
Globalement, cette formulation des choses est plutôt vraie mais il est très important de comprendre que malgré tout, cette notion de droit public ou cette notion d'ordre public va aller sans cesse se dilater, et que les domaines qui vont être considérés comme strictement du droit privé, échappant au domaine d'intervention du roi, va aller se rétrécissant.
Pour le dire autrement, la définition que nous avons aujourd'hui du droit privé et la définition que nous avons aujourd'hui du droit public ne sont pas identiques aux définitions qui avaient cours à la fin de l'Ancien Régime. Tout ce qui concerne l'ordre, le bon ordre du royaume, l'expression qu'on emploie à l'époque, le repos du royaume, c'est-à-dire le calme, tout ce qui concerne le bon ordre du royaume relève du droit public. C'est en réalité très large.
On va donner un certain nombre d'illustrations, de distinctions entre cette notion d'ordre public ancienne et la notion telle qu'elle est aujourd'hui présentée.
- Premier point, l'administration de la justice relève du bon ordre du royaume.
Aujourd'hui, en faculté de droit, un cours d'institution judiciaire relève plutôt du champ du droit privé. Sous l'Ancien Régime, les institutions judiciaires relèvent du droit public pour une raison très simple, c'est que la justice étant au cœur de l'harmonie sociale et l'harmonie sociale étant la condition de l'ordre et du bon ordre, on doit considérer que la bonne organisation des juridictions, la bonne organisation des institutions judiciaires relève du droit public.
D'ailleurs, sous l'Ancien Régime, il est très rare que la fonction d'administration et la fonction de juridiction soient distinguées. Beaucoup d'agents du roi, depuis le Moyen-Âge, avec le bailli, qui était à la fois un administrateur et un juge, beaucoup d'agents du roi, sous l'Ancien Régime, vont être considérés comme ayant des fonctions d'administration, mais qui sont aussi amenés, dans un certain nombre de domaines, à trancher des différents. Donc, créer des juridictions, réformer les juridictions, réorganiser la justice relève du bon ordre public.
De la même manière, le bon fonctionnement de la justice, avec les ordonnances de procédure, l'ordonnance civile et l'ordonnance criminelle de 1667 et de 1670, ces ordonnances de procédure sont considérées comme relevant, là encore, du droit public et du champ d'intervention royal.
- Deuxième élément, le droit pénal.
Le fait de poursuivre et de punir des délinquants est considéré depuis 1789 comme relevant plutôt du droit privé, parce qu'on s'appuie d'abord sur les articles 7, 8 et 9 de la Déclaration de 1789, c'est-à-dire sur les droits dont bénéficient, contre la toute-puissance de l'État, les personnes susceptibles d'être poursuivies et d'être jugées.
Sous l'Ancien Régime, on a le raisonnement inverse. En réalité, on considère que c'est la société, donc le public, qui doit se protéger contre ceux de ses membres qui nuisent à son bon ordre, qui nuisent à son harmonie. Et donc, le droit de poursuivre et de châtier les délinquants est assurément considéré comme une matière qui relève du droit public.
- Troisième catégorie très importante, ce que l'on appelle la police.
Aujourd'hui, on a deux formes de police : la police préventive et la police répressive. C'est la distinction entre la police dite administrative et la police judiciaire.
En réalité, la notion de police sous l'Ancien Régime n'a pas tout à fait le même sens. D'abord, ça n'identifie pas des agents, une catégorie de fonctionnaires, mais la police identifie d'abord une fonction. Ce qui consiste à polisser la société, faire en sorte que cette société fonctionne de manière harmonieuse et dans le bon ordre.
Ainsi, par exemple, la question des métiers, la réglementation des métiers, éviter les contrefaçons ou les pièces qui seraient défectueuses, est considérée comme relevant de la police. La question des subsistances, pour éviter les disettes, pour éviter qu'une ville soit en situation de famine, faute d'approvisionnement, relève de l'autorité publique et relève, là encore, de la police.
De la même manière, le commerce et l'industrie sont des matières que l'on considère comme des matières qui intéressent la puissance du royaume, et donc, là encore, cela relève du droit public.
On voit que cette notion de police est très large. Là encore, relève de la police tout ce qui va concerner l'administration des cultes. On ne se place pas du point de vue du droit dont dispose chacun de croire, de ne pas croire, de cesser de croire, etc. ou de se convertir. On se place du point de vue, d'abord, d'une monarchie qui est une monarchie de droit divin avec un ancrage catholique tout à fait certain. Mais également, on se place du point de vue du souvenir des guerres de religion. Et on sait que lorsqu'il y a trop de liberté religieuse dans le royaume, c'est une source de désordre.
On considère, évidemment, aujourd'hui, que ce sont des droits qui appartiennent aux individus. La conception des choses sous l'Ancien Régime est tout à fait différente.
- Quatrième élément, avec l'ordonnance de Villers-Cotteray qui prévoyait que les actes de baptême, les mariages, les décès devaient figurer dans des registres, qui préfigurent les registres d'état civil, qui étaient des registres paroissiaux.
C'est la raison pour laquelle, quand des généalogistes, aujourd'hui, cherchent à remonter l'histoire de leur famille, c'est facile d'aller jusqu'au XVIe siècle. Au-delà du XVIe siècle, c'est extrêmement difficile parce qu'il n'y a plus de traces, il n'y a pas de registres paroissiaux. Cette tenue de ces registres est considérée, là encore, comme une matière qui relève du bon ordre public, parce qu'avoir la certitude de la preuve de l'identité et du régime juridique qui s'applique aux personnes, célibataire, mariée, filiation, mort d'une personne pour les successions, tous ces domaines-là, qui sont source de très grandes querelles juridiques, sont rationalisés et mis en bon ordre grâce à cette ordonnance.
De la même manière, l'ordonnance de loi qui introduit dans le droit français les décrets du concile de Trente pour lutter contre les mariages clandestins, cette ordonnance qui va concerner la publicité des mariages, là encore, est considérée comme un élément tout à fait essentiel du bon ordre dans l'État. Et puis, on peut enfin mentionner le fait que tout simplement, relève aussi d'une logique de droit public, non pas le contenu des coutumes, mais le fait de mettre par écrit les coutumes du royaume pour garantir à chacun davantage de sécurité juridique.
La notion de droit public lato sensu, c'est-à-dire au sens large, est beaucoup plus importante qu'elle ne l'est aujourd'hui, et que tous ces domaines qui concernent l'ordre public ou le droit public font l'objet d'une législation royale.
Jusqu'à la Révolution française, en principe, le roi n'intervient pas en matière de droit privé, seulement en matière de droit public, mais le rapport de proportion entre ce qui relève du public et ce qui relève du privé est très largement modifié à la faveur du droit public et non du droit privé.
Section 4 – La forme des lois du roi
La Monarchie s'est abstenu de ranger les textes qui sont produits par la chancellerie, par l'exécutif, par les parlementaires, et par l'administration royale dans des catégories très précises, très étanches. Ce n'est pas du tout comme ce que nous connaissons aujourd'hui, où on a la Constitution, la loi, le décret, les arrêtés qui sont très précisément définis par la constitution ou par d'autres normes.
Sous l'Ancien Régime, on n'a pas ce type de présentation et donc la classification des lois du roi, la classification des actes du roi est plutôt le fait de ce qu'on appelle des diplomatistes, des spécialistes de diplômes royaux, c'est-à-dire d'actes authentiques produits par le roi et qui vont essayer de trouver des critères pour classifier ces actes.
Une des classifications qu'on connaissait déjà pour le Moyen-Âge, c'est de dire qu'il y a une partie des actes qui sont des normes particulières, c'est-à-dire qui s'adressent à une personne ou à un petit groupe de personnes, et puis des normes générales, qui contrairement aux privilèges, s'adressent à tous.
Autre critère de classification, les lettres dites sur requête, c'est-à-dire des lois qui répondent à une attente, un besoin formulé par des sujets — cela peut être par une ville, par une corporation professionnelle, par un groupe d'habitants quelconque. Et par opposition à ces lettres sur requête, les lettres dites de propre mouvement, c'est-à-dire des lettres qui sont conçues par le roi alors que personne ne lui a demandé. On appelle ces lettres en latin de proprio motus, de propre mouvement.
Cette classification s'étoffe un peu au XVIIe et XVIIIe siècle, et on trouve quatre types de normes : les lettres patentes, les ordonnances sans adresse ni sceau, les lettres closes, et enfin les arrêts du conseil du roi.
Les lettres patentes
L'expression s'emploie toujours au pluriel, on ne dit pas une lettre patente. Ça vient du latin patens, qui signifie ouvert; cela signifie que ce sont des parchemins qui sont ouverts à la vue de tous, ils ont pour vocation d'être portés à la connaissance de tous, par opposition aux lettres closes qui, elles, sont enroulées, sont fermées et qui ne vont être découvertes et ouvertes que par leur destinataire.
Dans ces lettres patentes, on a toujours ce qu'on appelle une subscription qui mentionne le nom du roi, en réalité le prénom, on indique "Louis, par la grâce de Dieu, roi de France et de Navarre", mais ça peut être Henri ou ça peut être un autre prénom de roi, Charles éventuellement. Ensuite, il y a ce qu'on appelle l'adresse, qui est là pour indiquer le souci de publicité.
Pour les petites lettres patentes, il est indiqué "à tous ceux qui les verront", qui sont des lettres patentes qui en principe n'ont pas d'effet perpétuel, les petites lettres patentes n'ont pas d'effet perpétuel. En revanche, les grandes lettres patentes indiquent "à tous ceux présents et à venir". Ce qui le « est à venir » signifie que ces lettres ont vocation à être maintenues de manière perpétuelle.
Pour distinguer les petites lettres patentes des grandes lettres patentes, on a un autre indice qui est la couleur du cachet, la couleur du seau. Il faut de la cire jaune pour les petites lettres patentes et de la cire verte pour les grandes lettres patentes.
Vient ensuite un moment très important qui est le préambule. Dans les textes d'Ancien Régime, l'équivalent de l'exposé des motifs dans les lois actuelles, le préambule indique la raison pour laquelle le roi intervient par la voie normative. Le préambule va comporter des justifications. Et ces justifications ont une importance tout à fait cruciale parce que de la qualité de ces justifications et de cette capacité à convaincre de ces justifications va dépendre l'autorité de la loi. Cela peut paraître un peu bizarre de se dire que l'autorité de la loi varie selon la qualité de cette exposition. En réalité, nous le connaissons bien aujourd'hui, même si toutes les lois sont censées être respectées, on voit qu'il y a bien des lois qui font l'objet d'un très large consensus et qui sont facilement appliquées, facilement approuvées, et il y a aussi des lois qui font l'objet d'un plus faible consensus.
Donc le préambule pour le roi est très important parce qu'il est là pour permettre à tous ceux qui vont devoir appliquer ces ordonnances, ces édits, ces déclarations, d'être convaincus et de la faire d'autant mieux appliquer. Il faut bien comprendre que sous l'Ancien Régime, le problème n'est pas tellement la question du pouvoir législatif royal, il a le pouvoir législatif royal. La question c'est plutôt de faire appliquer la loi du roi, ce qui est beaucoup plus compliqué, beaucoup moins évident.
Ensuite, on a ce qu'on appelle le dispositif. Le dispositif, c'est ce que nous connaissons très habituellement en droit : ce sont les articles qui peuvent être rangés en différents livres, en différents titres, en différents chapitres.
Le texte s'achève sur ce qu'on appelle la formule exécutoire qui indique qu'il ordonne à tous ceux qui sont concernés d'appliquer et de faire appliquer le texte, et puis il y a la signature. Le roi signe toujours de son prénom et sans mentionner son numéro. Il indique également l'année de son règne.
Et puis il y a également un contreseing par un secrétaire d'État. Le sceau royal est apposé sur ce qu'on appelle des lacs, des petits cordons qui sont là pour joindre les parchemins les uns avec les autres.
Ces lettres patentes sont soumises à un enregistrement par les parlements, par les cours souveraines, et ce moment de l'enregistrement est un moment qui peut être un petit peu long et qui peut être un petit peu conflictuel.
Les grandes lettres patentes
Il y a deux catégories de grandes lettres patentes, les ordonnances et les édits.
L'ordonnance est l'acte législatif le plus solennel que connaisse la monarchie. Ce sont des textes qui en général sont assez copieux, assez longs. Ce sont des textes qui s'adressent à tous, à tous les sujets, par-dessus les privilèges sociaux ou par-dessus les privilèges territoriaux, et ce sont des textes qui portent sur des matières très importantes, comme la justice, comme la police du royaume.
Parfois, ces lettres patentes contiennent des contenus un petit peu disparates, un peu comme ce dont on a parlé lorsqu'on a évoqué les ordonnances de réformation au XVIe siècle, qui étaient des ordonnances un petit peu patchwork, tout simplement parce que ces ordonnances de réformation étaient des ordonnances bien souvent sur requête à la suite d'États généraux.
Au siècle suivant, les grandes ordonnances, les grandes ordonnances dites de codification sont plutôt des ordonnances dites de propre mouvement à l'initiative du roi lui-même. Et elles sont beaucoup mieux classées, beaucoup mieux ordonnées.
C'est le XVIIe, c'est le grand siècle. C'est cette notion de parfaite symétrie et d'ordonnancement classique qui prévaut.
Ce sont des ordonnances qui vont réformer un pan du droit, par exemple la procédure en matière civile ou la procédure en matière pénale, comme on l'a vu à propos des ordonnances de codification.
La deuxième catégorie de grandes lettres patentes, ce sont les édits. Les édits portent sur un sujet particulier ou sur une catégorie déterminée de sujets du roi, par exemple un groupe social.
L'exemple très caractéristique est l'édit de Nantes, qui est un édit de 1598 et qui porte sur la fin des guerres de religion, sur la tolérance religieuse, et qui va fixer en réalité les droits et les devoirs limités des protestants sur le territoire du royaume.
Officiellement, bien sûr, assez souvent, ces édits sont adoptés à l'initiative du roi, à des propriétaires au-dessus. Dans la réalité, il arrive assez fréquemment que ce soit des requêtes et le résultat de négociations finalement assez âpres.
Les petites lettres patentes
Ce sont des textes qui ont un effet en principe temporaire et ce sont des textes d'une très très grande diversité. On peut les classer en cinq catégories, des catégories qui peuvent toujours être discutées et mises en cause.
- Il y a d'abord la catégorie des concessions de privilèges, donc des privilèges accordés à une communauté d'habitants, à une ville, ou bien à une personne en particulier, ou encore à une organisation professionnelle ou à un corps ou à une communauté professionnelle.
- La deuxième catégorie, ce sont les lettres de grâces. C'est le droit de grâce dont dispose le roi qui consiste à revenir sur les effets, non pas sur la décision de justice, mais sur les effets de la décision de justice en général pour atténuer les rigueurs de la peine. Donc, ça peut être des lettres dites de rémission, de pardon, de réhabilitation, ou bien des lettres de commutation de peine, c'est-à-dire qu'on transforme une peine en une autre et une peine, en général, plus légère.
- Il y a troisième catégorie, les lettres de justice. Les lettres de justice ont comme caractéristique d'être des mesures d'exception judiciaire qui résultent du paiement d'une taxe par le justiciable, c'est-à-dire qu'en payant une taxe, on va modifier la décision de justice, ce qui peut paraître aujourd'hui assez archaïque et assez scandaleux, que les décisions de justice soient modifiées avec de l'argent, mais c'est quelque chose qui se pratique sous l'Ancien Régime. Bien souvent, quand même, le motif pour lequel cette modification a lieu, c'est pour un motif d'équité.
- Quatrième catégorie, ce sont les lettres dites de sceaux plaqués, qui sont en fait des instructions adressées à des administrateurs.
Toutes ces catégories d'actes, les quatre premières, ce sont des intérêts qui ne sont pas des intérêts absolument généraux, contrairement aux grandes lettres patentes.
- La dernière catégorie, ce sont les déclarations. En principe, les déclarations ont vocation à préciser, à interpréter une autre loi, qui est une loi de plus grand prestige, comme une ordonnance ou un édit. Étant donné qu'il s'agit d'interpréter une règle de portée générale, en principe, la déclaration a elle aussi une portée générale, ce qui est en effet bien souvent le cas, mais pour autant, parce que les déclarations ont le cachet de cire jaune, du point de vue des catégories diplomatiques, ce sont des petites lettres patentes, même si elles pourraient être légitimement rattachées à la catégorie des grandes lettres patentes.
Les ordonnances sans adresse ni sceau
Ce sont des ordres formulés par le roi qui sont assez laconiques, assez secs. Ils commencent "De par le roi" et elles sont suivies d'un exposé des motifs qui s'achèvent par une formule elle aussi assez sèche : "Sa majesté a ordonné et ordonne ce qui suit". Et puis ensuite on a le dispositif qui est rédigé de manière impersonnelle.
Ces ordonnances sont datées, elles sont signées par le roi et sont contre-signées par un secrétaire d'Etat. Mais elles ne sont pas scellées, sans adresse ni sceau. Et parfois elles ont simplement le cachet personnel du roi et non pas le cachet du royaume.
Caractéristiques très importantes, ce sont des lettres qui n'ont pas vocation à être enregistrées par les parlements, par les cours souverains.
Le style est assez sec : ce sont des ordres très sobres, très précis. Ce sont des actes qui sont pris dans le domaine du pur régalien : Rex Regis, c'est le roi.
Ce qu'on appelle le domaine régalien aujourd'hui, c'est l'armée, la police, les affaires étrangères, ce qui touche vraiment à la sûreté de l'Etat. Et c'est la raison pour laquelle le chancelier n'est pas consulté, de la même manière que les parlements et les courts souverains ne sont pas invités à enregistrer ces textes.
Il porte sur l'organisation de l'armée terrestre, ou bien l'organisation de la marine, l'organisation également de la police, ou plus encore de ce qu'on appelle la haute police, qui est touchée à des questions d'espionnage, des questions de sûreté de l'Etat. Et puis également, c'est la forme que prennent les déclarations de guerre.
Ici on touche au cœur du fonctionnement de l'Etat, mais dans sa dimension sûreté de l'Etat, dans cette dimension quasi proche de la notion de recours à la force.
Il y a un autre domaine dans lequel les ordonnances sans adresse ni sceau sont utilisées, c'est le domaine qui concerne l'organisation interne de ce qu'on appelle la maison du roi, c'est-à-dire la question de l'organisation des ministères et l'organisation de l'entourage royal.
Ce sont des domaines dans lesquels le roi n'estime pas qu'il doit partager cette compétence, ou en tout cas, devoir se justifier sur ce type de compétence quand il s'agit d'officiers qui dépendent directement de lui.
Les lettres closes
Elles sont signées par le roi en personne, parfois, mais elles sont signées également par ce qu'on appelle un secrétaire de la main, c'est-à-dire un conseiller du roi qui est chargé d'imiter sa signature. Elles sont également contre-signées par un ministre.
Les lettres closes sont closes, c'est-à-dire qu'elles sont fermées, elles sont marquées du sceau du secret et elles sont marquées par le sceau personnel du roi et non pas le sceau du royaume qui est utilisé pour les lettres patentes. Les destinataires sont invités à décacheter cette lettre closes et à en prendre connaissance.
Ces lettres sont utilisées pour s'adresser, par exemple, à un souverain étranger, à un prince ou à un particulier de très haut rang, donc c'est une marque d'estime, une marque de prestige.
Également, ces lettres sont utilisées pour donner des ordres, pour donner des instructions à des grands serviteurs de l'État, mais c'est aussi un moyen de ce que l'on appelle la correspondance administrative, c'est le moyen qui est utilisé pour confier des tâches, en particulier aux intendants, quand en réalité, il faut que la relation entre le roi et son agent soit une relation directe.
Il y a une catégorie particulière de lettres closes parce qu'elle a particulièrement été l'objet de la chronique à la veille de la Révolution et au moment de la Révolution, ce sont les fameuses lettres de cachet.
Les lettres de cachet qui ont eu une très mauvaise réputation parce qu'on estimait qu'il s'agissait d'enfermer de manière tout à fait arbitraire des personnes en prison, sans aucun procès, sans aucune forme. Et c'est exact.
Mais peut-être qu'avoir quelques précisions sur la manière dont fonctionnent les lettres de cachet nous permettra d'avoir une vision plus juste de ce qu'est ce fonctionnement sous l'Ancien Régime en évitant les caricatures.
Les lettres de cachet sont restées célèbres parce qu'elles ont scandalisé les parlements. Les parlements ont dit que ce sont des actes particuliers et pour eux la lettre de cachet est un acte profondément illégal. C'est assez absurde parce que, étant donné que le roi est souverain et qu'il a toute puissance, dire que le roi commet une illégalité est quelque chose qui peut paraître surprenant.
Mais pour autant sous l'Ancien Régime, on attache de l'importance à un respect des formes. La volonté royale est un pouvoir de dernier mot, mais le roi doit toutefois respecter un certain nombre de formes et pour les parlements, et les lettres de cachet ne respectent pas ces formes. Assez souvent, les lettres de cachet ont été prises à la demande de familles pour assigner à résidence un membre de cette famille ou pour emprisonner un membre de cette famille lorsqu'il s'agissait d'un membre qui allait déshonorer le nom de la famille, un membre qui avait un comportement scandaleux.
La lettre de cachet, au fond, c'est une façon discrète d'éviter un procès qui serait tout à fait spectaculaire. D'ailleurs, ce qui est intéressant, c'est que quand les lettres de cachet étaient sur la demande d'un membre de la famille d'emprisonner un cousin ou d'emprisonner une autre personne, c'est la famille elle-même qui assume les frais d'enfermement.
Donc, il s'agit bien, en effet, de soustraire un individu au cours de la justice ordinaire, mais bien souvent, la lettre de cachet réserve un sort plus clément que celui qui aurait été réservé à ce même individu s'il avait été jugé par la justice ordinaire, c'est-à-dire par les parlements. Il faut donc nuancer cette notion d'arbitraire parce qu'on est plutôt dans une logique d'arbitrage avec une certaine bienveillance de la part du roi plutôt que cette arbitraire, c'est-à-dire cette idée de simple caprice royale.
Malgré tout, les lettres de cachet ont fait l'objet d'une très vive critique à la fin de l'Ancien Régime pour la raison suivante : elles ont été trop nombreuses et les ministres avaient quelques fois des centaines de lettres de cachet qui étaient préparées et qui étaient en blanc. Il suffisait d'ajouter le nom de la personne qui serait le destinataire.
Ces lettres de cachet sont fortement dénoncées par Voltaire, par Diderot. Certains futurs révolutionnaires ou certains écrivains scandaleux vont être victimes de lettres de cachet. On pense par exemple pour un écrivain au marquis de Sade ou pour un révolutionnaire, le comte de Mirabeau, Gabriel de Mirabeau, qui a été embastillé par lettres de cachet.
Ce mode d'action, de mode de lettres closes qui était censé rester un mode d'acte tout à fait exceptionnel a eu tendance à se banaliser et ce qui était tout à fait injustifié et ce qui sera très fortement critiqué et un objet de délégitimation de la monarchie.
Les arrêts du conseil du roi
Le conseil du roi est la première juridiction du royaume parce que le pouvoir royal, en vertu de sa prérogative de justice retenue, peut terminer un différend à tout moment.
Mais en principe les décisions de justice, les arrêts pris dans le conseil ne concernent que les parties à ce procès. Il se trouve que la forme de l'arrêt du conseil du roi est également utilisée sous l'Ancien Régime, non pas pour trancher un différend juridique entre deux personnes mais pour se prononcer sur des questions d'administration, des questions de gouvernement.
Et ces arrêts du conseil sont adoptés à l'initiative bien souvent des ministres. Ce sont par la force des choses des textes dont la portée est générale et qui vont être utilisés paradoxalement comme un moyen de gouvernement, des arrêts du conseil qui ressemblent à ce que l'on appellerait aujourd'hui des décrets qui auraient cette portée générale et cette vocation permanente.
Quelquefois on distingue l'arrêt simple de l'arrêt en commandement. L'arrêt simple est rendu par le conseil en l'absence du roi, souvent il s'agit du conseil d'état privé, finance et direction du roi; l'arrêt en commandement est rendu en présence du roi dans ce qu'on appelle les conseils de gouvernement à partir de 1661, ce qu'on appelle en particulier le conseil d'en haut.
En réalité, arrêt simple ou arrêt en commandement ça ne change absolument rien du point de vue de la valeur juridique. Les arrêts en commandement sont adoptés sur des sujets de plus grande importance et en particulier sur les questions financières.
Sur le plan de la forme, les arrêts du conseil sont très sommaires, très brefs, on rappelle les données de l'affaire arrivées devant le roi et puis on indique ce qu'est la décision. Quand il est écrit "le roi en son conseil", ça signifie que le roi n'est pas physiquement présent et lorsqu'il est indiqué "le roi étant en son conseil", alors on suggère ici que le roi est physiquement présent pour trancher l'affaire.
Ces textes ne sont pas scellés, il n'y a pas de sceau royal, c'est pour ça que ce ne sont pas à proprement parler des lettres mais bien des arrêts. Les destinataires reçoivent une copie authentique de l'extrait du registre du conseil du roi, l'original évidemment demeure aux archives royales.
Pour la monarchie, les arrêts du conseil sont un moyen très pratique de gouverner, en particulier lorsque les parlements se montrent assez offensifs ou assez véhéments contre la monarchie. Parce qu'ils ne sont pas scellés, ils n'ont pas à être enregistrés par les cour souveraines et donc pour la monarchie, c'est l'assurance que ces ordres seront exécutés de manière immédiate et pour autant les arrêts du conseil ont la même valeur juridique, la même autorité que les lettres patentes. On voit bien la tentation qui peut être celle du roi d'utiliser les arrêts du conseil lorsqu'il craint que les parlements ne lui résistent.
Mais le fait d'avoir abusé en quelque sorte de ce procédé, de prendre des arrêts du conseil qui ne sont pas des décisions judiciaires mais qui sont beaucoup plus des actes de portée générale, ce mécanisme a eu des effets pervers et un certain nombre de cour souveraines tout simplement se sont abstenus de les faire appliquer. Ils estiment que, étant donné que le roi essaie de contourner l'autorité des parlements en utilisant ce procédé, en contrepartie le parlement n'est pas tenu d'appliquer ces arrêts.
Par ailleurs, le roi a eu tendance, en particulier au XVIIIe siècle, à utiliser des arrêts du conseil pour des matières tout à fait secondaires et qui concernaient des détails, et donc c'est l'autorité, le prestige des arrêts du conseil qui s'en est ressenti : quand on utilise une forme très solennelle pour des choses très dérisoires, l'autorité et le prestige de ces actes s'en ressent.
Quelques éléments de conclusion sur la situation juridique à la veille de la Révolution.
À la veille de la Révolution, le roi intervient toujours uniquement dans le domaine du droit public, même si ce droit public est fortement dilaté et il n'intervient pas dans le domaine du droit privé, mais ce domaine du droit privé est fortement rétréci.
Mais il y a un autre paradoxe : pour réformer l'État, pour faire avancer l'État sur la voie d'une certaine modernité au XVIIe et au XVIIIe siècle, la monarchie s'est faite très volontariste, c'est-à-dire qu'elle a beaucoup agi dans une volonté très verticale, en s'appuyant sur la notion de souveraineté. Et cette volonté très active a provoqué toutes sortes de résistances; on a mentionné largement la résistance des parlements, et on pourrait évoquer la résistance d'un certain nombre de villes, la résistance de la noblesse, la résistance également d'un certain nombre de corporations, c'est-à-dire des corps intermédiaires, et donc il y a quelque chose de difficile et de paradoxal sous la monarchie d'être à la fois dans une logique de volonté, se projeter vers l'avenir, alors même que le critère de la légitimité est celui de l'hérédité, celui du respect du passé, celui du respect de la tradition.
Et ce paradoxe va se faire particulièrement frappant à la veille de la Révolution, où on accuse ceux qui accusent la monarchie d'être absolutistes et parfois arbitraires, ne seront pas ceux qui seront les principaux acteurs de la Révolution, mais plutôt des gens qui sont dans une logique que l'on dirait rétrograde, ceux qui veulent que l'on revienne à une monarchie par plus grand conseil, à une monarchie telle qu'elle était pratiquée avant le XVIIe siècle, avant les règnes de Louis XIII et de Louis XIV.
Donc au XVIIIe siècle, la contestation contre l'absolutisme n'est pas spécialement une contestation révolutionnaire, mais plutôt une contestation réactionnaire, c'est-à-dire qu'il réagit à ces évolutions et qu'il veut revenir au passé.
Alors dans ce conflit, qui va gagner ? En réalité, ni l'un ni l'autre. Ceux qui vont gagner, ce sont plutôt des gens qui sont dans une logique volontariste et non dans une logique rétrograde, mais un volontarisme qui sera pris en main, qui sera pris en charge par un autre titulaire de la souveraineté que le roi, et ce titulaire de la souveraineté sera la nation.
Ce qui est très intéressant, c'est de comprendre qu'entre l'Ancien Régime et la Révolution, tout a changé, sauf une seule chose : le concept de souveraineté comme puissance absolue, mais cette puissance absolue va être mise à la disposition non pas du roi, comme sous l'Ancien Régime, mais de la nation à travers son incarnation à partir du 17 juin 1789, qu'est l'Assemblée Nationale. Et cette Assemblée va se montrer extraordinairement hostile à tout cet appareil judiciaire d'Ancien Régime, les parlements vont s'éclipser très lentement, toutes ces administrations qui freinaient le pouvoir royal sont éclipsées, la Révolution veut réformer d'en haut, veut réformer par la loi et c'est la raison pour laquelle, en France, il n'a pas été question de contrôle juridique de la validité de la loi, ce qu'on appelle le contrôle de la constitutionnalité des lois, qui aurait été inenvisageable pour la Révolution, et il faut attendre 1958, il faut attendre 1971 et cette décision du Conseil Constitutionnel, Liberté d'Association, pour que la loi soit de nouveau contrôlée par des magistrats, par des juges, des juges constitutionnels, d'une certaine manière comme elle l'était sous l'Ancien Régime par les parlements.
La Révolution se fait héritière très largement du volontarisme tel qu'il avait cours du côté des plus modernistes de la monarchie et les conservateurs, eux, sont littéralement balayés.
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