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Chapitre 3 : Les méthodes générales d’interprétation

Il s'agit ici de proposer un but général, une direction pour l'interprétation.

A cet égard, il est classique d'opposer la méthode dite exégétique, à des méthodes plus récentes, et on verra la destinée de l'ensemble.

Section 1 : La méthode exégétique

Cette méthode a été développée par de grands auteurs du XIXe siècle, qui ont pour nom Duranton, Troplong (Paris), Demolombe (Normandie), Laurent (Belge). Et on a pris l'habitude de désigner ces auteurs comme constituant l'école de l'exégèse.

Ces auteurs avaient une grande admiration pour le Code civil, dans lequel ils prétendaient trouver toutes les règles de droit civil. Et la méthode de l'exégèse consiste, bien entendu à partir du texte, à lui appliquer au plus haut point les divers procédés d'interprétation littérale, lexicale, grammaticale et logique vus précédemment, afin de s'efforcer de résoudre les difficultés rencontrées en pratique.

Mais ce qui caractérise profondément la méthode exégétique, c'est l'idée directrice qui la guide : l'interprète doit rechercher l'intention du législateur. Parce que la loi est un acte de volonté, dit-on, et lorsque le texte est obscur, insuffisamment clair, il convient de chercher à dégager ce qu'a voulu dire son auteur.

Les partisans de l'exégèse recouraient ainsi très souvent aux travaux préparatoires du Code civil qui avaient été publiés au XIXe siècle dans des recueils complets et très utilisés, le recueil Fenet et le recueil de Locré, deux personnes qui avaient rassemblé, dans des monuments tout à fait formidables et extraordinaires, tout ce qui avait été fait à l'occasion de la préparation du Code civil.

En outre, le silence du législateur était interprété comme une volonté implicite de celui-ci de maintenir une règle antérieure si elle était bien établie.

Et les auteurs de l'école de l'exégèse recouraient ainsi à l'Histoire pour découvrir l'état du droit juste avant la promulgation du Code civil, et ils s'inspiraient de l'interprétation antérieure qui avait été donnée sous l'ancien droit, des textes au fond repris parfois dans le Code civil, en faisant souvent référence d'ailleurs aux œuvres de Domat, de Pothier, de très grands auteurs de l'ancien droit.

Le cœur de la méthode exégétique, c'est le texte interprété, mais dans la découverte de l'intention du législateur, qui est essentielle, on peut aussi chercher avant, ailleurs et autour. La méthode exégétique ne se réduit donc pas à une interprétation strictement littérale des textes.

Ainsi, l'interprétation de l'article 2061 du Code civil, qui est un texte relativement récent puisqu'il date de 2001, au fond, elle s'est faite selon la méthode exégétique. Où il y avait une difficulté, on a recherché au fond dans le texte, un petit peu autour, qu'est-ce qu'il y avait avant, qu'est-ce qu'a voulu faire le législateur, et c'est comme ça qu'on a fait le renversement a contrario qui a paru convaincant.

Section 2 : Les méthodes plus récentes

La méthode de la libre recherche scientifique

Elle a été conçue par un très grand auteur, François Gény, à la fin du XIXe siècle, qui enseignait à Nancy, avec la méthode d'interprétation est source du droit privé positif, grand ouvrage, également source et technique en droit privé positif, également un grand ouvrage de l'auteur Lorrain. Cet auteur est parti d'une vive critique de la méthode de l'exégèse.

C'est une erreur fondamentale, soutient-il, de penser que le législateur a tout prévu, et qu'il faut toujours rechercher une intention qu'en réalité il n'a jamais eue, surtout lorsqu'il s'agit de résoudre une question nouvelle qui ne se posait pas lorsque la loi a été votée, et une question qui est apparue avec l'évolution ultérieure des données sociales.

Par exemple, tout ce développement du machinisme à partir de la moitié du XIXe siècle, tout cela n'existait pas au moment de l'édiction du Code de Napoléon en 1804.

Au-delà de cette erreur méthodologique, Gény reproche aussi à la méthode de l'exégèse son fétichisme de la loi écrite, dit-il, de n'apporter au droit que stagnation et sclérose. On parie le développement du droit en recherchant l'intention présumée, à vrai dire inexistante, du législateur d'autrefois.

Gény propose donc de remplacer la méthode exégétique par ce qu'il appelle la libre recherche scientifique.

Sans doute faut-il respecter la volonté du législateur lorsqu'elle est réelle, mais il faut savoir admettre que, dans certains cas, le législateur n'a rien voulu, et alors il faut s'interdire de partir à la découverte de son intention, et même s'interdire d'interpréter un texte si interpréter, c'est découvrir une intention présumée. Pour résoudre une difficulté nouvelle, qui n'existait pas lorsque le législateur a légiféré, ou qu'il n'avait pas entrevu à ce moment-là, il faut s'affranchir des textes et de l'interprétation.

On va ainsi passer à la libre recherche scientifique de la bonne solution. La recherche est libre parce qu'elle est affranchie des textes, mais elle doit être scientifique. Le juge, l'interprète, doit s'appuyer sur des données objectives, des données de son époque, afin de poser la règle la mieux adaptée aux besoins actuels qui auront été observés.

Alors avec cette méthode l'interprète devient en réalité un créateur.

La méthode du but social

Une autre méthode récente aussi, plus récente, est la méthode dite du but social.

Elle part de la même critique, de la méthode exégétique, mais sans aller aussi loin dans les conséquences que le système de François Gény.

La loi se sépare de la volonté du législateur, son auteur, dès qu'elle est promulguée. Elle est alors à la disposition des interprètes. L'interprète ne partira donc pas à la recherche des intentions présumées du législateur, mais du moins s'appuiera-t-il sur le texte et cherchera-t-il à l'appliquer dans toute la mesure de son but.

Or, ce but social peut varier avec le temps, et il faudra découvrir le but du texte à interpréter, non pas tel qu'il était au moment où la loi a été adoptée, mais tel qu'il est au moment où la difficulté d'interprétation se pose.

Avec cette méthode, on ira donc au-delà du texte, au-delà du code civil, mais par le code civil.

La méthode dite évolutive

Cette méthode est assez proche de la précédente, mais elle se veut moins radicale encore.

Elle tente de rechercher l'intention du législateur, mais pas telle qu'elle existait au moment du vote de la loi, telle qu'elle serait aujourd'hui si le législateur statuait sur la difficulté que l'interprète doit résoudre. Donc, c'est une recherche purement hypothétique de la volonté d'un législateur actuel.

Section 3 : Destinée des diverses méthodes

La méthode exégétique a dominé presque tout le XIXe siècle.

Elle a essuyé ensuite des critiques, car le Code civil, à la fin du XIXe, avait vieilli et il était artificiel de prétendre découvrir à tout prix la volonté du législateur, même là où celui-ci n'avait pas envisagé une question et donc, en réalité, n'avait eu aucune volonté sur ce point.

Pour autant, cette méthode n'a pas été complètement vaincue, bien loin de là. Il est bien certain qu'aujourd'hui encore, on ne peut être un bon interprète de la loi si l'on est incapable d'utiliser les procédés de l'école exégétique.

La base, c'est toujours l'analyse approfondie des textes et les raisonnements logiques que les exégètes maniaient si bien. Quant à la recherche de l'intention du législateur, elle reste pertinente pour des textes récents.

Or, précisément, on vit à une époque d'inflation législative, de réformes constantes, et le droit civil n'est pas épargné. Pour toutes les dispositions qui ont été édictées à l'époque contemporaine dans des réformes successives, il est de bonne méthode de résoudre les difficultés d'interprétation par la recherche de cette intention du législateur.

Quand l'intention est inexistante, parce que parfois les travaux parlementaires sont assez fumeux, alors il n'y aura rien à faire de ce côté-là, mais c'est tout de même en soi une bonne méthode de commencer par regarder.

Le renouvellement législatif s'accompagne d'un retour complet de la méthode exégétique, sans que les critiques qu'elle a essuyées il y a un peu plus d'un siècle soient aujourd'hui fondées.

Quant à la libre recherche scientifique de Gény, elle n'a pas convaincu, elle ne s'est jamais imposée. Il est en effet difficile de laisser l'interprète, en but à une difficulté d'interprétation d'un texte insuffisamment clair ou complet, de lui laisser le soin de créer librement du droit et de s'affranchir du texte.

La méthode évolutive, elle, n'a pas eu de succès non plus, tant il est curieux de prétendre interpréter des textes anciens en se référant à l'intention supposée du législateur d'aujourd'hui.

En revanche, la méthode du but social, c'est-à-dire la méthode qui consiste à rechercher la finalité de la règle, à rechercher l'objectif de la loi, cette méthode a souvent été utilisée pour aller au-delà de la lettre des textes qui paraissait dépasser et pour tenir compte de l'évolution des données.

Et on peut dire qu'elle conserve aujourd'hui son utilité pour les textes vieillis.