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Chapitre 2 : Les techniques d’interprétation

L'interprète a à sa disposition un ensemble de procédés techniques qui viennent du fond des âges et qui sont toujours très utilisés aujourd'hui. La difficulté est que cette multitude désordonnée de règles d'interprétation indiquent souvent des directions contradictoires.

Par hypothèse, la loi à interpréter est obscure, sinon il n'y a pas lieu de l'interpréter, et il n'est pas rare que plusieurs interprétations puissent en être proposées, fondées les unes comme les autres, sur divers arguments techniques.

La bonne interprétation, concrètement, ce sera celle que retiendra en définitive la Cour de cassation. Mais ça va prendre éventuellement du temps.

En attendant, les interprètes s'efforcent de proposer celle qui leur paraît la plus justifiée, et c'est la plus convaincante en pratique, qui sera vraisemblablement suivie. On espère qu'elle convaincra le juge. Et si une interprétation est bien argumentée, il y a de bonnes chances, en effet, que ceci se produise.

Est-ce que cela est contrariant, que nous puissions avoir plusieurs interprétations d'un même texte ? S'agissant de la musique, une œuvre va bien être interprétée différemment par tel ou tel artiste, et au fond, il n'y a rien de choquant, il en va en droit, comme dans les autres arts.

Alors, une chose est cependant certaine, il faut commencer par expliquer grammaticalement le sens du texte à interpréter. Et c'est ensuite que les choses se compliquent, lorsqu'il faut choisir parmi les divers arguments les maximes d'interprétation qui s'offrent à l'interprète.

Section 1 : L’interprétation grammaticale

C'est une interprétation purement explicative, de base. Elle passe par la recherche du sens des mots et aussi de la prise en compte de la construction du texte.

La recherche du sens des mots

Ceci est particulièrement nécessaire pour certains mots, pour ceux qui ont un sens technique inconnu de la langue courante, et qui n'ont d'ailleurs qu'un sens technique en droit. Alors là, il faudra absolument le préciser.

Par exemple, si on rencontre le mot « apériteur », c'est un mot inconnu de la langue courante. C'est un mot que l'on rencontre dans le droit des assurances. L'apériteur, c'est un assureur qui, dans la co-assurance, est chef de file. C'est à lui qu'il faudra s'adresser pour obtenir le paiement de l'indemnité de l'assurance. L'apériteur se vient d'ailleurs du latin aperoaperire, ouvrir, c'est le chef de file.

« Holographe », de même, est un adjectif qui est inconnu de la langue courante, qui vient du grec : « holos », et « graphein », « écrire en entier ». Et ça ne s'applique en droit, d'ailleurs, qu'au testament, le testament holographe, celui qui est écrit en entier de la main du testateur.

Il est important aussi de préciser le sens des mots lorsque ceux-ci sont polysémiques, c'est-à-dire qu'ils ont plusieurs sens. Parfois un sens dans la langue courante, et puis un sens dans la langue juridique.

Par exemple, le mot « répétition » a un sens dans la langue courante. C'est la réitération d'une action, ou la redite d'un mot, d'une idée. Mais dans la langue juridique, le mot « répétition » a un sens différent. Il désigne la restitution de ce qui a été versé, et cela dans l'article 377 du Code civil. C'est même très précisément dans ce sens-là, et seulement qu'on l'utilise en droit. La restitution de ce qui a été versé indûment, c'est la répétition de l'indu.

Et puis, parfois, il arrive que des mots aient plusieurs sens dans la langue juridique elle-même.

Par exemple, le terme « aliment ». Dans la langue courante, les aliments désignent la nourriture des êtres vivants. Mais, dans la langue juridique, aliment a deux sens juridiques.

  • Dans l'article 205, "les enfants doivent des aliments à leurs pères et mères et autres ascendants qui sont dans le besoin". Le terme ici désigne non seulement la nourriture, mais en réalité tout ce qui est nécessaire pour la vie courante. Tous les besoins de la vie, la nourriture, le logement, les vêtements, les soins médicaux, vont faire partie de ce qu'on appelle l'obligation alimentaire. Le mot a un sens plus large dans la langue courante.
  • Mais on retrouve le mot en droit des assurances. Dans les polices sur stock, avec des stocks flottants. Si une entreprise veut assurer ses stocks, mais ceux-ci fluctuent, on va avoir une obligation faite par l'assureur à l'assurer de faire des déclarations d'aliments pour indiquer quels sont les teneurs exacts de ses stocks. Cela n'a plus rien à voir avec le sens de l'article 205, simplement ce qui est entré dans les stocks.

Alors avec une question, évidemment, en présence d'un mot polysémique, est de comment déterminer le sens à retenir. Il faut avoir égard à l'ensemble du texte et retenir le sens pertinent pour cette disposition-ci. Et il est important aussi de prendre en considération le contexte, c'est-à-dire ce qui entoure le texte.

Se trouve-t-il ce texte dans un code ? Dans quel code ? Dans quel chapitre ? Avec quels intitulés ? Tout cela est décisif pour éclairer le sens des mots.

Par exemple, si on ouvre le code civil à l'article 1326, on va tomber sur l'acte sous seing privé, plus exactement le titre qui constate un contrat unilatéral.

Qu'est-ce que le titre ici ? Cet article 1326 se trouve dans une section intitulée « De l'acte sous seing privé » : le titre dont parle l'article 1326, est un acte sous seing privé et non pas un acte authentique.

Alors, avec une précision, parfois la place d'un texte n'est pas décisive de son interprétation pour le sens des mots. Certains textes ont une portée plus large que leur place dans le code ne le laisse entendre.

C'est ainsi, par exemple, que tout ce qui concerne les obligations conventionnelles en général, et le régime de ces obligations conventionnelles, est en réalité applicable aussi aux obligations non conventionnelles.

La prise en compte de la construction des textes

Pour bien expliquer un texte, il faut aussi avoir égard, une fois le sens des mots précisés, à la manière dont le texte est construit. Ses divers alinéas, leur enchaînement logique, la ponctuation aussi, les mots auxquels renvoient les pronoms qui peuvent être utilisés dans le texte, tout ça est très important.

Par exemple, dans l'article 1643 du Code civil, on peut lire que "« il » est tenu des vices cachés, quand même « il » ne les aurait pas connus, à moins que dans ce cas « il » n'ait stipulé qu'« il » ne sera obligé à aucune garantie".

Mais qui est donc ce « il » ? En regardant avant, en ayant connaissance de l'histoire. Si on regarde juste l'article précédent, l'article 1642-1, ça ne va pas tellement éclairer, parce qu'il a été ajouté, il a été intercalé entre l'article 1642 et l'article 1643. À l'article 1642, on voit qu'on parle dedans du vendeur.

Le vendeur n'est pas tenu des vices apparents, l'article 1643 enchaîne, dans la structure initiale du Code civil, « il » est tenu des vices cachés, « il » c'est bien sûr le vendeur.

Et cette construction de ce texte est très intéressante, quand même il ne les aurait pas connus, même s'il ne connaissait pas les vices cachés, à moins que "dans ce cas", cas où il n'a pas connu les vices cachés. Alors dans ce cas, le vendeur peut stipuler une clause de non-garantie.

Cest la construction même du texte qui permet d'éclairer tout simplement le sens. Il est très important aussi, au sujet de la construction, de tenir compte de la ponctuation. La place d'une virgule peut être décisive sur le sens du texte.

Par exemple, une décision de la Cour de Cassation du 29 juin 1960, qu'on trouve au JCP 1960, deuxième partie, numéro 11787, où c'est la virgule à tel endroit qui a été décisive sur le point de savoir si telle catégorie ou nombre de personnes était imposée à telle taxe.

Cependant, l'interprétation ne se limite pas à l'explication purement grammaticale du texte.

Section 2 : Les arguments d’interprétation logique

Bien souvent, il est possible de tirer logiquement des conséquences non-exprimées en s'appuyant sur certains arguments d'interprétation logique. Ces arguments conduisent à dégager dans la règle de droit des sens indirects qu'on appliquera à des situations non-exprimément prévues.

Lorsqu'une situation concrète correspond exactement à l'hypothèse, au présupposé de la règle, c'est tout simple, il s'agit purement et simplement d'appliquer la règle, même sans l'interpréter.

Mais que faire lorsqu'une situation concrète est assez proche de l'hypothèse, sans lui correspondre exactement ? Doit-on appliquer tout de même la règle, par extension, ou au contraire refuser de l'appliquer ?

Une interprétation logique permet souvent de répondre à cette question, et on a à notre disposition trois arguments.

L’argument a pari (par analogie)

Une situation n'est pas réglée par le droit, pourtant une difficulté se pose qui appelle une solution. Or, une règle de droit est prévue pour un cas assez voisin.

Si la raison d'être de la règle se retrouve à l'identique dans l'autre solution, on étendra l'application de cette règle à cette autre situation. La similitude de raison impose logiquement que l'effet soit le même. Et c'est ce que l'on dit parfois en latin, ubi eadem est legis ratio ibi eadem est legis dispositio. On appelle l'argument par analogie, ou a pari.

Un exemple : les effets du mariage putatif. Le mariage putatif c'est un mariage qui est annulé parce qu'il y a une cause de nullité.

Il est annulé mais l'un des époux ou les deux époux étaient de bonne foi parce qu'ils ignoraient la cause de nullité au moment de la célébration du mariage. Alors, dit l'article 201 du code civil, ce mariage produit ces effets à l'égard de l'époux ou des époux de bonne foi. Comprenons, il est annulé seulement pour l'avenir, mais le passé demeure.

Mais que faire au sujet d'une prétention exprimée par l'un des époux à la suite de la nullité d'obtenir de la part de l'autre, celui qui a le plus de moyens, un versement pécuniaire, une pension alimentaire, une prestation compensatoire ? La loi ne dit rien de très précis.

La situation est très proche de celle d'un divorce qui n'opère lui que pour l'avenir et ne remet pas en cause le passé. Or, quand le mariage est déclaré putatif, l'annulation ne produit des effets que pour l'avenir. On s'inspire de ce qui existe en cas de divorce : en cas de divorce, l'époux qui a les moyens les plus importants va être amené à verser une prestation compensatoire à l'autre époux. Est-ce qu'on ne pourrait pas étendre cette règle, l'article 270 du Code civil, qui est prévue par la loi ? Au cas de la nullité, elle est prévue pour le divorce, on l'étend au cas de la nullité parce que la raison d'être est la même.

C'est exactement ce qu'a fait la jurisprudence en raisonnant par analogie, en le disant très clairement.

L’argument a fortiori

C'est un argument, un raisonnement assez voisin du précédent, mais ici la raison d'être de la règle posée pour une situation connue se retrouve avec encore plus de force dans la situation non réglée par une règle.

À plus forte raison, on appliquera cette règle. Et c'est l'extension d'une disposition par un raisonnement a fortiori.

Un exemple classique : un arrêt de la Chambre civile du 21 mai 1856 sur la question de l'opposition au mariage par le ministère public, question qui a longtemps été non réglée par la loi, la loi qui prévoyait seulement la possibilité pour le ministère public d'agir après la célébration en nullité du mariage dans certains cas.

Mais si le ministère public peut agir en nullité après la célébration, à plus forte raison, il faut qu'il puisse s'opposer à la célébration s'il a connaissance avant de la cause de nullité, à plus forte raison. C'est exactement ce qu'a décidé la jurisprudence qui avait reconnu ainsi par interprétation des textes sur la nullité la possibilité de l'opposition du ministère public, alors que les textes sur l'opposition n'en parlaient pas, ils évoquaient seulement l'opposition des parents.

L’argument a contrario

Il consiste à renverser la règle exprimée et à appliquer la solution contraire dans une situation différente et qui paraît opposée.

Par exemple, on va à l'article 2061 du Code civil, "la clause compromissoire est valable dans les contrats conclus à raison d'une activité professionnelle", mais qu'en est-il des autres contrats ?

La clause compromissoire, c'est la clause qui prévoit le recours à l'arbitrage en cas de difficulté ultérieurement. En raisonnant a contrario, on va dire que la clause est nulle dans les contrats qui ne sont pas conclus à raison d'une activité professionnelle.

Un autre exemple très célèbre qui est l'article 334-9 du code civil. C'est un texte qui a vécu de 1972 à 2005, maintenant il a disparu du Code civil, mais tout de même c'était une controverse fantastique au sujet de son interprétation.

Article 334-9 : "toute reconnaissance est nulle lorsque l'enfant a une filiation déjà établie par la possession d'état".

La possession d'état, c'est le fait de tenir l'enfant pour le sien, ou que l'enfant tienne les parents pour les siens, que la société reconnaisse comme tel, etc. Raisonnement a contrario, une reconnaissance est valable quand l'enfant n'a pas de filiation établie par la possession d'état, mais seulement par son acte de naissance. Et c'est ce raisonnement qui finalement a été retenu par la jurisprudence.

La difficulté est que très souvent, sinon toujours, là où le raisonnement a contrario est possible, le raisonnement a pari ou par analogie, ou a fortiori, l'est aussi. Et on peut dire que derrière tout raisonnement a contrario se cache la possibilité d'un raisonnement par analogie et inversement.

Et c'est là un couple indissociable qui se neutralise dans l'esprit de l'interprète, si bien que ses arguments d'interprétation sont facultatifs pour l'interprète qui doit choisir, au fond, le meilleur, la plus convaincante dans un cas donné.

On peut prendre une métaphore : celle de l'après-ski et de l'après-rasage.

L'après-ski, c'est le nom qu'on donne à des chaussures qu'on peut utiliser après le ski. Mais est-ce qu'on ne pourrait pas les utiliser aussi avant d'aller faire du ski ? Bien sûr, si ça marche après le ski, ça marche avant le ski. Extension par analogie. Et l'après-rasage, c'est une lotion que l'on met après le rasage. Mais est-ce qu'on ne pourrait pas la mettre avant ? Bien sûr que non. On raisonne a contrario : ce n'est que pour après.

Sur l'article 334-9, on pouvait mener aussi un raisonnement par analogie : on pouvait dire que la reconnaissance est également nulle lorsque l'enfant a une filiation déjà établie par un titre et pas seulement par la possession d'Etat, et certains ont soutenu ce raisonnement.

Donc, il fallait choisir le meilleur. Par analogie ou a contrario, la Cour de cassation a choisi l'a contrario.

Sur l'article 2061 du Code civil, on aurait pu aussi raisonner par analogie. La clause compromissoire est également valable dans les autres cas. Et on a choisi au contraire le raisonnement a contrario, notamment parce qu'il permettait de revenir à un principe qui, au fond, avait été exprimé jusque-là, jusqu'à la nouvelle version de cet article 2061.

L'ancien texte disait que "toute clause compromissoire est nulle s'il n'en est disposé autrement par la loi". Mais le texte est modifié : "la clause compromissoire est valable dans les contrats conclus à raison d'une activité professionnelle". Il faut comprendre, seulement dans cela. Le principe n'est plus exprimé, mais il est toujours là.

Il y a tout de même un élément qui permet souvent de choisir entre le raisonnement a contrario et le raisonnement par analogie : lorsque on est en présence d'une règle exceptionnelle, raisonner a contrario permet de retourner à un principe auquel la règle exceptionnelle vient apporter une exception. Au fond, il est toujours bon de donner une assez grande portée au principe et une portée réduite à l'exception.

L'article 6 nous dit qu'on ne peut, par des conventions particulières, déroger aux lois qui intéressent l'ordre public, a contrario, on peut déroger par des conventions particulières aux lois qui n'intéressent pas l'ordre public.

Et là, nous revenons au principe : celui de la liberté contractuelle.

L’induction suivie de déduction

La méthode ici consiste à partir d'une série de dispositions particulières, à en induire un principe plus général qui recouvre les situations visées par ces dispositions particulières, mais d'autres encore, puis à déduire de ce principe général une nouvelle solution dans une situation particulière, mais qui n'a pas été expressément visée par une règle.

Un exemple : à l'article 725, on peut découvrir que l'enfant simplement conçu au moment de l'ouverture d'une succession est appelé à succéder.

À l'article 906, on a au fond la même chose : l'enfant simplement conçu peut recevoir une donation.

De ces règles particulières, on peut induire un principe plus général : l'enfant simplement conçu sera considéré comme né chaque fois qu'il y va de son intérêt. Puis, on procède à une déduction de ce principe général.

L'enfant simplement conçu va pouvoir faire l'objet, par exemple, d'une reconnaissance. Longtemps, la loi n'a pas parlé de la reconnaissance prénatale, mais on en a déduit la validité de ce principe général qu'on avait su dégager.

Ou alors, on va pouvoir dire que l'enfant simplement conçu peut être bénéficiaire d'un contrat d'assurance sur la vie. La loi ne le dit pas, mais on déduit cette solution du principe plus général induit de certains textes.

Section 3 : Les maximes d’interprétation

Dans sa boîte à outils intellectuels, l'interprète trouve encore à sa disposition diverses maximes exprimant des procédés d'interprétation utilisés depuis des temps immémoriaux, et qui peuvent servir à forger l'interprétation la plus convaincante.

Mais là encore, ce ne sont que des procédés facultatifs à sa disposition.

Les exceptions sont d’interprétation stricte

Le premier procédé, la première maxime, les exceptions sont d'interprétation stricte, ça se dit aussi en latin, Exceptio est strictissimae interpretationis.

Ceci signifie que lorsque la loi admet une exception à un principe qu'elle pose par ailleurs, cette exception doit être enfermée dans le strict domaine que lui assignent les termes employés, et que si l'on hésite entre plusieurs sens, on choisira le sens qui permet de donner le champ le plus étroit à l'exception pour réserver, évidemment inversement, au principe le champ le plus large possible.

Un exemple : la loi limite la possibilité de stipuler des clauses d'indexation, c'est-à-dire qui permettent de faire varier le montant d'une obligation. C'est une exception ici à la liberté contractuelle qui est le principe. On retiendra une interprétation stricte des dispositions encadrant la clause d'indexation, et c'est ce qu'a fait la jurisprudence, elle l'a dit très clairement. Mais il faut savoir aussi que la jurisprudence ne suit pas toujours cette maxime, et qu'elle n'a pas hésité parfois à interpréter assez largement certaines exceptions.

Spécialement tout ce qui concerne le droit des incapacités, c'est une exception puisque la règle c'est la capacité; mais dans le droit des incapacités on a souvent vu des interprétations extensives des textes.

Là où la loi ne distingue pas, il ne faut pas distinguer

Cela se dit encore ubi lex non distinguit, où la loi ne distingue pas. En latin, ce n'est pas la peine souvent de signifier la fin de la maxime, mais on peut le dire quand même : nec nos distinguere debemus, nous non plus nous ne devons pas distinguer.

Lorsqu'une loi est conçue en termes généraux, l'interprète ne doit pas chercher à en réduire la portée en y introduisant des distinctions.

La loi cesse là où sa raison d’être disparaît

Encore en latin, cessante ratione legis, cessat ejus dispositio.

L'hypothèse est celle où un conflit apparaît entre la lettre et l'esprit de la loi. Sa lettre commande apparemment de l'appliquer dans une situation précise, mais sa raison d'être ne se retrouve pas dans cette situation. Alors il ne faut pas l'appliquer.

On peut donner un excellent exemple en provenance de l'article 1325 du code civil. Ce texte, qui prévoit la formalité dite du double original pour la confection des actes sous seing privé, destinés à prouver les contrats synalagmatiques qui fournissent des obligations à la charge des deux partis, deux originaux, pour que chaque parti puisse avoir en sa possession le moyen de preuve lui permettant d'obtenir l'exécution de l'obligation de l'autre.

Mais voici que dans une situation, on convient de remettre à un tiers un original. Et ce tiers sera chargé de représenter l'original aussi bien pour l'une que pour l'autre des parties, autant qu'elles en auront besoin. Alors faut-il dans ce cas-là confectionner la preuve en deux originaux ? Non, va décider la Cour de cassation, dans ce cas, ça n'est pas nécessaire.

Ou encore, voici qu'au moment où l'acte destiné à faire la preuve du contrat synalagmatique est dressé, une partie a déjà exécuté ses obligations. Il ne reste plus que celle de l'autre partie qui a besoin d'un original seulement, la partie qui reste créancière, pas celle qui a déjà été exécuté, ou du moins pas celle qui est encore débitrice plus exactement. La Cour de Cassation a décidé que dans un tel cas, la règle de l'article 1325 cessait aussi de s'appliquer.