Chapitre I. La séparation du juge et du législateur
Si le juge est séparé du législateur, cela signifie d'abord que le juge n'est pas législateur; inversement le législateur n'est pas juge.
Section 1. Le juge n’est pas législateur
Le juge n'est pas le législateur, et cela emporte trois conséquences extrêmement importantes sur le pouvoir de juger.
Première conséquence, c'est la soumission du juge à la loi.
La soumission du juge à la loi, cela signifie que le juge, dans sa mission de juger, doit appliquer la loi, doit se conformer à la loi. Et d'ailleurs, pendant longtemps, lorsque le juge ne respectait pas la loi, cela relevait d'une infraction pénale qui a certes disparu aujourd'hui, mais cela ne signifie pas pour autant que le juge doit respecter la loi, il doit faire application de la loi lorsqu'un litige lui est soumis.
Deuxième conséquence, c'est ce qu'on appelle la prohibition des arrêts de règlement.
Cette prohibition des arrêts de règlement figure à l'article 5 du code civil :
Il est défendu aux juges de prononcer par voie de disposition générale et réglementaire sur les causes qui leur sont soumises
— Article 5 du Code Civil
Le juge est appelé à juger, cela signifie qu'il va rendre une décision qui est particulière au conflit qu'il tranche et qui est personnelle aux parties qu'il a en face de lui. Cette mission de décision particulière et personnelle est une mission qui est tout à fait différente de la mission du législateur qui lui va édicter une norme impersonnelle, parce qu'elle est destinée en principe à s'appliquer à tous et qu'elle est générale.
Dans la loi, on ne fait pas grand cas des cas particuliers. Ainsi, la prohibition des arrêts de règlement, cela signifie que le juge ne doit pas profiter d'un cas d'espèce, d'un cas particulier, pour élaborer une norme générale.
Un exemple : contentieux de divorce entre deux époux. Il faut que le juge établisse le montant de la prestation compensatoire : un des époux va devoir payer une somme à l'autre époux suite à la dégradation de ses conditions de vie après le divorce. À cette occasion, un juge ne peut pas dire "je décide que désormais je calculerai les prestations compensatoires ainsi et que cela va s'appliquer pour tous les futurs divorces sur lesquels je serai appelé à me prononcer". Ça, c'est une norme générale et impersonnelle et ce n'est pas la mission du juge. Le juge doit uniquement prendre des décisions personnelles et particulières, d'où l'interdiction des arrêts de règlement.
Troisième conséquence, c'est que le juge doit interpréter la loi.
Ce n'est pas contraire à la première conséquence selon laquelle le juge est soumis à la loi. Si la loi est claire, si la loi n'est pas lacunaire, il doit l'appliquer tel quel. Sauf que, puisque la loi est générale et impersonnelle, il se peut qu'elle soit lacunaire, il se peut que la loi n'ait pas prévue un cas, il se peut qu'elle ne corresponde pas exactement à la situation de fait qui est soumise au juge.
Le juge pourrait dire « la loi ne dit rien, moi je peux rien faire et donc je ne rends pas de justice ». Mais ce n'est pas possible, parce que ça s'appelle un déni de justice et le déni de justice est banni à l'article 4 du code civil :
Le juge qui refusera de juger, sous prétexte du silence, de l'obscurité ou de l'insuffisance de la loi, pourra être poursuivi comme coupable de déni de justice
— Article 4 du Code Civil
Le juge est toujours tenu de se prononcer, de trancher le litige, il est toujours tenu d'observer sa mission. Dès lors si la loi est lacunaire ou si la loi n'est pas claire, ce sera au juge de l'interpréter, ce sera au juge de la compléter afin de pouvoir trancher le litige.
Section 2. Le législateur n’est pas juge
Le législateur ne doit pas s'immiscer dans le jugement des affaires qui sont portées devant les tribunaux. Ce principe n'est en réalité écrit nulle part mais il est globalement respecté.
Dans les médias, on peut voir qu'il arrive que le Ministre de la Justice intervienne parfois sur des procès en cours ou sur des procès qui le concernent. Mais en principe, le législateur ne peut pas s'immiscer dans les affaires du juge, ce qui est plutôt bien respecté.
Il arrive néanmoins qu'il y ait des exceptions à ce principe. Un exemple, c'est les bris de jurisprudence, les lois qui brisent la jurisprudence.
La jurisprudence c'est le résultat des décisions des juges. Donc les juges décident dans des affaires qu'elles se résolvent ainsi. Et il peut s'avérer que les décisions rendues par les juges aient des conséquences néfastes ou ne correspondent pas à ce qui est pensé par l'opinion politique ou l'opinion publique et donc que le législateur veuille intervenir pour briser une jurisprudence alors.
Un exemple : la jurisprudence Perruche. Il s'agissait d'un enfant qui est né alors que sa mère avait été malade pendant sa grossesse. Il est né fortement handicapé mais sa mère avait été mal diagnostiqué, et elle avait renoncé à procéder à une IVG mais elle était vraiment malade. L'enfant est né avec un lourd handicap. Ses parents agissent en justice et obtienne réparation pour le dommage vécu par l'enfant, qui est le fait d'être né handicapé. Cette décision a suscité beaucoup d'émois parce qu'on a eu l'impression que les magistrats venaient indemniser le fait de naître ce qui sur un plan éthique pouvait susciter des réticences. Le législateur est intervenu après cette jurisprudence pour énoncer un article dans lequel il est dit que "nul ne peut se prévaloir du préjudice d'être né" et donc c'est la protection de la valeur vie; la loi prévoit ensuite que le dommage subit par ses enfants pourront être pris en charge par la solidarité nationale donc par la sécurité sociale.
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