Les juridictions hors ordre juridictionnel
En France, et c'est une particularité du système français, il y a deux ordres juridictionnels. L'ordre juridictionnel judiciaire, et l'ordre juridictionnel administratif.
Certaines juridictions françaises ne rentraient dans aucun de ces classements, ni dans l'ordre judiciaire, ni dans l'ordre administratif. C'est d'abord le tribunal des conflits et ensuite le Conseil constitutionnel.
L'idée, c'est qu'il peut arriver qu'à la fois des juridictions de l'ordre judiciaire et à la fois des juridictions de l'ordre administratif s'estiment compétentes dans une affaire. C'est le tribunal des conflits qui va décider que c'est l'ordre judiciaire ou que c'est l'ordre administratif qui est compétent.
De la même manière, il peut arriver que ni l'ordre judiciaire ni l'ordre administratif ne s'estiment compétents pour juger de l'affaire. Mais alors c'est un déni de justice parce que l'affaire n'est pas jugée. Dans ce cas, c'est le tribunal des conflits qui décidera qui est compétent pour statuer.
Finalement le tribunal des conflits, c'est celui qui est chargé de résoudre les conflits entre l'ordre judiciaire et l'ordre administratif, qui sera traité dans le cadre du cours d'institution administratif. On ne va traiter que le Conseil constitutionnel
On va se poser la question de la compétence du conseil constitutionnel, puis la question de la composition parfois controversée du conseil constitutionnel.
Section 1. La compétence du Conseil constitutionnel
Les compétences du conseil constitutionnel ont en réalité beaucoup évolué.
Évolution
Le conseil constitutionnel est un organe constitutionnel créé par la constitution de 1958. Il a donc plus de 70 ans et la mission originaire du conseil constitutionnel a en réalité beaucoup évolué en 70 ans.
De garant du régime parlementaire
Ce qu'il faut bien comprendre, c'est que le Conseil constitutionnel a été créé dans la tête du constituant, des rédacteurs de la Constitution de 1958, comme un garant du régime parlementaire.
Pour comprendre ce que cela signifie, il faut que se souvenir du problème qu'ont rencontré les Républiques françaises qui étaient fondées sur un régime parlementaire. C'est l'histoire de la Troisième République et de la Quatrième République où il y avait une forte instabilité parlementaire, qui a conduit à de nombreuses crises politiques, à de nombreuses phases d'inaction parce que le parlement était justement instable et qui a véritablement traumatisé les hommes politiques et les rédacteurs, donc évidemment derrière le général de Gaulle, les rédacteurs de la constitution de 1958.
Pour éviter ces dérives du régime parlementaire, parce que quoi qu'il en soit la constitution de 1958 instaure un régime parlementaire, les constituants ont eu l'idée de créer le Conseil constitutionnel dont la mission était finalement d'être garante, de contrer les possibles dérives dictatoriales du parlement.
L'idée était qu'il fallait qu'il y ait un organe, le Conseil constitutionnel, qui vérifie que le parlement se borne bien à faire des lois, dans les domaines dans lesquels il a compétence d'en faire et ces domaines dans lesquels le parlement est compétent sont aussi prévus par la Constitution. Donc le Conseil constitutionnel, sa mission d'origine, c'est de vérifier que le législateur n'excède pas les pouvoirs qui lui sont confiés par la constitution. Il faut faire des lois et il faut faire des lois uniquement dans les domaines où il est compétent d'en faire. C'est ça le rôle, l'utilité originaire du conseil constitutionnel.
Encore une fois cette utilité originaire, elle existe toujours, mais en réalité la fonction du Conseil constitutionnel a beaucoup évolué.
À garant des libertés garanties par la Constitution
L'idée donc, encore une fois originaire, c'était de dire que le Conseil constitutionnel pourrait dire qu'une loi est un constitutionnel, n'est pas conforme à la constitution parce qu'elle n'est pas prise dans le champ de compétence du législateur. Sauf qu'en réalité le Conseil constitutionnel a compris son pouvoir de manière extensive et a petit à petit étendu le contrôle de constitutionnalité.
L'idée, c'était de dire qu'une loi, dès lors qu'elle est contraire à la Constitution, peut être déclarée inconstitutionnelle. Or, le Conseil constitutionnel a décidé de comprendre de manière extensive son contrôle, en disant que finalement tout ce qui était contraire à ce qu'on appelle le bloc de constitutionnalité pouvait être déclaré inconstitutionnel.
Or, dans ce bloc de constitutionnalité, il n'y a pas seulement les différents articles de la Constitution, mais il y a aussi tous les droits fondamentaux, droits fondamentaux qui sont cités notamment dans le préambule de la Constitution, préambule de la Constitution de 1958, qui fait référence au préambule de 1946, qui fait référence à la déclaration des droits de l'homme et du citoyen, et qui fait référence à d'autres chartes, notamment la charte de l'environnement, donc qui protège toute une série de droits fondamentaux.
Donc, de garant du régime parlementaire, le Conseil constitutionnel est en réalité devenu le garant des libertés prévues par la Constitution, ce qui accrue largement le pouvoir du conseil constitutionnel.
Inventaire des compétences
Ses différentes compétences sont énoncées des articles 56 à 63 de la Constitution. Et il y a deux séries de missions, de compétences du Conseil constitutionnel : des compétences qui sont relatives au scrutin populaire, donc au vote, et une compétence qui est relative à la régularité, à la conformité de la loi à la Constitution.
Contrôle du scrutin populaire
Le Conseil constitutionnel a un rôle de vérification de la régularité de certains scrutins, donc de certains votes. Il s'agit du contrôle de l'élection du Président de la république, article 58, du des députés et des sénateurs, article 59, et aussi des référendums.
Le Conseil constitutionnel veille à la régularité de l'élection du Président de la République. Il examine les réclamations et proclame les résultats du scrutin
— Article 58 de la Constitution de 1958
Le Conseil constitutionnel statue, en cas de contestation, sur la régularité de l'élection des députés et des sénateurs.
— Article 59 de la Constitution de 1958
Ces contrôles sont encadrés, sont précisés par les différents articles de la constitution.
Contrôle de constitutionnalité
Le contrôle de constitutionnalité, c'est vérifier qu'une loi est conforme à la Constitution, donc aux différents articles de la Constitution, mais aussi au bloc de constitutionnalité, c'est-à-dire aux droits et libertés fondamentales garantis par la Constitution.
Contrôle a priori
À l'origine, en 1958, était seulement prévu un contrôle a priori de la constitutionnalité des lois. C'était l'article 61 de la Constitution.
L'idée était que lorsque une loi était adoptée par le Parlement, il était possible, avant sa promulgation, de la faire porter devant le Conseil constitutionnel pour décider si elle était constitutionnelle ou pas.
La loi était votée par le Parlement, elle était transmise, si les conditions étaient respectées, au Conseil constitutionnel, et le Conseil constitutionnel statuait.
- Soit il déclarait la loi conforme à la Constitution et alors la loi pouvait être adoptée officiellement et promulguée;
- Soit le Conseil constitutionnel déclarait que la loi était contraire à la Constitution et alors ça s'arrêtait là, la loi ne pouvait jamais être promulguée, ou alors il fallait que le législateur, donc le Parlement, reprenne sa copie et refasse une nouvelle loi qui soit conforme à la Constitution.
Ça c'est le contrôle a priori qui a duré pendant très longtemps et qui existe toujours évidemment, mais qui a été le seul contrôle de constitutionnalité pendant très longtemps.
Contrôle a posteriori
Mais en 2008, il y a une réforme, entrée en vigueur en 2010 et qui a instauré le contrôle de constitutionnalité a posteriori : c'est ce qu'on appelle la question prioritaire de constitutionnalité.
Ce contrôle de constitutionnalité a posteriori est prévu à l'article 61-1 de la constitution et il est prévu cette fois-ci que dans tout litige, une personne peut invoquer la contrariété de la loi à la constitution. Si un plaideur estime que la loi qu'on cherche à lui appliquer est contraire à la Constitution, il va poser une question prioritaire de constitutionnalité pour chercher à faire écarter la loi.
Cette question est posée devant les juges du fonds qui vont la transmettre à la Cour de cassation qui, en tout cas dans l'ordre judiciaire joue le rôle de filtre et qui va décider si cette question est suffisamment sérieuse pour être transmise au Conseil constitutionnel.
Si c'est le cas, le Conseil constitutionnel va devoir analyser le dossier et vérifier si la loi est conforme à la Constitution ou pas.
- Si la loi est conforme à la Constitution, le juge va pouvoir l'appliquer.
- Si la loi n'est pas conforme à la Constitution, alors elle est abrogée parce qu'elle est inconstitutionnelle et le juge évidemment ne pourra en principe pas appliquer la loi.
Section 2. Composition du Conseil constitutionnel
Les membres du Conseil constitutionnel sont surnommés les sages et la composition du Conseil constitutionnel est éminemment politique, parce que le Conseil constitutionnel comporte en principe neuf membres, trois membres qui sont nommés par le Président de la République, trois qui sont nommés par le Président du Sénat et trois qui sont nommés par le Président de l'Assemblée nationale, sachant que s'ajoutent à ces neuf membres, tous les anciens Présidents de la République qui peuvent siéger de droit au sein du Conseil constitutionnel.
Cette composition éminemment politique du Conseil constitutionnel peut étonner, mais ce n'est pas le cas. Il faut revenir à l'utilité originaire du Conseil constitutionnel. La mission première du Conseil constitutionnel, c'est d'être le garant du régime parlementaire, c'était une mission politique. Qui mieux que des politiques pour remplir cette mission politique. Donc la composition du Conseil constitutionnel n'est pas du tout choquante au regard de sa mission originaire.
En revanche, cette composition soulève plus de questions et de critiques aujourd'hui que le Conseil constitutionnel est devenu quasiment une juridiction.
Avec le développement de la question prioritaire de constitutionnalité, d'abord, le contentieux qui est arrivé au Conseil constitutionnel était beaucoup plus important que le contentieux qui existait jusqu'alors. Et le Conseil constitutionnel s'est juridictionnalisé et, de ce fait, déclarer qu'une loi est contraire aux droits et libertés garantis par la Constitution, est une mission qui n'est plus une mission politique, c'est une mission juridictionnelle.
Et dès lors, on peut peut-être s'étonner de la composition politique du conseil, surtout parce que, ce n'est pas parce qu'on est un homme politique, qu'on a forcément des capacités juridiques qui finalement permettent de prendre des décisions en toute connaissance de cause.
D'ailleurs, le service juridique du Conseil constitutionnel s'est largement étoffé depuis la question prioritaire de constitutionnalité afin qu'il y ait des juristes pour faire face à ce nouveau contentieux.
Il faut comprendre que si la composition du Conseil constitutionnel n'était pas critiquable dans l'esprit tel qu'il a été conçu par les rédacteurs de la Constitution de 1958, en revanche, il est évident qu'avec la juridictionnalisation du Conseil constitutionnel, cette composition n'est plus aujourd'hui très satisfaisante.
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