Chapitre III. La vie des droits subjectifs
L'acquisition des droits subjectifs
Un droit subjectif est un pouvoir juridiquement reconnu à un individu. Quels événements sont susceptibles de procurer ces droits, ces pouvoirs aux individus ?
Par exemple, voici qu'une créance porte sur le versement d'une somme d'argent. Paul est créancier de Jean, il peut exiger de Jean que celui-ci lui verse la somme, par exemple, de dix mille euros. Quelle peut être la source de cette créance ? Il peut s'agir éventuellement d'un prêt, Jean a emprunté une somme d'argent à Paul et c'est un prêt entre les deux, mais il peut aussi s'agir d'un événement qui n'a pas du tout été voulu : Jean par inadvertance a pu causer un dommage à Paul et le montant de l'indemnité que Jean doit est l'objet de la créance de réparation qui vient de prendre naissance.
Autre exemple, une personne a un droit de propriété sur un appartement, mais pourquoi a-t-elle ce droit de propriété ? Cela peut être parce qu'elle a acquis ce bien en concluant un contrat, un contrat de vente avec le précédent propriétaire, ou bien parce que le père de cette personne est décédé sans testament, et du seul fait de ce décès, cette personne est devenue propriétaire, a succédé à son père, et la propriété lui a été transmise.
Alors on s'aperçoit à travers ces exemples qu'il y a deux grandes sources d'acquisition des droits subjectifs : des manifestations de volontés, ou de simples faits. Il peut s'agir de faits ou d'actes juridiques, permet d'acquérir tantôt des droits nouveaux, il s'agira alors de mode originaire d'acquisition de droits subjectifs, ou bien d'acquérir des droits qui existaient déjà et qui sont simplement transmis à celui qui les acquiert, et on parle alors de mode dérivé d'acquisition des droits subjectifs.
La distinction des actes juridiques et des faits juridiques
Les actes juridiques
Notion d'acte juridique
Quelques exemples d'actes juridiques : le contrat de vente d'une maison, le contrat de prêt d'une somme d'argent, le contrat de location d'un appartement ou d'une voiture, le contrat de donation d'un bien ou alors le leg d'une certaine somme ou d'une chose par un individu qui fait son testament.
Il y a toujours dans l'acte juridique une manifestation de volonté : volonté du vendeur et de l'acheteur, volonté du testateur, c'est-à-dire l'auteur du testament, l'acte juridique est un acte de volonté, ce qui suppose d'ailleurs que celui ou ceux qui ont manifesté cette volonté l'ait fait de manière consciente et libre. Si on avait forcé cette volonté ou si elle avait été surprise par le fruit d'une erreur, l'acte juridique risquerait d'être nul.
Pour constituer un acte juridique, cette manifestation de volonté doit être orientée vers la production d'un effet juridique. L'auteur de l'acte a l'intention de créer un droit subjectif ou bien de transmettre un droit subjectif ou encore de l'éteindre.
Ainsi, dans le contrat de prêt, il y a une volonté de créer une créance de remboursement au profit du prêteur; dans le contrat de location, une volonté de créer un droit pour le locataire d'utiliser la chose qui lui est louée; dans la vente, une volonté de transmettre la propriété du bien vendu.
Acte juridique : L'acte juridique est une manifestation de volonté destinée à produire un effet de droit intentionnellement recherché par son auteur.
Classification des actes juridiques
Contrats latéraux et bi(pluri)latéraux Il y a des classifications des actes juridiques : elles dépendent du rapport sous lequel on appréhende les actes juridiques.
D'abord, la classification des actes unilatéraux et des actes bilatéraux ou plurilatéraux. Cette classification repose sur le nombre de personnes qui sont parties à l'acte, c'est-à-dire qui y expriment une volonté. Lorsqu'un acte est la manifestation de la volonté d'une seule personne, on parle d'acte juridique unilatéral. Un exemple : le testament, un acte juridique unilatéral parce que le testateur y est seul à manifester sa volonté.
Il est vrai que les légataires gratifiés par le testament auront à l'avenir à dire s'ils acceptent ou non le lègue, mais ce sera après le décès de l'auteur de ce testament et, en réalité, ce sera seulement pour refuser éventuellement les biens qui leur ont été transmis par l'effet du testament, parce que ce testament aura produit son effet dès le décès du testateur par l'effet, donc, de cette seule volonté.
Autre exemple, la reconnaissance d'un enfant hors mariage, c'est un acte de volonté unilatérale qui émane de son auteur.
Lorsqu'au contraire, un acte juridique suppose la manifestation de volonté de plusieurs personnes, mais qui poursuivent un intérêt distinct, alors l'acte juridique est dit bilatéral s'il y a deux personnes, ou plurilatéral s'il y en a plus de deux.
Le contrat est le type même de l'acte juridique bilatéral ou plurilatéral s'il y a plusieurs parties ayant des intérêts distincts : c'est un accord de volonté créateur d'obligation.
L'article 1101 du Code civil évoque cette idée : "Le contrat est un accord de volontés entre deux ou plusieurs personnes destiné à créer, modifier, transmettre ou éteindre des obligations". Il y a aussi des conventions qui ne créent pas des obligations, on les appelle convention tout simplement.
Le plus souvent, le contrat crée des obligations à la charge des deux parties : on dit alors que c'est un contrat synallagmatique.
Le contrat est synallagmatique lorsque les contractants s'obligent réciproquement les uns envers les autres.
— Article 1106 du Code Civil (alinéa 1)
La vente c'est vraiment l'archétype du contrat synallagmatique : le vendeur s'oblige à transférer la propriété d'une chose, à remettre une chose à l'acquéreur, et l'acquéreur s'oblige à payer le prix de cette chose. Ce sont des obligations réciproques.
Un autre grand contrat synallagmatique est le contrat de bail. Par le contrat de bail, le propriétaire d'une chose, le bailleur, s'oblige à mettre cette chose à la disposition de son locataire. Réciproquement, le locataire s'oblige lui à payer le loyer de ce qui lui a été loué, et puis il s'oblige aussi à certaines obligations secondaires en plus, comme celle d'effectuer de menus réparations. Le propriétaire lui n'a pas que l'obligation de mettre la chose à disposition, il a également l'obligation d'effectuer des grosses réparations.
Parfois, il arrive qu'un contrat ne fasse naître d'obligation qu'à la charge d'une seule partie : c'est un contrat, mais une seule se trouve obligée.
Il est unilatéral lorsqu'une ou plusieurs personnes s'obligent envers une ou plusieurs autres sans qu'il y ait d'engagement réciproque de celles-ci.
— Article 1106 du Code Civil (alinéa 2)
L'exemple type, c'est la donation. La donation fait naître une obligation seulement pour le donateur. Le donataire, lui, va recevoir la chose qui lui est donnée, mais ne prend pas d'obligation réciproque en contrepartie. C'est bien un acte de volonté : il faut un accord de volonté pour réaliser une donation; le donateur et le donateur doivent être d'accord, mais c'est un accord de volonté qui ne fait naître d'obligation qu'à la charge d'une seule des parties.
C'est un acte juridique bilatéral, c'est un contrat, mais c'est un contrat unilatéral parce qu'il ne fait pas naître d'obligation à la charge des deux parties.
Actes à titre gratuit et des actes à titre onéreux.
- Dans les actes à titre onéreux, chaque partie recherche un avantage en contrepartie de celui qu'elle fournit. Dans la vente, le vendeur cherche un avantage : récupérer la somme d'argent, en contrepartie de la propriété qu'il transfère à l'acquéreur et réciproquement.
- Dans le bail, le locataire cherche un avantage, la jouissance des locaux et en contrepartie de l'avantage qu'il fournit, le paiement du loyer et réciproquement.
- Dans le prêt d'une somme d'argent avec des intérêts, le prêteur à intérêts cherche des avantages, la perception des intérêts et en contrepartie de celui qu'il fournit, la mise à disposition de la somme d'argent pendant toute la durée du prêt.
Dans les actes à titre gratuit, une personne qui est émue par une attention libérale, par un désir de bienfaisance, cette personne cherche à transmettre un bien ou à rendre un service mais sans contrepartie.
C'est l'exemple du testament avec un leg, on envisage de gratifier certaines personnes après sa mort, acte juridique bilatéral et en même temps acte à titre gratuit. C'est également l'exemple de la donation, c'est un contrat, acte juridique bilatéral mais en même temps acte à titre gratuit, puisqu'il va y avoir un avantage sans contrepartie. C'est aussi l'exemple du prêt à usage; par exemple d'une bicyclette, voici un acte de bienfaisance, le prêteur ne récupérera en contrepartie aucun avantage. S'il s'agit d'une somme d'argent en contrepartie de la mise à disposition de la bicyclette, ce n'est plus d'un prêt, mais un contrat de location.
Le mandat lui est aussi très fréquemment un acte à titre gratuit. Le mandant demande à une personne, le mandataire, de le représenter pour effectuer un acte juridique auquel le mandant ne peut pas participer ou bien de voter à sa place (une procuration), le mandataire va effectuer ce service, signer l'acte juridique, ou mettre un bulletin de vote le jour des élections sans contrepartie à son profit.
Le plus souvent, le mandat est un acte à titre gratuit, ce qui n'exclut pas que parfois le mandataire soit rémunéré, mais ce n'est pas l'hypothèse la plus fréquente.
Actes de disposition, des actes d'administration et des actes conservatoires, ou purement conservatoires
C'est une distinction qui repose sur la plus ou moins grande gravité des actes.
En allant du plus grave au moins grave :
- acte de disposition : c'est celui qui a pour effet de faire sortir un droit du patrimoine ou bien qui a pour effet de diminuer la valeur du droit de façon durable. L'archétype de l'acte de disposition, c'est le contrat de vente, un bien va sortir du patrimoine du vendeur. La donation, la constitution d'une hypothèque (l'appartement va se trouver grevé d'un droit réel pendant toute la durée du prêt, et ce droit réel affecte durablement la valeur de cette propriété qui est celle de celui qu'il souhaite emprunter).
- actes d'administration : ce sont des actes de gestion par lesquels on entend améliorer, conserver ou simplement faire fructifier son patrimoine. L'exemple le plus simple, c'est la location d'un appartement, le propriétaire d'un appartement va percevoir des loyers. Il faut faire attention : c'est vrai pour l'appartement, ce ne le serait pas pour la location d'un fonds de commerce. Ce contrat de bail de location est encadré par une législation extrêmement dense qui donne de nombreux droits aux locataires, aux preneurs, des droits tellement importants qu'en réalité la location d'un fonds de commerce va être considérée comme un acte de disposition et ce sera la même chose pour des biens ruraux.
- acte conservatoire : c'est une mesure d'attente qui vise à préserver l'avenir. Par exemple, ce sera la position de sceller en attendant qu'une situation s'éclaircisse.
Actes entre vifs et les actes à cause de mort
Les actes entre vifs sont destinés à produire leurs effets du vivant de leur auteur, par exemple le contrat de vente, la donation (c'est un contrat entre vifs parce que le donateur se dépouille immédiatement de ses biens).
Les actes à cause de mort ne sont faits qu'en considération du décès d'une personne et sont destinés à produire leurs effets après ce décès. Par exemple, le testament qui ne produit d'effet qu'à partir de ce décès et qui d'ailleurs peut toujours être modifié avant le décès, c'est un acte de dernière volonté, ou bien à l'assurance vie en cas de décès. Le bénéficiaire désigné par le souscripteur du contrat d'assurance va recevoir la somme prévue au contrat, c'est l'assureur qui la lui versera, mais exclusivement après le décès.
Les faits juridiques
Définition
Fait juridique : Le fait juridique est un fait, un événement auquel le droit attache des conséquences, sans que ces conséquences aient été recherchées par une personne.
Par exemple, un cycliste un peu distrait heurte un piéton au croisement de deux rues alors que le piéton traversait sur un passage protégé. Une créance de réparation vient de naître, en raison d'un fait : on ne peut pas dire que le cycliste ait cherché à produire cet effet de droit, à faire naître la créance, il était distrait. C'est une règle de droit objectif qui, à partir de ce fait, fait naître le droit subjectif, ici l'article 1383 du Code Civil qui oblige celui qui a causé par sa faute d'imprudence ou de négligence un dommage à autrui à réparer le dommage.
L'application de cette règle du droit objectif de l'article 1383, dans la situation de fait qui nous intéresse, conduit à reconnaître l'existence d'un droit subjectif au profit de la victime de cet accident.
C'est cette créance de réparation des dommages qui lui ont été causés, le pantalon du piéton est abîmé, il a perdu du temps parce qu'il a fallu aller se faire soigner puis il a eu mal, c'est le prix de la douleur.... Donc une obligation vient de prendre naissance, c'est un fait juridique qui crée cette obligation, le fait c'est l'accident causé par la faute du cycliste.
Classification
Plusieurs catégories de faits juridiques peuvent être discernées : les faits naturels ou matériels, et les faits de l'homme.
Faits naturels ou fait matériels
Il y a d'abord des faits naturels ou des faits matériels.
Par exemple, des termites sont venus dans une maison qui l'abiment. C'est un fait, mais à ce fait, une règle de droit objectif attache des conséquences et le propriétaire de la maison se trouve maintenant dans l'obligation d'aller signaler cette infection de sa maison par les termites à la mairie et vraisemblablement de prendre des mesures pour traiter les poutres, de traiter les boiseries de sa maison pour essayer de faire disparaître les termites et d'éviter la propagation dans le voisinage.
Un autre exemple : une grave inondation, à Pau par exemple, ou à Lourdes, au printemps dernier. C'est un fait juridique parce que des règles de droit objectif attachent des conséquences à ce fait. Par exemple ici, dans notre cas très précis, vont se déclencher les conséquences prévues par le Code des Assurances en cas de catastrophe naturelle et une certaine indemnisation pourra profiter aux victimes de ces inondations, du moins celles qui s'étaient assurées contre ces risques de catastrophe naturelle.
Le fait ça peut être aussi la situation des lieux : dans une situation en pente, il y a un terrain en haut, un terrain en bas, un terrain au milieu. C'est une situation de fait, les terrains sont plus ou moins élevés. La loi attache des conséquences à ce fait, le propriétaire du terrain du dessous est obligé de recevoir les eaux qui s'écoulent du terrain du dessus : c'est un effet juridique attaché à un fait, d'un fait purement naturel, purement matériel.
Autre fait naturel, c'est la mort d'une personne : c'est un fait qui produit des effets juridiques, en vertu de la loi, la loi qui organise la dévolution des biens de la personne décédée, ce sont donc les héritiers qui recueilleront les biens qu'avait le défunt avant sa mort, en vertu d'un fait juridique, son décès.
Autre exemple à nouveau, une maladie qui déclenche au profit du malade une créance de remboursement des frais que le malade a pu exposer pour se soigner; c'est également l'état de besoin dans lequel une personne peut se trouver : un fait qui déclenche des effets de droit, par exemple la personne est droit de réclamer des aliments à certains de ses proches parents qui peuvent lui fournir ses aliments, lui verser des sommes d'argent, lui verser une pension alimentaire.
Faits de l'homme
À côté des faits naturels ou matériels, il y a des faits de l'homme, c'est-à-dire des faits qui sont l'œuvre de l'homme et pas seulement de la nature.
Cela peut être des faits non intentionnels de l'homme, mais également des faits intentionnels.
L'auteur d'un dommage a seulement commis une faute de négligence, en reprenant l'exemple du cycliste renversé, il n'est pas moins tenu à réparer, en vertu de l'article 1383 du code civil. On appelle d'ailleurs, pour être précis, quasi délit civil.
Quasi délit civil : faits juridiques constitués d'agissements dommageables non intentionnels de l'homme.
Mais si ce n'est pas par une simple négligence qu'il a heurté le piéton, si c'est volontaire, par exemple parce qu'il a trouvé que le piéton l'avait regardé de travers : ce n'est plus un fait non intentionnel, le fait est intentionnel. On parle de, dans cette hypothèse, de délits civils.
Délits civils : faits juridiques constitués d'agissements dommageables intentionnels de l'homme.
Tous les faits juridiques intentionnels ne se ramènent pas au seul délit civil, on trouve aussi notamment la possession, qui est un fait intentionnel, et qui va produire certains effets de droit, notamment va permettre d'acquérir la propriété au bout d'un certain temps, par exemple en matière immobilière, au bout de trente ans.
Différence entre l'effet juridique intentionnel et les actes juridiques
L'effet juridique, avec un fait juridique, est attaché à ce fait, et il n'a pas été directement recherché par son auteur. Même si l'auteur d'un délit civil a intentionnellement causé le fait, il n'a pas pour autant recherché la conséquence juridique de ce fait.
Lorsque notre cycliste a heurté volontairement le piéton qui était en train de traverser, il ne s'est pas dit qu'il allait faire naître la créance de réparation prévue par article 1382 du Code civil.
→ Dans le fait juridique, l'intention de l'auteur n'est pas dirigée vers l'effet de droit que va produire son agissement.
Cet effet de droit, la création du droit subjectif pour la victime, est une conséquence que la loi elle-même attache au fait qui est survenu, que ce fait soit non intentionnel ou intentionnel.
Au contraire, dans l'acte juridique, la volonté de son auteur est directement et entièrement tournée vers l'effet de droit que celui-ci cherche à faire produire : cet effet de droit, c'est la naissance de la créance. Par exemple, dans un contrat de prêt, on cherche vraiment à faire naître la créance de remboursement.
Un même événement n'est pas à la fois fait ou acte juridique, c'est l'un ou l'autre, mais jamais les deux.
Modes originaires et modes dérivés d’acquisition des droits subjectifs
Il y a, dans l'acquisition des droits subjectifs, des droits qui existaient au moment où on les acquiert et puis d'autres droits qui n'existaient pas précédemment mais qui vont naître au moment de cette acquisition.
On s'intéresse ici à l'origine du droit subjectif qu'une personne acquiert par le moyen évidemment d'un acte ou d'un fait juridique, puisqu'on vient de le voir, ce sont les modes d'acquisition des faits juridiques.
Mais tantôt une personne acquiert directement un droit qui prend naissance sur sa tête, tantôt elle acquiert un droit qui préexistait et qui lui est transmis par un précédent titulaire. Dans le premier cas, on est en présence d'un mode originaire et dans le second, d'un mode dérivé.
Les modes originaires d’acquisition des droits subjectifs
Le droit n'existait pas, et il est créé en la personne de son titulaire. Ces situations correspondent donc à la véritable création de droit subjectif, et lorsqu'un droit est ainsi créé, on dit que son titulaire l'acquiert par un mode originaire.
Les droits subjectifs extra-patrimoniaux, qui sont intransmissibles, ne s'acquièrent que par des modes originaires. Ainsi, pour les droits de la personnalité, le mode d'acquisition est tout simplement lié à l'apparition de la personne, et ceci est un fait juridique. Pour les droits d'autorité parentale de deux époux sur leurs enfants, c'est la naissance de leurs enfants qui crée ce droit dans la personne de leurs parents.
Les droits subjectifs patrimoniaux peuvent aussi, mais beaucoup moins systématiquement, être acquis par des modes originaires. Ici, d'ailleurs, la fréquence varie selon les types de droits patrimoniaux en cause.
Ainsi, pour les droits personnels, les modes originaires sont assez fréquemment utilisés. Par exemple, pour la créance de remboursement d'un prêt au profit du prêteur, celle-ci née du contrat prêt. Avant le contrat prêt, la créance n'existait pas : elle est créée originairement par le prêt. De même, pour le droit du locataire d'occuper le logement, ce droit n'existait pas avant le contrat de location qui lui donne naissance. C'est la même chose pour la créance de réparation de la victime d'un délit ou d'un quasi-délit civil : c'est un droit qui est créé complètement par le fait juridique.
Pour les droits réels, les modes originaires se rencontrent un peu moins souvent. Il faut noter tout de même que les choses qui n'appartiennent à personne peuvent faire l'objet ensuite de l'apparition d'un droit de propriété. Un droit de propriété peut être créé au profit d'un individu par le mode originaire et l'appropriation par la voie de l'occupation.
Un exemple : une personne abandonne sur le trottoir un vieux canapé dont elle n'a plus besoin en ayant prévenu le service d'enlèvement des objets encombrants auparavant. Elle le laisse sur le trottoir, elle abandonne sa propriété, il n'y a plus de propriété, mais voici qu'un tiers passe lui-même avec sa petite camionnette et ce n'est pas le service d'enlèvement des objets encombrants. Elle a l'intention de s'approprier ce canapé dont il aurait bien besoin chez lui : un droit de propriété s'est créé par ce fait qu'est l'occupation.
Autre exemple : un pêcheur qui jette son filet et puis qu'il récupère le lendemain matin, avec des poissons. Avant d'être dans le filet, les poissons n'appartenaient à personne, pas de droit de propriété, les voici dans le filet et dans la marque du pêcheur, ils appartiennent maintenant au pêcheur, un droit de propriété a été créé par ce fait; c'est la même chose pour la chasse et le gibier, ce sont des modes originaires pour les droits réels.
Quant aux droits réels accessoires, c'est très souvent par un mode originaire qu'ils prennent naissance. Par exemple, l'acte de constitution d'hypothèque fait naître ce droit d'hypothèque qui n'existait pas auparavant.
Mais il est vrai que les droits réels donnent surtout lieu à la mise en œuvre des modes dérivés.
Les modes dérivés d’acquisition des droits subjectifs
On dit qu'une personne acquiert un droit par un mode dérivé lorsque le droit dont elle devient titulaire lui est transmis par le titulaire précédent.
Les modes dérivés sont donc des modes de transmission des droits. Dans ce cas, on appelle le titulaire précédent l'auteur, et on appelle celui qui acquiert le droit l'ayant cause.
Ainsi dans la vente le vendeur est l'auteur de l'acquéreur, et l'acquéreur est l'ayant cause du vendeur s'agissant du bien vendu.
Fréquence
Nous pouvons distinguer selon les types de droits subjectifs concernés, et uniquement pour les les droits patrimoniaux parce que les droits extra-patrimoniaux ne s'acquièrent que par des modes originaires, ils sont intransmissibles.
Pour les droits patrimoniaux s'agissant des droits personnels les modes dérivés sont moins utilisés que les modes originaires.
On peut tout de même relever qu'un acte juridique permet de transmettre un droit de créance, c'est la cession de créance, qui est très fréquente dans la vie des affaires.
Un exemple : un producteur a vendu sa production à un distributeur, le distributeur ne le paye pas tout de suite parce qu'il veut d'abord vendre à ses consommateurs. Il y a une créance à terme de paiement du prix, mais le producteur, lui, a besoin de se financer, pour payer ses employés, ses propres fournisseurs. Il va céder sa créance de prix qu'il détient contre le distributeur, son acheteur, à un professionnel dans ses métiers, une banque, un établissement de crédit qui va lui acheter sa créance, moyennant une ristourne (il ne va pas l'acheter au prix) : il va transmettre cette créance.
De même, les créances et les dettes se transmettent par décès : une personne meurt, ses dettes ne s'éteignent pas et ses créances non plus, ce sont ses héritiers qui en sont les débiteurs, pour toutes les dettes et toutes les créances, à moins que les héritiers renoncent à la succession.
Pour les droits réels principaux, les modes dérivés sont les plus courants et de très loin : le contrat de vente qui transmet la propriété, le contrat de donation qui a le même effet, le leg contenu dans un testament qui va aussi avec le décès transmettre la propriété des biens du testateur; ce peut être aussi avec un fait juridique, la succession sans testament d'une personne décédée, tous ses biens se trouvent transmis, ces droits réels principaux se trouvent transmis à ses héritiers.
Quant aux droits réels accessoires qui s'acquièrent surtout par un mode originaire, il faut relever qu'ils sont aussi susceptibles de cession : une hypothèque est cessible, elle est cessible spécialement avec la créance qu'elle garantit, et c'est un mode dérivé d'acquisition pour celui qui acquiert la créance garantie par l'hypothèque : il devient lui-même titulaire du droit hypothécaire sur l'immeuble.
Classification
On peut classer les modes de transmission des droits subjectifs.
Il y a des modes universels, ce sont ceux qui transfèrent le contenu tout entier du patrimoine d'une personne à une autre, c'est-à-dire tous ses droits sous l'angle actif comme sous l'angle passif, tous ses droits réels, tous ses droits personnels, toutes ses dettes comme toutes ses créances.
Par exemple, Edmond de Goncourt institue un légataire universel pour recueillir tous ses biens, ce sera la fondation qu'il veut créer pour décerner un prix au début du mois de novembre chaque année. Il y a transmission à titre universel, c'est la fondation qui va récupérer tous les biens de ce testateur.
Il y a également des modes à titre universel, de transmission : une personne transmet à une autre, non pas tout, mais une fraction du contenu de son patrimoine. Par exemple, un leg de la moitié de ses biens au profit de l'un de ses enfants, ou du tiers de ses biens au profit de telle institution charitable ou de bienfaisance ou tournée vers les soins des malades. Le légataire ici ne profitera pas de tout le patrimoine mais d'une fraction, la moitié, le tiers; on parle de transmission à titre universel.
Enfin, il y a les modes de transmission à titre particulier, qui se rencontrent chaque fois qu'une personne transmet à une autre un droit ou des droits déterminés, et non pas une fraction, ni encore moins l'ensemble de son patrimoine. Par exemple, un testament par lequel le testateur lègue sa maison à tel légataire, c'est seulement la maison et non pas une fraction de son patrimoine qui est léguée. Même chose avec la vente d'une maison, c'est une transmission à titre particulier de la propriété de cette maison. On dira que l'acheteur est ayant-cause à titre particulier du vendeur.
Donc à ces trois modes de transmission correspondent en effet trois types d'ayant-causes.
Il y a les ayant-causes universels, ceux qui ont acquis des droits par un mode universel, et il y a des ayant-causes à titre universel, ceux qui ont acquis des droits par un mode de transmission à titre universel, et des ayant-causes à titre particulier, qui ont recueilli des droits par un mode de transmission à titre particulier. Pour les ayant-causes à titre particulier, on parle aussi bien d'ayant-causes particuliers.
L’exercice et l’extinction des droits subjectifs
L’exercice des droits subjectifs
Une personne est titulaire d'un droit qu'elle a acquis par un mode créateur ou par un mode de transmission. Comment maintenant cette personne peut-elle exercer ce droit ? Comment en profiter des prérogatives que ce droit lui confère ?
L’exercice non contentieux des droits subjectifs
Dans l'immense majorité des cas, l'exercice des droits subjectifs ne soulève aucune contestation, ne rencontre aucun obstacle.
Un agriculteur cultive ses champs, par là il exerce son droit de propriété sur ses champs, chaque année il laboure, il plante et puis il récolte; chaque année, la même chose et jamais aucune contestation ne se présente : c'est l'exercice non contentieux du droit de propriété.
Un bailleur s'est engagé à louer son appartement à un locataire; le jour prévu le bailleur a remis les clés, le locataire est entré dans les lieux, chaque mois maintenant le locataire verse son loyer, le montant qui est prévu, le jour prévu : c'est l'exercice non contentieux des droits.
Chaque jour, ce sont ainsi des millions de droits créés ou transmis par des actes juridiques, tout particulièrement, qui s'exercent sans le moindre problème. Les contrats de vente, les contrats de bail, les contrats de transport, les contrats de prêt font naître ou transmettent des droits qui s'exercent sans difficulté. La vie courante est remplie de ces situations.
On peut dire que le quotidien de la vie juridique est fait de l'usage non contentieux des droits.
Une métaphore : en médecine, l'attention est plus attirée par les malades que par les bien portants, les très malades qui sont hospitalisés dans des établissements de santé, en attirant encore plus l'attention que les malades qui sont chez eux. Mais il ne faut pas oublier pour autant que les bien portants sont infiniment plus nombreux que les malades. Les malades pour nous ce sont un peu les droits subjectifs dont l'exercice passe par un contentieux.
L’exercice contentieux des droits subjectifs
Parfois, le titulaire d'un droit subjectif se heurte à une contestation alors qu'il voudrait exercer son droit.
Cette contestation peut porter sur l'existence du droit, dont l'existence ou la validité peut être douteuse.
- Par exemple, la victime d'un dommage causé par l'explosion d'une usine, qui a explosé parce qu'un tas de produits chimiques a pris feu et a provoqué cette grande explosion, demande maintenant réparation. Se pose alors la question de la cause exacte de cette explosion : qui, du propriétaire de l'usine ou d'un éventuel tiers qui par malveillance aurait fait exploser ce tas de produits chimiques, est responsable.
- L'acheteur d'une voiture entend obtenir réparation de la part du vendeur parce que la courroie de distribution a lâché, alors il y a eu une panne sur une autoroute, et la voiture est immobilisée. Le constructeur lui avait promis que la courroie de distribution durerait au moins pendant 5 ans et 100 000 km, alors là il s'avère que la voiture a parcouru 90 000 km, oui mais elle a un tout petit peu plus que 5 ans d'âge. La contestation : la garantie pour cette pièce est-elle encore due ou pas.
- Un agriculteur qui ne peut plus cultiver totalement ses champs parce qu'un individu a empiété et qu'il a construit un hangar sur une petite parcelle, qui empiète sur le champ de l'agriculteur : celui-ci ne peut plus exercer le droit de propriété totalement.
Alors la contestation peut aussi venir non pas de l'existence même du droit qui serait douteuse, mais simplement de la négligence ou de la mauvaise volonté de celui qui devrait exécuter la prestation qu'il doit en vertu du droit subjectif dont est titulaire une autre personne.
- Une personne néglige de régler ses factures, elle laisse ses factures, les procès-verbaux de stationnement s'entasser, c'est une personne négligente.
- Un forain a obtenu l'autorisation d'installer une grande roue sur la place de la Concorde et doit la lbérer le 15 janvier. Le 15 janvier est arrivé, la grande roue est toujours installée et il ne conteste pas qu'il soit dans l'obligation de partir, mais simplement lui, il veut rester encore un petit moment. Mauvaise volonté, ça peut se rencontrer.
Dans toutes ces hypothèses, une action en justice sera nécessaire pour triompher de la contestation ou pour vaincre la récalcitrance, la mauvaise volonté de celui qui doit exécuter une prestation.
L'action en justice
Notion
Action en justice : c'est le moyen pour le titulaire d'un droit prétendu et contesté de faire reconnaître son droit en demandant à un juge de le consacrer dans sa décision afin de le faire respecter par autrui.
Ainsi, l'action est le moyen de lever l'obstacle qui entrave l'exercice normal d'un droit en faisant écarter par un recours au juge la prétention qui s'y oppose. L'action prolonge donc et protège le droit subjectif.
Il faut remarquer que l'action n'est pas liée à la position procédurale des parties et c'est un point un petit peu délicat à comprendre. Bien sûr, celui qui prend l'initiative de saisir le juge et qu'on va appeler le demandeur, si c'est une dame la demanderesse, dans le procès exerce une action en justice car, s'il le fait, c'est qu'il se prétend titulaire d'un droit subjectif.
Mais il arrive aussi et très souvent que l'autre parti qui, dans le procès se trouve dans la position du défendeur, si c'est une dame on dit la défendresse, se défende en faisant lui aussi valoir un droit qu'il prétend avoir.
Le défendeur exerce aussi une action en justice car l'action c'est le moyen de faire valoir ses droits en demande ou en défense.
Un exemple : Paul demande le remboursement de 100 000 euros à Jean qu'il dit lui avoir prêté. C'est un droit subjectif, une créance de remboursement d'un prêt et Paul exerce une action en justice pour obtenir satisfaction car Jean refuse de rembourser : c'est la position du demandeur et l'action du demandeur pour son droit. Mais, dans le procès, le défendeur Jean reconnaît qu'il a bien reçu cette somme mais s'il refuse de le rembourser, c'est parce qu'il prétend que la somme lui a non pas été prêtée mais lui a été donnée : il soulève un droit subjectif, le droit de propriété qu'il prétend avoir et qu'il veut faire triompher au moyen de l'action, alors qu'il occupe dans le procès la position du défendeur.
Les conditions de succès de l'action
Pour que le droit subjectif prétendu mais contesté puisse être reconnu en justice, pour que l'action qu'il protège réussisse, trois conditions cumulatives doivent être remplies, et si l'une des trois n'est pas remplie, ce sera l'échec.
- La première, c'est que la procédure qui a été suivie pour saisir le juge de la contestation soit régulière. Notamment, la demande initiale doit avoir revêtu la forme exigée par la loi. Il y a des formes à respecter, on parle d'assignation, éventuellement de requête, mais des formes précises et toute la suite de la procédure va obéir aussi à des formes précises. Il faut donc que ceci soit régulier, et le procès doit avoir été porté devant la juridiction compétente. Si on s'est adressé au tribunal administratif pour obtenir le remboursement d'un prêt qu'on prétend avoir fait à une personne, c'est une erreur.
- La deuxième, l'action doit être recevable, c'est-à-dire qu'elle ne doit pas se heurter à certaines causes qui la rendent irrecevable alors même qu'elle serait présentée dans les formes requises et devant le bon tribunal. Comme exemple, deux causes d'irrecevabilité : l'autorité de la chose jugée (on ne peut demander un nouveau procès pour une chose qui aurait déjà été jugée), et la prescription. On avait droit d'agir, mais on a laissé passer un certain temps et au bout d'un certain temps, et en général 5 ans, c'est une cause d'irrecevabilité d'une action en justice.
- La troisième condition, c'est que la prétention soit fondée, elle doit être bien fondée. L'action qui a suivi une procédure régulière et qui est recevable ne sera en définitive accueillie que si elle est bien fondée, c'est-à-dire si elle est justifiée en fait et en droit. Exemple : le Juge examine maintenant au fond l'affaire qui oppose Paul et Jean. Au vu des éléments produits, le juge va se demander si la somme de 100 000 euros a été prêtée ou bien si elle a été donnée. Il va examiner les éléments de preuve et s'il estime que c'est bien un contrat prêt qui a eu lieu, il va accueillir l'action en remboursement et condamner le défendeur au paiement. S'il estime que non, c'est une donation qui a eu lieu, alors il va débouter le demandeur de son action et il va rejeter sa demande.
La procédure à suivre va varier, les causes d'irrecevabilité potentielles vont pouvoir être différentes, le fond du droit aux yeux duquel la prétention va être examinée va varier selon les matières dans lesquelles on va se trouver, mais au fond, c'est toujours ce schéma qui est à l'œuvre.
L'abus de droit
Dans l'exercice contentieux des droits, nous rencontrons l'abus de droit. C'est une autre hypothèse, beaucoup moins fréquente toutefois en pratique, dans laquelle l'exercice des droits subjectifs devient contentieux.
Le droit du titulaire n'est pas en lui-même contesté, mais la façon dont le titulaire l'exerce est critiquée par des tiers qui lui reprochent d'abuser de son droit.
L'exemple à garder en tête : le propriétaire d'un terrain qui, en principe, peut faire sur son terrain ce qu'il veut. Il suffit d'aller à l'article 544 du code civil qui définit le droit de propriété : "La propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue". Ce n'est donc pas de manière absolue, mais de la manière la plus absolue : cela montre que le propriétaire a vraiment toutes les priorités, il peut faire ce qu'il veut de sa chose et sur sa chose.
Le propriétaire d'un terrain peut faire ce qu'il entend, le planter, le cultiver, laisser pousser l'herbe, établir un hangar, s'il veut installer une oeuvre d'art qu'il trouve magnifique et que d'autres trouveront atroce, il le pourra. Si le propriétaire, lui, installe des grands poteaux, et met au sommet de ses poteaux des tiges de fer, c'est son droit. Mais pourquoi le fait-il ? Parce que son voisin, avec lequel il est en mauvais terme, est un aérostier (il pilote des montgolfières) et il entend faire partir des ballons depuis sa propriété qui voisine celle sur laquelle il a planté les poteaux. Quelques ballons pourront alors venir se percer sur les piquets munis de ces tiges de fer : c'est l'exemple type de l'abus du droit de propriété, c'est un abus dont le voisin peut se plaindre.
Et il est bien établi aujourd'hui que le titulaire d'un droit subjectif engage sa responsabilité civile quand il aura causé un préjudice à un tiers par un usage abusif de son droit de propriété, un exercice abusif de son droit. Et c'est une solution que la jurisprudence a d'abord admise pour le droit de propriété puis qu'elle a ensuite étendue en principe à tous les droits subjectifs.
C'est une solution qui est maintenant consacrée légalement dans quelques textes particuliers, notamment au sujet du licenciement, c'est un droit pour l'employeur, comme l'employé a le droit de démissionner. Mais si l'employeur abuse de son droit, le licenciement sera abusif et avec certaines conséquences, notamment des dommages d'intérêt.
Même chose pour la saisie allusive par un créancier : il peut exercer des voies d'exécution, mais en cas d'abus, ce sont les articles L111-7 et puis L121-2 du Code des procédures civiles d'exécution qui prévoiront la sanction de l'usage abusif de ces voies d'exécution.
Mais au-delà de ces quelques consécrations légales spéciales, c'est un principe général du droit positif français d'origine jurisprudentielle, il faut le noter, qui vaut quelle que soit la matière, avec un important soutien doctrinal. Ce principe fait qu'en réalité aucun droit subjectif n'est discrétionnaire. Il faut tenir compte dans l'exercice des droits subjectifs non pas seulement des intérêts individuels de leur titulaire, mais également des intérêts d'autrui.
On parle à ce propos de socialisation des droits individuels, socialisation qui est dans une certaine mesure seulement, qui a ses limites, socialisation à hauteur du contrôle de l'abus dans l'exercice des droits.
Le critère d'un droit abusif
Il y a droit abusif lorsque le titulaire, tout en restant dans les limites objectives de ses prérogatives, les exerce dans l'intention de nuire à autrui, ou du moins sans intérêt sérieux et légitime pour lui-même, alors qu'un dommage est causé à autrui.
Faire la preuve de l'intention de nuire, ce ne sera pas toujours facile, ça peut être très délicat; la preuve de l'absence d'intérêt sérieux et légitime est souvent plus simple.
Un exemple : le propriétaire d'une maison fait édifier une fausse cheminée sur sa maison. Elle ne lui sert à rien, mais il l'a édifié, sans doute, pour priver la maison voisine d'un peu de soleil, lui faire un peu d'ombre : c'est une hypothèse que l'on a vue en jurisprudence.
L'abus représente une faute dans l'exercice d'un droit, et la conséquence est que son auteur est tenu de réparer le dommage qu'il a causé sur le fondement de la responsabilité civile délictuelle : l'article 1240 du code civil.
L’extinction des droits subjectifs
Lorsqu'une personne transmet le droit dont elle est titulaire, ce droit quitte son patrimoine mais il continue d'exister dans le patrimoine de l'ayant cause : il n'y a donc pas d'extinction.
L'extinction se rencontre lorsque le droit disparaît totalement pour tout le monde. Ceci est un phénomène très courant pour les droits personnels, ça existe aussi pour les droits réels mais un peu moins souvent.
On peut classer les causes d'extinction en deux catégories, selon qu'elles tiennent ou non à la volonté des individus.
Extinction par l’effet de volonté
L'extinction par l'effet de la volonté, ça peut être la volonté du titulaire du droit de propriété sur un meuble qui renonce à son droit en abandonnant sa chose, la chose devient dit-on res derelictae, chose abandonnée, qui éventuellement sera ensuite appropriée par une personne qui procèdera à l'occupation.
Ça peut être la volonté du créancier d'une obligation qui consent une remise de dette à son débiteur, la remise de dette éteint le droit de créance. Il consent une remise de dette à son débiteur : ça peut éventuellement se concevoir dans un acte de bienveillance, par exemple, on est entre frères et sœurs, une remise de dette le jour du mariage; mais ça peut aussi se concevoir dans des relations où en général il n'y a pas de cœur, ce sont les relations d'affaires et à l'occasion du redressement judiciaire d'une entreprise, il arrivera que les créanciers de cette entreprise soient amenés à consentir à des remises de dette pour permettre à ces entreprises de repartir, il vaut mieux perdre une partie (ou se couper un bras dit-on) que de perdre la totalité; c'est ce que des banques ont également été amenées à faire au cours de l'été 2011 à l'occasion des grandes difficultés de la Grèce. Les banques européennes privées ont consenti une remise de dette de 50% de leur créance et il y en avait pour des milliards d'euros
Ce qui est très courant comme mode volontaire d'extinction des créances c'est le paiement. Le paiement consiste pour le débiteur d'une obligation à l'exécuter, et lorsque l'obligation est exécutée elle est éteinte, elle n'existe plus.
Extinction en dehors de la volonté
En dehors de la volonté, on peut rencontrer comme mode d'extinction des droits subjectifs la disparition de la chose qui est l'objet d'un droit réel : dans ce cas, le droit réel n'existe plus, si la chose n'existe plus.
Un exemple : vous avez une maison avec une superbe vue, sur la côte un peu calcaire, crayeuse, elle est du côté de Villers-sur-Mer, elle est au premier rang, au haut d'une falaise. La falaise s'est effondrée, il n'y a plus de terrain, il n'y a plus de maison, il n'y a plus rien : le droit de propriété a disparu.
C'est aussi parfois le décès du titulaire du droit, ainsi le droit réel d'usufruit s'éteint avec le décès de son titulaire, de même le droit du crédit rentier, dans une vente avec une rente viagère, s'éteint avec son décès, il ne passe pas à ses héritiers, on dit dans ces hypothèses pour les droits qui s'éteignent avec le décès qu'il s'agit de droit viager. C'est parfois l'écoulement du temps qui produit l'extinction d'un droit, d'un droit qui avait été conçu, mais qui était né pour un certain temps seulement, par exemple une location d'une chambre meublée au profit d'un étudiant pendant une période de 9 mois, les 9 mois sont arrivés, le droit subjectif créé par le contrat de location est éteint.
Il faut aussi relever la prescription, une prescription extinctive qui procède de l'écoulement du temps, mais dans l'idée de sanctionner dans une certaine mesure le non-exercice du droit pendant une longue période.
Cela ne concerne pas la propriété, dont on dit qu'elle est imprescriptible, c'est-à-dire elle ne s'éteint pas par le non-usage, mais ceci concerne tout particulièrement les droits de créance qui s'éteignent par leur non-usage prolongé, leur non-exercice prolongé, le délai depuis la réforme de 2008 est en général de 5 ans.
La prescription atteint surtout l'action en justice destinée à protéger ce droit : elle va produire une cause d'irrécevabilité d'une action qui serait présentée après l'écoulement de la prescription, l'action ne peut plus être exercée, mais dans la conception que retient actuellement la jurisprudence, la prescription extinctive n'affecte que l'action, mais pas le droit qui lui subsiste.
Le droit qui subsiste est appelé une obligation naturelle, qui n'est pas susceptible d'exécution forcée, qui est susceptible seulement d'exécution volontaire par le débiteur. Cela traduit l'opposition entre l'obligation naturelle et l'obligation civile, qui est la vraie obligation pour le droit, l'obligation qui est munie d'une action; l'obligation naturelle, elle, n'a pas d'action, elle n'oblige qu'au regard de la conscience, qu'au regard de la morale mais pas du droit, si on admet que la sanction est une des caractéristiques de la juridicité.
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