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Chapitre II. Les sources du Droit

Les règles du Droit objectif jaillissent des sources formelles du droit, c'est-à-dire de sources qui leur donnent leur forme de règle juridique. Ces sources formelles sont la loi et la coutume. Mais les sources formelles ne jaillissent pas toutes seules, elles jaillissent de forces créatrices du droit (nom donné par le Doyen Ripert), les sources réelles du droit.

Les sources réelles : les forces créatrices du Droit

La création du droit et son évolution par la suite sont dus à un certain nombre de données. Il n'y a pas, pour autant de déterminisme dans la règle de Droit, car c'est toujours l'auteur de la source formelle, le législateur, qui reste "le maître".

Les données qui influent sur la création du Droit et son évolution

Le Droit est le produit de divers facteurs assez variés :

  • la nature physiologique et psychologique de l'Homme (ex: l'âge nubile), qui dépend des lieux et pays. Cette nature évoluant, le Droit évolue. Par exemple, l'espérance de vie en France est en accroissement constant pendant tout le XXè siècle, 65 ans en 1950, plus de 80 ans actuellement, ce qui aura des influences sur la règle de Droit, comme par exemple la loi du 23 juin 2006, avec une réforme des successions et des libéralités due au "saut de génération" (les successions en 1804 avaient lieu à l'âge de 25-30 ans, âge où l'héritage était un "coup de main"; aujourd'hui, c'est plutôt 50-55 ans). Cette loi permet donc de faire des donations-partages aux enfants, mais aussi aux petits-enfants ("donation-partage avec saut de génération"). Autre exemple, les réformes de retraite.
  • Il y aussi les données scientifiques. Ex: en 1979, la fécondation in-vitro, puis la congélation d'embryon. Cela a conduit à l'édictions de règles de Droit appropriées à ces évolutions scientifiques.
  • Les données géographiques, les données climatiques. Ex: la répartition de catastrophes naturelles qui ont conduit le législateur à mettre en place des règles d'assurance prévoyant une garantie obligatoire des catastrophes naturelles (1982).
  • Les données économiquessociales et familiales du milieu dans lequel l'homme vit. Ex: la Révolution industrielle et le développement du machinisme (seconde moitié du XIXe sicèle) ont conduit à faire évoluer la responsabilité civile. En 1804, c'était basé sur la faute (article 1382); en 1870-80, des explosions de machines à vapeur, le remorqueur Marie, la machine à vapeur explose, blesse et tue le mécanicien Teffaine. Qui était le responsable ? Le droit a évolué, et donne la responsabilité civile sans faute prouvée. Autre exemple, l'évolution de la structure familiale : évolution de la lignage (groupe sous le même toit, souvent sous une exploitation agricole ou artisanale, toutes les personnes descendant d'un parent commun encore vivant), à une famille ménage avec l'urbanisation de la société au XIXè/XXè siècle. La vocation successorale a donc évolué : en 1804, on héritait de ses cousins jusqu'au 12e degré, désormais la vocation successorale a été limité au 6e degré.
  • Les données tenant aux mouvements d'opinion, aux aspirations profondes de la société. Ex: une soif d'égalité (Révolution Française) a fait disparaitre des privilèges; en matière successorale, le Droit d'aînesse et le privilège de masculinité ont été supprimés. Il n'y avait cependant pas une forte volonté d'égalité entre l'Homme et la Femme. C'est une demande du XXè siècle (1945, Droit de vote aux femmes; 1965, 1985 : promotion de l'égalité; puis droit des régimes matrimoniaux où l'égalité est complète). Article 213 du Code civil:
    • Actuellement : "Les époux assurent ensemble la direction morale et matérielle de la famille. Ils pourvoient à l'éducation des enfants et préparent leur avenir."
    • En 1804 : "Le mari doit protection à sa femme, la femme obéissance à son mari."

Les aspirations de la société, les mouvements d'opinion, sont loin d'être dans un sens unique et souvent des forces contraires s'opposent, ce que Rudolf von Jhering appelé Kampf um's Recht (« La lutte pour le droit »), lutte des forces créatrices en sens opposé, en reprenant le vocabulaire de Ripert. C'est naturel que de telles luttes se déroulent; par exemple lorsqu'il a été question d'ouvrir le mariage aux personnes de même sexe en 2012-2013, avec des oppositions mais aussi des manifestations : ceux qui étaient hostiles à la modification du principe de mariage, opposés à la PMA ou la GPA, et d'autres étaient favorables. Le législateur a arbitré. De même, les "actions de groupe" (class action américaine) étaient une idée d'ouverture; la lutte a duré une vingtaine d'année, et a failli voir le jour en 2007, mais les forces opposées ont gagné. C'est le 17 mars 2014 qu'elles ont été créées, mais avec de telles conditions restrictives que pour l'instant, il n'y aucune action de groupe qui ait abouti. Cela a rebondi en 2016, avec la création des actions de groupe en matière de produits de santé. Autre exemple, au printemps 2016, lorsqu'il a été dans l'idée d'affaiblir le Droit du travail : cela a provoqué des oppositions qui a mené à une loi plus faible, mais tout de même votée par le Parlement.

Les facteurs de tous ordres, qui continuent dans les forces créatrices du Droit, ne se retrouvent pas tous à l'identique à un moment donné dans tous les pays. Cela explique pourquoi le Droit positif n'est pas le même dans tous les Etats. Blaise Pascal s'en est moqué : "Plaisante justice qu'une rivière borne. Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au delà".

Une autre considération expliquant la diversité du Droit positif : l'absence de déterminisme dans la création du Droit.

L’absence de déterminisme en droit

Même si les forces créatrices jouent un rôle important dans le processus de création et d'évolution du Droit objectif, il reste que le législateur, source formelle par excellence, est en définitive maitre des choix à faire et des décisions à prendre. C'est toujours une décision politique.

On peut le voir avec les données scientifiques et les données sociales.

  • Il y a des progrès scientifiques, découvertes, mais cela ne signifie pas que leur utilisation doit être autorisée dans la société. Il se peut que son utilisation, ou son interdiction amène à des discussions et c'est le législateur qui décide. Par exemple, les lois de bioéthique (1994, modifiées en 2004, et en 2011) énoncent les utilisations de la fécondation in-vitro, mais le refus de la GPA (article 16-7 du Code Civil : "Toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d'autrui est nulle") et des techniques du clonage pour les hommes (article 16-4 du Code Civil : "Est interdite toute intervention ayant pour but de faire naître un enfant génétiquement identique à une autre personne vivante ou décédée").
  • Le Droit peut s'aligner sur des moeurs qui auraient évolué. Par exemple, le divorce : admis dans le Code de 1804, puis interdiction de tout divorce en 1816, puis début vers la moitié du XIXè siècle, puis divorce autorisé uniquement pour faute, en 1884; arrivée ensuite du "divorce d'accord" (faute respective) qui est devenu en 1975 le divorce par consentement mutuel.
  • Le législateur peut essayer de faire avancer les moeurs. Exemple : loi du 4 mars 2002, en donnant le choix du nom de l'enfant aux parents, même si la pratique, dans l'ensemble, ne s'est pas modifiée.
  • Parfois, le législateur cherche à combattre les moeurs, mais c'est plus difficile que de s'aligner sur les moeurs. Cela nécessite du courage. Exemple : la vitesse sur autoroute (libre jusqu'en 1973, crise de pétrole : limite fixée à 130 mais peu respectée, le législateur a alors décidé de contrôler la vitesse).

Il n'y a donc pas de déterminisme dans la règle de droit. En définitive, se trouve toujours un choix politique, une décision pour le législateur et les autres sources formelles du Droit.

Les sources formelles

Ce sont les formes sous lesquelles naissent les règles de Droit. Deux formes : la loi et la coutume.

La loi

Notion

Deux sens pour le mot loi.

  • Sens étroit : la loi est un acte émanant du pouvoir législatif, en France, émanant du Parlement. La loi se distingue du règlement (du décret) qui émane du pouvoir exécutif, détenu par le chef du gouvernement.
  • Sens plus large, celui retenu lorsqu'on étudie les sources du droit : une règle de Droit d'origine étatique. C'est une règle imposée par l'Etat aux citoyens, édictée sous une forme écrite soumise à publication officielle, en France, le Journal Officiel. On appelle souvent ce Droit le Droit écrit. Au dessus du Parlement, dans le Droit au sens large, on trouvera la Constitution (loi constitutionnelle), les traités internationaux, y compris des règles de droit privé (exemple : la convention internationale des Droits de l'Enfant - Convention de New-York). Pour être applicable en France, les traités internationaux doivent faire l'objet d'une ratification par le Président de la République, souvent avec l'autorisation donnée par le Parlement pour faire une loi de ratification. Comme traité international, on retiendra surtout le traité de Rome du 25 mars 1957, à l'origine d'un droit communautaire européen.

Les qualités et les maux de la loi

Le Droit est fait pour tous les membres de la société, donc les règles du Droit objectif doivent parvenir à la connaissance de leur destinataire. Or, de ce point de vue, en tant que texte écrit officiellement publié, la loi est facilement accessible à tous. Elle est donc susceptible d'être connu, ce qui est important pour la sécurité juridique : les particuliers peuvent faire des prévisions (telle loi s'applique pour tel cas particulier).

D'où l'adage bien connu : "nul n'est censé ignoré la loi", c'est-à-dire nul ne peut prétendre échapper à la loi sous prétexte de son ignorance. Pourtant, nul ne connait toutes les lois.

Inversement, ce caractère écrit amène une crainte : que la loi soit trop rigide, et qu'avec le temps elle ne corresponde plus aux besoins de la société. Cet inconvénient est contrebalancé par l'avantage de la stabilité juridique. Plus une loi est ancienne, mieux elle est connue, et donc plus elle a des chances d'être appliquées. Par exemple, la loi d'association de 1901; la loi du 21 mars 1884 relative aux organisations syndicales professionnelles. Une grande stabilité est propice à l'accessibilité de la loi.

Le risque de trop grande rigidité ne peut se produire que si le législateur suit des conseils de prudence. Montesquieu (Lettres persanes) : "Il ne faut légiférer que d'une main tremblante". Portalis : "Il ne faut point de lois inutiles ; elles affaibliraient les lois nécessaires ; elles compro­mettraient- la certitude et la majesté de la législation", "il faut être sobre de nouveautés en matière de législation, parce que s'il est possible, dans une institution nouvelle, de calculer les avantages que la théorie nous offre, il ne l’est pas de connaître tous les inconvénients que la pratique seule peut découvrir". Ces conseils ne sont plus suivis actuellement : 1567 lois ont été publiées en 2012, 1929 en 2015, 1896 en 2017. Et parmi ces lois, on trouve des "monstres législatifs", qui chacun contiennent des centaines d'articles (2001 : loi relative aux nouvelles régulations économiques, LRE; 2008 : la loi de modernisation de l'économie; 2014 : la loi relative à la consommation; 27 mars 2014 : loi ALUR; 6 août 2015 : loi sur la croissance; 2018 : projet de loi PACTE, 73 articles, nombreux amendements). Les conseils de modération ne sont plus suivis dans la legislation.

L'inflation legislatif se combine avec l'instabilité législatif. Aujourd'hui, le législateur modifie des textes récents. En 2007, une nouvelle institution apparait, la fiducie; un an plus tard, une nouvelle loi est venu modifier les textes la concernant. Ceci ne facilite pas la connaissance du droit par le peuple, d'autant que l'inflation ne se mesure pas qu'en flux, mais également en stock. Le Conseil d'Etat, en 1991, a dénombré 7500 loi et 90000 décrets environ. Le Doyen Carbonnier, quelques années plus tard, a avancé le chiffre de 330 000 textes en vigueur dans notre pays.

Les causes sont multiplies : complexification réelle de la société, un voeu du corps social qui est prompt à réclamer de nouvelles lois. Par exemple, après un accident lié à un chien qui a mordu mortellement quelqu'un, suite à l'émotion, on légifère (alors qu'il existait déjà des lois).

En 2005, dans les voeux du Président du Conseil Constitutionnel (Pierre Mazeaud) : "le législateur doit apprendre à résister à la « demande de loi », s'interdire de faire de la loi un instrument de communication". Mais c'est souvent tentant, par exemple lorsque la loi portera le nom d'un Ministre qui porte le projet, ou le nom d'un député qui s'est battu à l'Assemblée (exemple : loi Kouchner, loi Carrez), alors que ce ne sont même pas les intitulés officiels.

Le législateur a alors lancé le procédé de codification formelle (codification contemporaine, à droit constant), en opposition à la codification réelle (codification du début du XIXè siècle, napoléonienne). Le Conseil Constitutionnel a été consulté par le législateur pour savoir si le Gouvernement pouvait édicter, par ordonnance, de nouveaux codes. Il en a admis la conformité à la Constitution, au regard de "l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi". Les codes contemporains sont destinés à améliorer l'accessibilité à la connaissance du droit par les citoyens.

Il y avait 5 codes à l'issu de l'épopée napoléonienne (1804-1810) : le Code Civil, le Code de commerce, le Code de procédure civile, le Code Pénal et le Code d'instruction criminelle. En 1904, il y avait toujours 5 codes; en 2004 on passe à 69 codes puis maintenant 73 codes. Par exemple, le Code du sport, Code du tourisme, Code du cinéma et de l'image animée. L'objectif est d'atteindre les 100 codes.

Ce phénomène de codification entraine des difficultés. Par exemple, le nom des codes n'est pas suffisamment clair : le code du patrimoine, qui contient uniquement le patrimoine culturel et non les droits patrimoniaux. Il y a aussi des erreurs de codification, et il faut maintenant s'y retrouver dans les codes. D'où l'utilité des moyens de recherche moderne, par exemple sur Légifrance.

Bilan : La loi présente des qualités, de permettre une bonne accessibilité aux règles de Droit; la prévisibilité et la sécurité juridique au profit des citoyens; une flexibilité du système légaliste (modification de la loi, plutôt que par jurisprudence). Mais à ces avantages, il y a les maux de la loi, avec cette instabilité et inflation legislative qui menacent la prévisibilité et la sécurité juridique, contrebalancée par l'entreprise de codification contemporaine.

La coutume

Dans une société démocratique, les règles de Droit objectif reposent sur la volonté populaire. Cette volonté s'exprime par l'intermédiaire de structure étatique, en accord avec l'article 6 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789.

Mais le Droit peut aussi se créer d'une volonté populaire, qui s'exprime et créé la règle de Droit : c'est la coutume, ou usage.

On appelle coutume des règles de droit non écrites, que l'usage a établi et qui se sont conservées sans écrits par une longue tradition.
Pothier 

Eléments constitutifs de la coutume

La coutume n'émane pas de l'Etat, ce sont les citoyens qui l'établissent. Il faut deux éléments.

  • Un élément matériel : une pratique bien établie, un comportement social, une manière d'agir collective qui est basée sur la répétition "une fois n'est pas coutume". La répétition est nécessaire, mais une longue tradition n'est pas indispensable. Un bon exemple, lorsque les vélos de location ont été mis à disposition : si un vélo était défaillant, la selle était retournée pour l'indiquer.
  • Un élément intellectuel : Opinio necessitatis, ou sentiment de l'obligatoire. Il faut que les citoyens adoptent un comportement en ayant le sentiment que le Droit l'impose. Par exemple, le nom à l'enfant était celui du père (principe patronymique), en ayant le sentiment que c'était la règle (et c'était une règle coutumière).

Elément indifférent

Le caractère non écrit n'est pas essentiel à la qualification de coutume. Initialement, toute coutume se forme de manière non écrite, et peut se conserver de manière non écrite. Mais une fois que la coutume existe, il se peut qu'elle en vienne à être écrite. Exemple, au XVè siècle, ordonnance de Montils-lès-Tours 1453 a ordonné la rédaction des coutumes, avec les coutumes de Paris, Orléans, de Bretagne. Mais c'en était toujours des coutumes. Ainsi, à l'occasion d'un procès, il était possible de montrer qu'une coutume était tombée en désuétude, même si elle était écrite.

Qualités et défauts de la coutume

La coutume a une grande qualité : elle est adaptée au besoin de la société puisqu'elle jaillit spontanément de la société, et elle évolue avec ses besoins, sociaux, même si ces évolutions sont plus lentes.

La coutume présente des défauts : la souplesse, la malléabilité de la coutume peut la rendre imprécise, et incertaine. La coutume est donc peu propice à remplir une des missions de la loi, à savoir assurer l'ordre social, qui passe par la sécurité juridique. En outre, la coutume peut n'être connue en détail que par quelques spécialistes. Cela a conduit à réduire dans la plupart des pays l'influence de la coutume au profit des règles légales. En France, à la fin du XVIIIè et début du XIXè siècles.

Les rapports de la loi et de la coutume

Depuis la Révolution Française, et surtout depuis la codification napoléonienne, la France fait une place majeure aux sources légales du Droit. Le système est principalement légaliste, la coutume ne joue qu'un rôle (très) mineur. L'époque contemporaine accentue encore ce phénomène. Ex: 4 mars 2002 sur le nom de famille a substitué une règle à une règle qui était jusqu'ici coutumière.

Dans un tel système, comment se règle les rapports entre la loi et ce qu'il reste de coutume ? On fait une triple distinction :

  • La coutume « secundum legem », suivant la loi, conformément à la loi. Cela se rencontre lorsque la loi elle-même renvoie à la coutume ou à l'usage pour régler une question. Article 663 du Code Civil : " la hauteur de la clôture sera fixée suivant les règlements particuliers ou les usages constants et reconnus", avec une règle légale à défaut. Article 671 du Code Civil : "Il n'est permis d'avoir des arbres, arbrisseaux et arbustes près de la limite de la propriété voisine qu'à la distance prescrite par les règlements particuliers actuellement existants, ou par des usages constants et reconnus". Article 389-3 du Code Civil : "L'administrateur légal représentera le mineur dans tous les actes civils, sauf les cas dans lesquels la loi ou l'usage autorise les mineurs à agir eux-mêmes.".
  • La coutume « praeter legem », au-delà de ce que comporte la loi, à défaut de loi. C'est une lacune du système légal, si le système légal n'énonce pas un point qui pourtant appelle une solution. La coutume trouve une vocation à occuper les espaces libres des lacunes legislatives. Un exemple : le nom de la femme mariée, où une règle coutumière s'applique jusqu'à la législation (17 mai 2013). En matière commerciale, de nombreux usages se sont formés pour combler les lacunes du code commercial.
  • La question de la coutume « contra legem », contre la loi. Deux hypothèses se présentent :
    • une loi que le législateur met en place pour mettre fin à une coutume. Ex: loi du 30 ventôse an XII (21 mars 1804), qui a abrogé toutes les coutumes antérieures dans ce qu'elles avaient de contraire au Code Civil qui venait d'être promulgué. Un effet immédiat : c'est le Code Civil qui a pris le dessus sur les anciennes coutumes. Parfois, des coutumes parviennent à survivre. Par exemple, l'article 521-1 du Code Civil sanctionnent les mauvais traitements animaux, sauf dans des cas particuliers (courses de taureaux, combats de coqs) "lorsqu'une tradition locale ininterrompue peut être invoquée". La loi n'ose pas combattre la coutume, tant qu'elle ne s'interrompt pas.
    • une coutume qui s'établirait après la promulgation d'une loi, et qui contredirait la loi. La loi peut-elle se trouvée abrogé par "désuétude", question délicate et très discutée. Un courant soutient que la coutume étant l'expression de la volonté populaire, quand elle est plus récente, elle doit l'emporter sur la loi. Ce serait un moyen d'éviter un décalage entre les règles de Droit et l'évolution de la société, et permet de diminuer le nombre de règles. A l'inverse, on fait remarquer que la coutume est trop marquée d'incertitude pour que ce rôle puisse lui être confié. Il serait très difficile de discerner les lois applicables et celles qui ne le seraient pas. L'incertitude qui régit le droit coutumier rejaillirait sur l'ensemble des règles de droit. En France, le droit n'admet pas d'abrogation par désuétude. La coutume ne l'emporte pas sur la loi. Ce principe s'accommode parfois de solutions contraires :
      • article 931 du Code Civil : "Tous actes portant donation entre vifs seront passés devant notaires, dans la forme ordinaire des contrats; et il en restera minute, sous peine de nullité". Acte authentique nécessaire, mais il existe les dons manuels, à l'encontre donc de l'article. La Cour de Cassation considère cette donation comme valable, et l'article 931 a perdu une partie de son domaine d'application sous l'effet d'une coutume tellement forte que la loi n'a pas pu résister.
      • article 1202 du Code Civil : "La solidarité ne se présume point ; il faut qu'elle soit expressément stipulée. Cette règle ne cesse que dans les cas où la solidarité a lieu de plein droit, en vertu d'une disposition de la loi". Dans les faits, dans la cas de dette, la règle ne s'applique pas et la solidarité se présume.

Les sources complémentaires

Il y en a deux : principalement, la jurisprudence, et la doctrine.

La jurisprudence

Jurisprudence : ensemble des décisions de justice d'où se dégagent des solutions adoptées par les Juges dans l'interprétation de la loi (quand elle est obscure) ou dans la création du Droit (quand la loi fait défaut).

Le fait que la jurisprudence soit une source du Droit objectif a fait l'object d'une controverse, qui tend à s'apaiser.

Certains dénient à la jurisprudence tout pouvoir créateur, le juge ayant pour seul rôle d'appliquer le Droit objectif, éventuellement l'éclaircir quand il est obscure, mais pas le créer. Juridiction : "juris dictio", le juge dit le droit, ne le créé pas.

Certains faits étayent cette thèse : la séparation des pouvoirs (16 et 24 aout 1790, qui interdit aux tribunaux de prendre part à l'exercice législatif); la prohibition des arrêts de règlement, qui figure toujours dans le Code Civil; l'autorité de la chose jugée (article 1355 du Code Civil, "l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement"). Dans cette hypothèse, la jurisprudence n'a qu'un rôle d'interprétation de la loi, mais pas de création des règles de Droit.

Une thèse se veut réaliste : les décisions des juges sont individuelles, mais lorsqu'elles sont prises par habitude, on peut penser que dans d'autres situations identiques, les décisions seront les mêmes. Le pouvoir normatif du juge est difficilement niable lorsqu'une règle jurisprudentielle vient combler les manques de la loi. La jurisprudence est une source de règles jurisprudentielles, qui sont des règles de Droit, comme Portalis l'a indiqué.

A l'inverse, en Droit administratif, le juge (le Conseil d'Etat) était une source de cette discipline, car il y a peu de règles de Droit administratif. La controverse a surtout touché le Droit civil, car nous sommes en présence d'un domaine où les règles sont très nombreuses. Le juge s'est longtemps contenté d'appliquer ou d'interpréter la loi. Aujourd'hui, même en Droit civil, le juge a pris l'habitude de créer de véritables règles de droit.

  • Théorie de l'apparence (fin du XIXè siècle) : les actes accomplis par un propriétaire apparent sont aussi valable que s'il était propriétaire réel. "error communis facit jus", l'erreur commune fait le droit. C'est une règle jurisprudentielle.
  • Théorie de l'enrichissement sans cause (fin du XIXè siècle) : il s'agit de permettre à une personne qui se sera acquittée sans raison d'une obligation, et qui se sera donc appauvrie, de demander à être remboursée par celui qui s'est enrichi à son détriment. Ainsi, nul ne peut s'enrichir aux dépens d'autrui.

Il faut tout de même préciser que la jurisprudence est une source subordonnée à la loi. Le législateur peut toujours combattre une jurisprudence si la solution retenue par les tribunaux ne convient pas au législateur, et il peut adopter une loi complémentaire.

La jurisprudence, contrairement à la loi, ne fait pas l'object d'une publication officielle et systématique. Il n'est pas toujours facile de connaitre les règles jurisprudentielles. Les arrêts les plus importants des Cours les plus élevées sont, eux, publiés par le Conseil d'Etat ou la Cour de Cassation, dans des recueils (Bulletin des arrêts de la Cour de Cassation, Recueil Lebon pour le Conseil d'Etat). Des revues d'éditeurs privés se chargent de choisir et de commenter des décisions, pour montrer l'importance qu'elles peuvent avoir, ce qui montre l'importance accordée à la jurisprudence. Un travail est fait également par les éditeurs de code pour mettre, sous les articles de loi, des annotations pour indiquer les décisions importantes de la jurisprudence.

Une source d’interprétation ou d’inspiration : la doctrine

La doctrine désigne l'ensemble des opinions éminent par ceux qui enseignent le Droit ou écrivent sur le Droit. Cela désigne également l'ensemble des auteurs de ces opinions. Il y a par exemple la doctrine civiliste, la doctrine commercialiste, la doctrine travailliste...

La doctrine s'exprime dans des livres, des articles de revue, des notes d'arrêt (commentaires en dessous des décisions qui visent à éclairer les décisions). Mais la doctrine n'est qu'une autorité, elle n'est pas une source du Droit; elle peut cependant contribuer à forger des interprétations, à pousser le législateur à adopter des règles : c'est donc une source d'inspiration.