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INSTITUTIONS JUDICIAIRES

Objet du cours : le droit est l'ensemble des règles qui régissent les rapports entre les personnes, que ce soit des personnes privées ou des personnes publiques, dans une société donnée.

Or si on retient cette définition basique du droit, une difficulté apparaît assez rapidement, c'est celle de l'application du droit. Le droit doit être, pour être efficace, appliqué. Le plus souvent le droit va s'appliquer de manière non contentieuse, les rapports vont se nouer entre personnes de manière harmonieuse, et les règles de droit vont être appliquées normalement.

Mais évidemment il est des cas où les choses ne sont pas si simples et où finalement un conflit s'élève. Un conflit s'élève parce qu'on n'est pas d'accord sur la manière dont il faut appliquer la règle de droit, on peut être même en désaccord sur la règle de droit qu'il convient d'appliquer au conflit. À ce moment-là, quand un tel conflit naît, il faut tâcher de le résoudre.

Or évidemment, dans une société civilisée, dans une société démocratique, on va appliquer un célèbre adage selon lequel "nul ne peut se rendre justice à soi-même". L'idée c'est qu'on ne peut pas donc trancher le litige auquel on est partie, litige qu'il va falloir confier à un tiers.

Ce tiers aura la fonction de juger, la fonction de régler le conflit, de trancher le différent : il s'agit de l'organe judiciaire, des institutions judiciaires.

Cet organe judiciaire recouvre d'abord et principalement les juridictions, qui sont elles-mêmes composées de plusieurs juges. Des juridictions qui sont variées, peut-être pas comme on peut l'imaginer. Parfois on a un biais quand on pense aux tribunaux, on pense à la justice pénale.

Or la justice pénale n'est qu'une infime partie de la justice judiciaire. Il y a d'autres parties qui sont tout aussi importantes, quoique moins visibles, telles que la justice civile, pour les conflits, troubles de voisinage ou les affaires de divorce par exemple, la justice commerciale quand il y a un litige entre deux sociétés, les juridictions de droits du travail quand il y a des litiges entre employeurs et employés.

Ces juridictions fonctionnent grâce aux magistrats, aux juges qui siègent au sein de ces juridictions et qui sont accompagnés de ce qu'on appelle des auxiliaires de justice. L'avocat bien sûr, l'avocat des parties, mais également l'huissier, le greffier du tribunal ou encore le notaire, les experts.

Le cours ici, sur les institutions judiciaires, répond à un certain nombre de questions pratiques très importantes.

  • Lorsqu'on a un litige avec son voisin, avec son époux dont on veut divorcer, à quel juge faut-il s'adresser ?
  • A quelle juridiction faut-il s'adresser ?
  • Comment le procès va-t-il se dérouler ?
  • Est-ce qu'il y a seulement une phase contentieuse, ou est-ce qu'il va falloir essayer de concilier les parties auparavant ?
  • Est-ce qu'il y a des voies de recours ? C'est-à-dire, est-ce que si j'ai obtenu une décision, elle est définitive et s'applique à moi ? Ou est-ce que je peux encore la contester ?
  • Si j'obtiens une décision en ma faveur, que dois-je faire pour pouvoir en obtenir l'exécution ?
  • Quels sont les recours si je ne peux pas me payer un avocat ? Est-ce qu'il y a des aides qui existent ? Cette aide est-elle obligatoire
  • L'assistance d'un avocat dans tous les litiges est-elle obligatoire ?

Les questions pratiques sont nombreuses et l'objectif de ce cours est de répondre si possible à toutes ces questions.

Historique

Le système judiciaire qui est le nôtre aujourd'hui est le résultat d'une évolution, d'une histoire qu'il faut connaître pour bien comprendre notre système juridique, judiciaire, surtout actuel.

Sous l'Ancien Régime, il faut bien savoir, donc sous l'Ancien Droit, que l'organisation judiciaire, l'organisation des tribunaux était extrêmement complexe. Elle était extrêmement complexe en raison d'un nombre très important de juridictions : il y avait les juridictions royales, auxquelles s'ajoutaient des juridictions sénioriales, les juridictions ecclésiastiques, donc celles qui étaient pour le clergé, donc des juridictions canoniques. On trouvait aussi des juridictions spécialisées pour telle ou telle matière.

Donc il y avait une multiplicité de juridictions, de telle sorte que lorsqu'on avait un litige, il était très difficile de déterminer à quelle juridiction il fallait s'adresser pour pouvoir trancher notre litige.

La seconde difficulté, sous l'ancien régime, c'était la longueur des procès en raison du nombre très important de recours possibles contre les décisions, c'est-à-dire lorsqu'on était mécontent finalement de la décision qu'on avait obtenue. Il y avait toutes sortes de recours possibles, mais qui dit recours, dit forcément allongement de la procédure, ce qui rendait le temps du procès extrêmement long.

D'autre part, il y avait des juridictions spécialisées pour les seigneurs, pour le clergé, de sorte qu'on pouvait douter de l'impartialité des juges qui siégeaient dans ces juridictions. C'était des seigneurs qui jugeaient les seigneurs, des ecclésiastiques qui jugeaient des ecclésiastiques, de telle sorte que, au moins en apparence, l'impartialité n'était pas préservée.

Et puis, dernière difficulté, et non des moindres, des juridictions sous l'Ancien Régime, c'est qu'il fallait payer le juge. La partie qui remportait le procès était tenue de payer le juge. C'était ainsi que fonctionnait la justice, parce que les magistrats devaient, pour devenir magistrat, acquérir une charge, comme aujourd'hui, par exemple, un notaire acquiert sa charge de notaire, ce qui était extrêmement coûteux.

Et donc, pour compenser cet investissement que faisaient les magistrats en achetant leur charge, ils étaient rémunérés par la partie qui gagnait le procès. Là aussi, il y avait évidemment une difficulté tenant à au moins une question d'impartialité : le magistrat pouvait être tenté de privilégier la partie la plus à même de la rétribuer, la plus à même de la rémunérer; vu que c'est la partie qui gagne qui paye, autant choisir la partie qui est le plus à même à le payer.

Donc il y avait un certain nombre de difficultés dans l'organisation juridictionnelle de l'ancien régime. Résultat, au moment des états généraux et des fameux cahiers de doléance, dans la période pré-révolutionnaire, sont remontées toutes ces difficultés, toutes ces difficultés liées à l'organisation juridictionnelle française.

Dans la nuit du 4 août 1789, un certain nombre de ces difficultés ont été supprimées, notamment les juridictions sénioriales ont été abolies, certains privilèges de juridiction aussi, la vénalité des charges, c'est-à-dire le fait que les magistrats payent pour devenir magistrats a été aussi aboli.

En faisant ces réformes, en imposant ces changements au moment de la Révolution, on a posé les bases d'un nouveau système juridictionnel, d'une nouvelle organisation juridictionnelle et c'est cette nouvelle organisation juridictionnelle qui est celle qu'on connaît aujourd'hui, avec des évolutions évidemment mais, dans ces principes, c'est vraiment ces principes de la Révolution qu'on connaît jusqu'à aujourd'hui.

Alors les fondements de notre justice moderne ont été posés plus précisément après la loi du 4 août 1789 par la loi des 16 et 24 août 1790. Ce texte a posé plusieurs principes fondamentaux de la justice française.

  • Le premier principe c'est le principe de la séparation des pouvoirs. On va séparer la fonction de juge des deux autres pouvoirs, donc du pouvoir de gouverner ,l'exécutif, et du pouvoir de faire la loi, donc le pouvoir législatif. C'est le premier point et on va empêcher que ces pouvoirs se nuisent entre eux et que ces pouvoirs puissent agir sur les autres pouvoirs : on va ainsi essayer de les séparer et d'assurer l'indépendance de la justice.
  • Le deuxième principe très important qui est affirmé par la loi des 16 et 24 août 1790, c'est le principe d'égalité. Le principe d'égalité devant la justice qui signifie que tous les justiciables sont placés sur un pied d'égalité de sorte qu'il n'y a plus de privilèges de juridiction liés à sa naissance. Tous les citoyens sont égaux, c'est la déclaration de 1789 et donc ils sont aussi égaux devant la justice.
  • Troisième principe qui est posé par la loi des 16 et 24 août 1790, c'est le principe de gratuité de la justice. Cela ne veut malheureusement pas dire qu'un procès ne coûte rien, mais cela signifie qu'il ne faut plus payer le juge, c'est la fin de la vénalité des charges. Désormais les juges, les magistrats sont rémunérés, ils deviennent, alors en 1790 on n'utilise pas encore le terme de fonctionnaire, mais l'idée est déjà là. Il y a un service public, là encore le mot n'existe pas mais il s'imposera par la suite, de la justice et c'est l'état qui va prendre en charge la rémunération des magistrats et ce ne sont plus les parties qui seront appelées à payer le juge.
  • Dernier point très important, s'agissant de la loi des 16 et 24 août 1790, c'est que cette loi impose le double degré de juridiction. Elle permet ainsi, lorsque on a obtenu une décision du premier degré, donc une première décision, d'ouvrir une voie de recours qu'on appelle l'appel, qui permet donc de, en quelque sorte, rejuger l'affaire une seconde fois devant de nouveaux juges pour avoir un autre éclairage de notre conflit.

Cette loi des 16 et 24 août 1790 a été véritablement fondamentale et tous ces principes sont toujours d'actualité aujourd'hui.

Mais si cette loi avait de nombreux mérites, elle était néanmoins incomplète et notamment n'avait pas été prévue de juridictions suprêmes qui viennent chapeauter un petit peu l'organigramme, l'organisation juridictionnelle judiciaire française. Et ce manque a été comblé par la loi des 27 novembre et 1er décembre 1790 qui crée le Tribunal de Cassation.

Tribunal de cassation, c'est l'ancêtre de notre Cour de cassation qui était donc la juridiction suprême et unique et qui avait pour mission, comme la Cour de Cassation aujourd'hui, de sanctionner la violation, par les juridictions inférieures de premier et de second degré, des règles de droit par ces juridictions. Cette fonction est très importante parce qu'elle permet d'harmoniser l'application des règles de droit sur tout le territoire.

Dans l'ancien droit, sous l'Ancien Régime, la France était divisée en deux : les pays de coutume au Nord, donc de droits non écrits, et les pays de droits écrits au Sud, en gros au dessus et en dessous de la Loire. Le droit n'était pas donc uniforme sur le territoire français de l'Ancien Régime. Désormais à la Révolution, il y a un droit pour toute la France et donc il y a un tribunal, le tribunal de cassation, qui est chargé d'uniformiser, d'harmoniser et que la décision rendue par le tribunal de Nice soit la même que celle qui est rendue par le tribunal de Lille.

Après cette période révolutionnaire, on peut dire qu'il y a eu une grande période de stabilité entre 1810, donc avec Napoléon 1er, et la Vème République, donc 1958, une grande stabilité des institutions avec seulement deux changements, deux évolutions.

  • La première c'est l'apparition à côté des juridictions judiciaires, d'une juridiction administrative, ce qui explique qu'il existe désormais des institutions judiciaires et des institutions administratives.
  • Le deuxième changement c'est la multiplication de juridictions d'exception, avec la création des tribunaux pour les affaires commerciales, des tribunaux pour les affaires sociales, donc de droits du travail, ou encore des tribunaux pour les baux ruraux.

A partir de 1958 et donc de la Ve République, il y a eu une réforme profonde de la justice, parce que la justice rentre dans la Constitution. Dans la Constitution de 1958, il est prévu à l'article 64 que le Président de la République est garant de l'indépendance de l'autorité judiciaire. Donc la justice entre et est constitutionnalisée, ce qui est un marqueur très fort et très important.

Aujourd'hui la justice est face à de nouveaux défis. En effet, le nombre d'affaires ne cesse d'augmenter ces 20-30 dernières années. Or pour des raisons de moyens, pour des raisons de personnel, la justice n'arrive plus à faire face aux affaires qui se trouvent devant elle, amenant de grands délais pour obtenir une décision de justice. La crise de Covid qui est passée par là n'a pas arrangé les choses de ce point de vue là et les délais se sont considérablement allongés. Ce qui fait que aujourd'hui il y a ce qu'on appelle un mouvement de déjudiciarisation. C'est à dire qu'on essaye d'enlever certains conflits, de ne plus les porter devant le juge; on va le faire en cherchant à multiplier les accords, en cherchant à multiplier les procédures de conciliation, de médiation pour éviter que ces affaires n'arrivent devant un juge qui n'aura pas le temps ni les moyens de les traiter.

La déjudiciarisation, n'est pas parfaite parce que malheureusement parfois on se concilie, on arrive à une solution et puis finalement on n'est pas d'accord et on finit quand même devant le juge, mais c'est un vrai mouvement. Un exemple type étant le divorce sans juge. C'est vraiment cette logique qui est à l'oeuvre, enlever du contentieux parce que les juges n'ont plus les moyens de les traiter.

L'autre défi c'est aussi faire face à la révolution numérique. Tout d'abord, il y a la justice prédictive, mais aussi la dématérialisation des actes de procédure. On ne va plus envoyer les pièces en papier mais on va les envoyer par mail, le dossier n'est plus papier mais le dossier numérisé... On peut faire un certain nombre d'actes par voie électronique qui peut être plus ou moins authentifiée, protégée. La justice doit aussi s'armer face à la révolution numérique et s'adapter à cette évolution.

Plan

Ce plan est assez classique. La première partie sera consacrée à la justice. Les institutions judiciaires rendent la justice et il faut un petit peu s'interroger sur ce mot et ce qui est derrière ce mot. Nous verrons qu'il y a plusieurs sens possibles donc la justice sera l'objet de notre partie 1.

Et puis ensuite il faudra s'intéresser à ceux qui rendent la justice donc les organes de la justice et principalement les juridictions. Ce sera l'objet de notre deuxième partie.

Et enfin nous finirons par le fonctionnement de la justice. Comment la justice fonctionne, comment on introduit une action en justice, comment se déroule l'instance, quelles sont les voies de recours, etc.