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Chapitre IV. Les juges de l’administration

L'administration fait face à plusieurs juges issus d'ordres juridiques distincts. C'est ce que l'on appelle le pluralisme juridique. L'ordre interne est composé de trois grands ordres juridiques distincts, au sein desquels des juges spécifiques sont institués pour résoudre des différends.

L'ordre juridique civil et pénal sont institués pour résoudre les différends en matière privée et les infractions aux lois et règlements et relèvent de la hiérarchie de la Cour de cassation.

L'ordre juridique administratif, avec les juges administratifs, est placé sur la hiérarchie du Conseil d'Etat.

Et si tant est que l'on puisse parler d'ordre juridique, l'ordre juridique constitutionnel constitué du seul Conseil constitutionnel.

Il serait erroné de croire que l'administration et ses agents ne sont soumis qu'aux juges administratifs. Certes, le juge administratif peut apparaître compétent par principe pour résoudre les différends en matière administrative, mais ce n'est pas le cas de tous les actes qui constituent la vie de l'administration.

Certains actes peuvent avoir une nature privée, comme la vente d'un immeuble du domaine privé, et certaines institutions peuvent même voir parfois leur responsabilité pénale engagée ainsi qu'on dispose de l'article 121-2 du code pénal.

On va se concentrer sur la question du dualisme juridictionnel avant de présenter les principaux traits de la justice administrative.

Section 1 – Le dualisme juridictionnel

La séparation des autorités administratives et judiciaires est un héritage de la Révolution française. Elle est liée à la conception française de la séparation des pouvoirs. L'origine du dualisme est attribuée à la loi des 16 et 24 août 1790, avec l'article 13 :

Les fonctions judiciaires sont distinctes et demeureront toujours séparées des fonctions administratives. Les juges ne pourront, à peine de forfaiture, troubler, de quelque manière que ce soit, les opérations des corps administratifs, ni citer devant eux les administrateurs pour raison de leurs fonctions.
Article 13 de la loi des 16 et 24 août 1790

Ce principe a été réaffirmé avec force, et poésie d'une certaine façon, par le décret du 16 Fructidor An III, ce qui correspond au 2 septembre 1795 :

Défenses itératives sont faites aux tribunaux de connaître des actes d’administration, de quelque espèce qu’ils soient, aux peines de droit.
Décret du 16 Fructidor An III

Après l'affirmation négative de l'incompétence du juge judiciaire pour connaître des actes d'administration, une véritable « justice administrative » s'est progressivement développée à partir de Napoléon.

Dans un premier temps, on a ainsi la constitution du 22 frimaire an VIII, ce qui correspond au 13 décembre 1799, et dont l'article 52 est à l'origine du Conseil d'état, et lui fixe d'emblée sa double casquette, qu'on appelle la « dualité fonctionnelle du conseil d'état », à savoir participer et assister le consul dans la rédaction des textes les plus importants, fonction consultative, et en même temps, résoudre les litiges de l'administration, ce qui donnera lieu à l'exercice de sa fonction juridictionnelle.

De même, la loi du 28 pluviôse an VIII, correspond au 17 février 1800, est très importante s'agissant de l'organisation territoriale de la république, et est à l'origine, aux côtés du préfet, d'un conseil de préfecture pour résoudre certains litiges en matière administrative.

Cependant, à cette époque, la justice ne s'exerce pas, du moins pas formellement, de manière indépendante. On est dans un système de justice qu'on qualifie de « justice retenue ». Les décisions sont rendues au nom du chef de l'état, retenue entre les mains du chef de l'état, dont elle bénéficie de l'autorité.

Il faut attendre la loi du 24 mai 1872 pour que la justice administrative acquiert davantage d'indépendance avec un système de justice déléguée. La justice, à partir de cette date, 24 mai 1872, est désormais rendue au nom du peuple français.

Aussi, le Conseil d'État cesse-t-il d'être compétent en appel des décisions rendues par les ministres pour devenir directement compétent en premier et dernier ressort ? Ce n'est plus l'administration qui se fait elle-même justice.

La reconnaissance de la dualité de juridiction rend nécessaire l'existence d'instruments permettant de résoudre les difficultés de compétence.

I. L’affirmation du dualisme

La répartition des compétences est initialement une affaire législative, avec par exemple la loi du 28 pluviôse An VIII , qui attribue au Conseil de préfecture le contentieux lié à la réparation des dommages de travaux publics.

Mais bien vite, notamment avec le développement de l'administration, les lois sont insuffisantes pour procéder à cette répartition.

Il y a un important mouvement jurisprudentiel à partir de l'arrêt Blanco du tribunal des conflits du 8 février 1973 pour préciser les critères de répartition des compétences.

Si on se place d'un point de vue général, il est possible d'identifier un cœur d'activité administrative qui relève de la compétence constitutionnellement reconnue au juge administratif qui connaît quelques exceptions au profit du juge judiciaire.

A. Les compétences constitutionnelles du juge administratif

La jurisprudence, législateur, attribue au juge administratif et au judiciaire un ensemble de compétences spécifiques.

Mais au-delà de ce qui est attribué spécifiquement par le législateur et le pouvoir réglementaire ou la jurisprudence au juge administratif, on a un socle minimal de base de compétences constitutionnelles que le juge administratif doit mettre en œuvre.

Ce socle minimal de base de compétences constitutionnelles résulte d'une décision importante du Conseil Constitutionnel du 23 janvier 1987, décision Conseil de la concurrence qui établit ce cœur.

D'abord, le Conseil Constitutionnel constate que les lois des 16 et 24 août 1790 où le décret du 16 rupture de rentrement, qui ont posé dans la généralité le principe de séparation des autorités administratives judiciaires, ces lois n'ont en tant que telles pas de valeur constitutionnelle.

Néanmoins, nous est-il dit, et ce point est important à retenir, "conformément à la conception française de la séparation des pouvoirs, figure au nombre des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, celui selon lequel, à l'exception des matières réservées par nature à l'autorité judiciaire, relève en dernier ressort de la compétence de la juridiction administrative l'annulation ou la réformation des décisions prises dans l'exercice de prorogatives de puissance publique par les autorités exerçant le pouvoir exécutif".

Le Conseil Constitutionnel ajoute cependant une nouvelle dérogation dans la mise en œuvre de ce principe.

Lorsque l'application d'une législation ou d'une réglementation spécifique pourrait engendrer des contestations contentieuses diverses qui se répartiraient entre les deux ordres de juridiction, "il est loisible aux législateurs, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, d'unifier les règles de compétence juridictionnelle au sein de l'ordre juridictionnel principalement intéressé".

La jurisprudence constitutionnelle ne fait pas obstacle à l'attribution à l'un ou à l'autre ordre de juridiction d'un bloc de compétence, confié soit au juge administratif, soit au judiciaire qui pourrait être justifié par des motifs de bonne administration de la justice.

Par exemple, il y a une loi de 1957 sur les accidents de la route qui confie tout le contentieux des accidents de la route au juge judiciaire. Pas de partage de compétence entre juge administratif et judiciaire dans cette matière. Et cela pour des motifs de simplification et de bonne administration.

Ce point est important parce qu'il existe quand même des blocs de compétence qui finalement, historiquement, pouvaient faire débat entre le juge administratif et le juge judiciaire. Le cœur de compétence du juge administratif porte, et c'est le point à souligner, sur l'annulation ou la réformation des décisions prises dans l'exercice de prérogative de puissance publique.

C'est le cœur de compétence du juge administratif. Donc les recours en annulation ou en réformation pour obtenir finalement un nouvel acte, contre des actes pris dans le cadre de l'accomplissement de prérogatif de puissance publique. Voilà le critère qui est érigé par le Conseil constitutionnel pour réserver la compétence du juge administratif : l'annulation ou la réformation des décisions prises dans l'exercice des prérogatives de puissance publique.

Le Conseil constitutionnel, dans sa décision, reconnaît tout de même des compétences naturelles aux judiciaires qui peuvent concerner la matière administrative.

B. Les compétences « naturelles » du juge judiciaire en matière administrative

Il existe une procédure qu'on appelle la voie de fait qui permet de saisir le juge judiciaire pour faire constater certaines atteintes particulièrement graves à la propriété ou à la liberté individuelle. Si cette procédure est en déclin, le juge judiciaire demeure pour autant compétent en matière d'atteinte à la liberté individuelle.

1. Le déclin de la voie de fait

En matière de voie de fait, il y a un arrêt à connaitre, c'est un arrêt du Tribunal des conflits du 17 juin 2013, Bergoend, et qui vient réduire cette forme de dérogation à la répartition habituelle des compétences et qui pouvait permettre, cette voie de fait, de saisir le juge judiciaire en cas d'atteinte à la propriété ou d'atteinte aux libertés que, traditionnellement, on estimait que la juridiction administrative était incapable d'assurer la protection.

Elle était notamment incapable d'assurer la protection de ses libertés ou des atteintes à la propriété parce qu'elle ne disposait pas de procédures d'urgence. Donc il y a une grande réforme des procédures d'urgence qui a conduit à une loi du 13 juin 2020 qui fait que le juge judiciaire n'est plus le seul juge à pouvoir être saisi en urgence de certaines procédures.

Le juge administratif peut lui aussi être saisi en urgence, peut être saisi en référé et statut d'urgence. Et d'ailleurs, par exemple, l'organisation des manifestations pro-palestiniennes. Elles ont fait l'objet d'un contentieux en urgence devant le juge des référés. Aujourd'hui, il y a une grande question d'actualité qui est tranchée par le gouvernement, la gestion de la crise sanitaire, etc.

On a un contentieux d'urgence qui va se nouer directement devant le juge administratif. Le développement de ces procédures d'urgence a conduit à une restriction et à une moindre utilisation de la procédure de la voie de fait, procédure de la voie de fait qui ne peut être mise en œuvre que dans la mesure où l'administration a procédé à l'exécution forcée dans des conditions irrégulières d'une décision portant atteinte à la liberté individuelle ou aboutissant à l'extinction d'un droit de propriété, soit après une décision qui a les mêmes effets d'atteinte à la liberté individuelle ou d'extinction à un droit de propriété et qui est manifestement insusceptible d'être rattachée à un pouvoir appartenant à l'autorité administrative.

Donc, l'autorité administrative ou l'agent d'administration, finalement, a pris une mesure qui ne relève pas des pouvoirs normaux de l'administration. C'est la voie de fait et c'est une exception à la protection aux privilèges des élections dont l'administration bénéficie devant le juge administratif.

2. Le maintien de la protection de la liberté individuelle

Il y a une hypothèse de compétences plus intéressante du juge judiciaire et qui peut concerner l'activité administrative, c'est l'article 66 de la Constitution. L'article 66 de la Constitution instaure une sorte d'Habeas corpus à la française, c'est-à-dire de droit à la sûreté, l'idée qu'on puisse être emprisonné sans qu'un juge ait statut sur notre emprisonnement.

Nul ne peut être arbitrairement détenu.
L'autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi.
Article 66 de la Constitution

Et selon qu'on interprète la notion de liberté individuelle de façon restrictive ou de façon élargie, le bloc de compétences au profit du juge judiciaire sera interprété de façon plus ou moins large. Par une décision du 16 juin 1999, le Conseil constitutionnel est revenu à une exception stricte de la liberté individuelle qui correspond au droit à la sûreté, au fait d'être enfermé.

Et il faut savoir qu'au-delà de la sanction pénale, il y a des hypothèses où un enfermement peut être d'origine administrative. L'internement sans consentement, la rétention des étrangers en situation irrégulière peuvent donner lieu à des enfermements administratifs. Ces enfermements administratifs doivent être contrôlés et validés par le juge judiciaire.

II. La régulation du dualisme

L'expression « conflit de compétences » désigne l'indétermination de l'ordre juridique compétent pour statuer sur un litige ou sur une question liée à ce litige.

Il existe alors une juridiction ad hoc chargée de résoudre ces fameux conflits de compétences entre l'ordre juridictionnel administratif et l'ordre judiciaire, ce qu'on appelle le Tribunal des conflits.

A. Le Tribunal des conflits

Le tribunal des conflits Le tribunal des conflits est un ordre de juridiction à lui tout seul, créé pour résoudre les conflits de compétences par la loi du 24 mai 1872. Son organisation a été substantiellement réformée par une loi du 16 février 2015, complétée par un décret du 27 février 2015.

1. Composition

Sa composition est 100% paritaire, en ce sens qu'il comprend quatre membres de la Cour de cassation et quatre membres du Conseil d'État, augmentés de rapporteurs publics qui sont issus dans les mêmes proportions du Conseil d'État et de la Cour de cassation.

La présidence du Tribunal des conflits est alternée entre membres du Conseil d'État et de la Cour de cassation, et en cas de partage des voix, on a recours à une nouvelle délibération et ensuite à une composition élargie du tribunal des conflits avec deux autres membres du Conseil d'État et de la Cour de cassation qui doivent parvenir à une décision commune.

Avant la réforme de 2015, le Tribunal des conflits était composé suivant un nombre également paire, et en cas de partage des voix, on demandait au ministre de la justice d'intervenir pour trancher le débat. Cette intervention du ministère de la justice est extrêmement insatisfaisante en termes d'impartialité, d'où l'idée de procéder à une nouvelle délibération et, le cas échéant, en cas de blocage persistant, une formation élargie.

2. Attributions

Les attributions du tribunal des conflits sont fixées par la loi de 1872 et par le décret de 2015.

a) Le règlement des conflits positifs

Première hypothèse de compétence du tribunal des conflits, c'est ce qu'on appelle le règlement des conflits positifs. Le règlement des conflits positifs correspond à l'hypothèse dans laquelle la juridiction judiciaire s'estime compétente dans un litige qui met en cause l'administration, et l'administration, via le préfet, estime au contraire que c'est le juge administratif qui est compétent.

Dans ces cas-là, le préfet doit adresser ce qu'on appelle un déclinatoire de compétence au juge judiciaire, et si le juge judiciaire s'estime toujours compétent, c'est-à-dire rejette le déclinatoire de compétence, alors il appartient au préfet, c'est-à-dire à l'administration, d'élever elle-même le conflit devant le Tribunal des conflits qui tranchera la question de la compétence.

b) La prévention des conflits négatifs

L'autre procédure, c'est celle des conflits négatifs et leur prévention, beaucoup plus importante. Le conflit négatif correspond à l'hypothèse dans laquelle chacun des deux ordres de juridiction s'est irrévocablement estimé incompétent pour statuer sur la requête dont elle est saisie, en estimant que c'est l'autre ordre de juridiction qui est compétent.

Donc là, dans une telle hypothèse, confine au déni de justice, puisque aucun des deux ordres de juridiction ne veut trancher, et chacun des ordres se renvoie la balle. Dans ces cas-là, les parties ont la possibilité de saisir elles-mêmes le Tribunal des conflits, mais c'est une solution qui est évidemment longue et très insatisfaisante pour le justiciable.

Donc, pour éviter l'existence de tels conflits négatifs, des procédures de prévention des conflits, destinées à éviter l'hypothèse d'un conflit négatif, ont été instaurées. Il en existe deux hypothèses différentes.

La première hypothèse, c'est que lorsqu'une juridiction s'est déjà déclarée incompétente, et que la seconde juridiction saisie est sujette à une part de doute importante et aurait plutôt tendance à estimer que c'était bien le premier juge sujet qui était compétent, contrairement à ce qu'il a jugé, dans ces cas-là, en réalité, la juridiction ne peut pas se déclarer incompétente. Elle doit, en théorie, par une décision motivée, adresser elle-même la question de la compétence au Tribunal des conflits. Donc, plutôt que de s'estimer incompétente et de créer un vide, la juridiction doit anticiper en saisissant directement le tribunal des conflits.

Et l'autre hypothèse de prévention des conflits, qui a été étendue notamment par le décret de 2015, est de permettre à une juridiction qui est saisie d'un litige qui présente une difficulté sérieuse de compétence d'interroger directement le Tribunal des conflits. Donc là, n'importe quelle juridiction peut d'emblée saisir le tribunal des conflits. Initialement, cette faculté était réservée au cours suprême, Cour de cassation et Conseil d'Etat, mais elle a été élargie dans le cadre de la réforme de 2015.

c) Le règlement au fond

Enfin, dernière hypothèse d'attribution du tribunal des conflits, mais qui est assez rare, c'est ce qu'on appelle le règlement au fond. Le règlement au fond correspondrait à l'hypothèse dans laquelle, finalement, les décisions définitives rendues par les juridictions administratives judiciaires auraient une véritable contrariété sur le fond.

Dans un cas, le judiciaire estimerait que la responsabilité de tel tort reviendrait à l'administration et qu'il faudrait à ce moment-là aller devant le juge administratif, et que, par exemple, le juge judiciaire dit non, la personne responsable, c'est une personne privée, et donc là, c'est l'engagement de la responsabilité civile. Dans ces hypothèses qui, encore une fois, relèvent du déni de justice, le tribunal des conflits est compétent pour juger directement au fond.

B. Les questions préjudicielles

À côté de la saisie du tribunal des conflits, le respect du dualisme peut être mis en œuvre à travers des mécanismes de coopération entre les juridictions judiciaires et les juridictions administratives au moyen de ce qu'on appelle les questions préjudicielles.

Il peut arriver que dans un litige d'ordre privé, une question de droit administratif se pose et, réciproquement, dans un litige administratif, parfois, une question de droit privé est susceptible de se poser. En principe, le juge de l'action est le juge de l'exception, mais ce principe connaît des tempéraments lorsqu'est en cause une question relevant du cœur de compétence de l'un ou des autres ordres de juridiction.

Dans ces cas-là, notamment en matière de propriété et d'état des personnes, par exemple, s'agissant de juges judiciaires, ou de validité des actes administratifs ou de détermination du domaine public s'agissant de juges administratifs, l'ordre saisi doit adresser une question préjudicielle à l'autre ordre pour qu'il statue sur le litige accessoire, si vous voulez, soulevé à l'occasion du litige principal.

Il existe des exceptions, notamment au profit du juge judiciaire, qui n'a pas à soulever de questions préjudicielles aux juges administratifs : d'une part, en matière pénale, si on met en cause la validité d'actes administratifs, le juge pénal doit statuer directement dessus; et en matière civile, il y a un arrêt important du Tribunal des conflits du 17 octobre 2011, SCEA du Chéneau, qui ménage deux exceptions. Lorsqu'en réalité, les questions soulevées dans le litige accessoire peuvent être tranchées au vu d'une jurisprudence établie, lorsqu'il n'y a pas de question de droits nouvelles, lorsque la jurisprudence est très claire, le juge de l'action principale peut directement statuer.

Et une deuxième exception qui n'est pas évidente à saisir, c'est lorsque devant le juge civil, un des justiciables met en cause la validité d'un acte administratif, met en cause la validité d'un acte administratif, ce qu'on appelle l'exception d'illégalité, au regard du droit de l'Union Européenne, le principe d'effectivité du droit de l'Union Européenne suppose que cette question soit tranchée le plus rapidement possible, si possible en interrogeant la Cour de justice, et donc dans ces cas-là, le juge civil doit répondre directement à la question.

Section 2 – Les juridictions administratives

Le Conseil d'État incarne à lui seul la principale spécificité des juridictions administratives. Tout d'abord, en raison de l'ambivalence de sa fonction. Le Conseil d'État n'est pas seulement une juridiction, il est également le conseiller juridique du gouvernement et, à ce titre, il participe également à la confection de la loi et des ordonnances.

Une autre caractéristique tient à la diversité des fonctions juridictionnelles assurées par le Conseil d'État. Le Conseil d'État n'est pas vraiment comparable à la Cour de Cassation et il n'est pas seulement juge de cassation comme l'est la Cour de Cassation.

En effet, il est également juge d'appel et même juge de premier et dernier ressort. De ce point de vue, le système juridictionnel administratif se distingue radicalement du système judiciaire. Cette différence s'explique par l'histoire.

Dans le système judiciaire, la Cour de Cassation a été instituée et placée au sommet de l'édifice pour tenir en respect les juges du fond et s'assurer de leur soumission à la loi. L'ordre juridictionnel administratif s'est, lui, construit dans un ordre inverse. Le Conseil d'État n'a pas été posé au sommet des juridictions administratives, parce que longtemps, le Conseil d'État est resté le seul juge de droit commun en matière administrative, compétent pour statuer directement sur les litiges administratives.

Si, au fil du temps, d'autres compétences à juridictions générales ou spécialisées ont été instituées, leur création résulte d'une considération d'ordre pratique, l'encombrement du prétoire du Conseil d'État, qui matériellement rendait impossible l'exercice de sa mission et le maintien de son monopole en matière contentieuse.

Le Conseil d'État a donc été contraint de se délester d'une partie de ses activités tout en prenant soin de conserver directement la maîtrise des litiges mettant en cause les plus hautes autorités de l'État.

L'ordre juridictionnel administratif se compose ainsi de juridictions générales et de juridictions spécialisées. Les premières détiennent une compétence de droit commun, tandis que les secondes ont une compétence d'attribution. C'est donc devant les juridictions générales que les litiges administratifs sont en principe portés, à moins qu'un texte ne désigne expressément une juridiction spécialisée. Les juridictions générales sont toutes soumises au code de justice administrative et les juridictions spécialisées y échappent pour l'essentiel et sont régies par des textes spécifiques.

Générales comme spécialisées, toutes les juridictions administratives relèvent en tout dernier ressort, en cassation ou en appel, du contrôle du Conseil d'État.

I. Les juridictions administratives générales

Les juridictions administratives générales comprennent le Conseil d'État, les cours administratifs d'appel (9) et les tribunaux administratifs (42). Les tribunaux et les cours, dont les membres forment un corps autonome, ont été institués progressivement pour faire face à l'afflux du contentieux, notamment dans le Conseil d'État.

A. Apparition

Jusqu'en 1953, le Conseil d'État est compétent pour connaître en premier ressort de tous les litiges administratifs, dès lors qu'il ne relève évidemment pas de la compétence d'une juridiction spécialisée.

Ce n'est peut-être pas la seule juridiction administrative à compétence générale; on avait auparavant des conseils de préfecture qui avaient été instaurés par la loi du 28 pluviôse An VIII. Mais ces conseils de préfecture ne détiennent qu'une compétence d'attribution, c'est-à-dire qu'ils ne connaissent que de certains litiges que la loi leur attribue expressément. A défaut, jusqu'en 1953, le Conseil d'État a statué la juridiction administrative générale de droit commun.

La situation est devenue intenable. Accablé par la masse d'affaires à traiter, le Conseil d'État a dû statuer dans un délai de plus en plus long. Et lorsqu'un juge met énormément de temps à statuer, c'est l'effectivité du droit au recours qui est en cause.

Des tribunaux administratifs ont été créés par un décret-loi du 30 septembre 1953 pour décharger le Conseil d'État. Prenant la place des conseils de préfecture, ces tribunaux administratifs deviennent les juges de droit commun en premier ressort des litiges administratifs.

La compétence de droit commun qui auparavant était exercée par le Conseil d'État a été transférée en 1953 aux tribunaux administratifs. Le Conseil d'État se mue alors en juge d'appel des jugements rendus par les tribunaux, tandis qu'il reste compétent en premier ressort de certains litiges importants dont il a conservé la connaissance, par exemple les actes réglementaires des autorités nationales.

L'engorgement dont il a été victime à la veille de la réforme de 1953 a frappé à nouveau le Conseil d'État à la fin des années 1980 en tant que juge d'appel, de sorte qu'une nouvelle réforme a été rendue nécessaire.

Et la loi du 31 décembre 1987 crée ainsi les cours administratifs d'appel qui deviennent juges d'appel des jugements rendus en premier ressort par les tribunaux administratifs.

Tout en conservant des compétences résiduelles d'appel à l'égard des jugements rendus par les tribunaux administratifs, le Conseil d'État devient, à partir de 1990 en réalité, c'est-à-dire de l'année d'entrée en vigueur de la réforme, juge de cassation des arrêts rendus par les cours administratifs d'appel. C'est une mutation profonde du Conseil d'État puisque à partir de l'entrée en vigueur de la réforme sur les cours administratifs d'appel, le Conseil d'État, son activité principale va être celle d'un rôle de juge de cassation. Ce qui veut dire que son office, la manière dont il juge, en droit et pas en fait, va considérablement évoluer.

B. Membres

Le statut des membres des juridictions administratives vise à garantir leur indépendance, même si leur recrutement et leur carrière varient.

1. Le statut

Les membres du Conseil d'État et des tribunaux administratifs et cours administratifs d'appel (abréviation TACA) forment deux corps de fonctionnaires, même si le code les appelle magistrats, notamment s'agissant des membres des tribunaux administratifs et des cours, expression qui n'est pas employée au sujet des membres du Conseil d'État.

L'expression magistrat n'est pas employée pour les membres du Conseil d'État et que ce soit les membres des tribunaux administratifs et des cours administratifs d'appel ou du Conseil d'État, ceux-ci ne relèvent pas de l'ordonnance du 22 décembre 1958 concernant la magistrature. Ils relèvent du statut général de la fonction publique.

Ils n'en bénéficient pas moins de garanties d'indépendance propre à la fonction de juger, à travers notamment le principe d'inamovibilité, qui est expressément énoncé par le code en faveur des membres des tribunaux et des cours et dont les membres du Conseil d'État jouissent en pratique. C'est une pratique coutumière.

Le code soumet explicitement les jugés administratifs à un devoir de réserve, d'impartialité et d'intégrité, de probité et à des obligations plus récentes tendant à prévenir et à faire cesser les conflits d'intérêt.

Les principes déontologiques et les bonnes pratiques qui s'imposent à eux sont énoncés depuis 2011 par une charte de la déontologie qui est établie notamment par le vice-président du Conseil d'État — le vice-président du Conseil d'État, c'est en réalité le président effectif du Conseil d'État, c'est une appellation ancienne puisqu'initialement le Conseil d'État était présidé par le Premier ministre, ce n'est désormais plus le cas, le Conseil d'État étant présidé par son vice-président.

Un collège de déontologie a été instauré et il est chargé de répondre sous forme d'un lien aux questions déontologiques que se pose tel ou tel juge.

Les membres du Conseil d'État appartiennent à un corps de fonctionnaires spécifiques, à savoir les membres du Conseil d'État, tandis que les membres des tribunaux et des cours administratifs d'appel forment un autre corps distinct, le corps des conseillers de TACA, Tribunaux Administratifs et Cours Administratifs d'Appel.

2. Le recrutement

La plupart des membres du Conseil d'État doivent désormais passer par le nouvel institut national du service public, l'INSP, qui a succédé à l'ENA, l'École Nationale de l'Administration.

Initialement, les membres du Conseil d'État étaient recrutés à l'issue du concours de sortie de l'ENA, parmi les meilleurs, ceux qui étaient classés dans la botte. Ils étaient recrutés comme auditeurs à leur sortie de l'ENA, puis devenaient maîtres de requêtes et enfin conseillers d'État.

Désormais, avec la réforme de l'encadrement supérieur de l'État, une réforme du 2 juin 2021, les membres du Conseil d'État sont nommés par arrêté du vice-président du Conseil d'État pour une durée de trois ans de renouvelable, parmi les membres du corps des administrateurs de l'État, justifiant d'au moins deux ans de services publics effectifs en cette qualité.

Désormais, avec la réforme de 2021, on ne peut plus accéder au Conseil d'État directement à la sortie de l'INSP qui a succédé à l'ENA. Il faut d'abord avoir exercé des fonctions de haut niveau dans ce qu'on appelle l'administration active dans le corps des administrateurs de l'État.

Les membres du Conseil d'État peuvent également être recrutés par la voie du tour extérieur, c'est-à-dire de façon quasi-discrétionnaire par le gouvernement, et c'est quand même une portion assez importante puisque un quart des emplois vacants de maîtres de requêtes et un tiers des emplois vacants de conseillers d'État sont pourvus par cette voie. Donc, de nombreux conseils d'État sont issus de ce tour extérieur.

Les membres des tribunaux et des cours administratifs étaient, quant à eux, en principe recrutés par la voie de l'ENA. La progression du contentieux a cependant rendu nécessaire la mise en place d'un concours complémentaire qui a été institué initialement de façon temporaire et qui a été pérennisé. Donc, il existe un concours spécifique, le concours TACAA, pour devenir juge administratif.

Mais, à côté de ce recrutement spécifique, le concours à l'issue de l'ENA avait été maintenu, et aujourd'hui, dans le cadre de la réforme de l'encadrement supérieur de l'État, une voie une normale d'accès à l'issue de cette école, à l'issue de l'INSP. Les membres du corps des administrateurs de l'État, ayant exercé que ce soit à la sortie de l'INSP, et justifiant au moins deux ans de service effectif en cette qualité, sont nommés magistrats des TACA.

Il y a une petite différence par rapport à la nomination au conseil d'État : nomination au conseil d'État, on présente sa candidature au bout d'au moins deux ans de travail en tant qu'administrateur de l'État; pour être juge administratif, il faut là encore avoir exercé au moins deux ans de service en qualité de membre du corps des administrateurs de l'État, mais on a dû afficher ce choix dès la sortie de l'école.

3. La carrière

Au Conseil d'État, l'avancement statutaire de grade à grade, auditeurs, maîtres de requêtes, conseil d'État, s'effectue selon le seul critère de l'ancienneté. Et ce critère de l'ancienneté permet de garantir l'indépendance des magistrats. C'est un gage d'indépendance.

Parallèlement, il existe une carrière non statutaire, relative aux fonctions exercées. Là, ce n'est pas la même chose que l'avancement en grade, et dont l'évolution, elle, répond à des critères de mérite qui sont appréciés exclusivement à l'interne, notamment par le vice-président, qui suit l'avis de ses collègues, notamment qui sont les présidents de chambre, et s'agissant de la section du contentieux, la section du contentieux est présidée par un président de la section du contentieux, assistée par plusieurs présidents adjoints, et se décompose elle-même en dix chambres du contentieux.

Donc toutes ces personnes qui exercent des fonctions supérieures au sein du Conseil d'État ont leur mot à dire sur les promotions individuelles. La promotion statutaire des membres des tribunaux et cours administratifs d'appel, de grade à grade, est quant à elle, entre les mains du conseil supérieur des tribunaux et des cours administratifs d'appel, qui est présidé par le vice-président du Conseil d'État, après avis du président de la juridiction concernée.

Donc là, en revanche, ce n'est pas seulement l'ancienneté, c'est l'avis du conseil supérieur des tribunaux et des cours administratifs d'appel qui est pris en compte, et il en vient de même de ce qu'on appelle la carrière non statutaire, c'est-à-dire des fonctions exercées au sein de la juridiction administrative, comme rapporteur public, président de chambre, président de TA, etc., qui est faite sur nomination du vice-président du conseil d'État, sur avis du conseil supérieur des tribunaux et des cours administratifs d'appel.

Il faut savoir également que l'accès au Conseil d'État par des membres des juridictions administratives subordonnées, donc tribunaux administratifs et cours administratifs d'appel, est directement prévu par le code de justice administrative, il y a un certain quota qui l'aurait expressément réservé pour assurer un pont entre les deux corps, mais il n'est pas très élevé.

II. Les juridictions administratives spécialisées

Il existe une cinquantaine environ de juridictions administratives spécialisées, dont le caractère juridictionnel n'apparaît pas toujours avec netteté. Ces juridictions administratives sont toutes placées sous le contrôle de cassation du Conseil d'État.

Les juridictions spécialisées ne traitent que d'un certain type de litige, c'est une compétence d'attribution.

Par exemple, il existe des juridictions administratives dans le contentieux de l'aide sociale, en matière de RSA, avec la commission centrale d'aide sociale et la cour nationale de tarification sanitaire et sociale.

Vous avez des juridictions administratives spécialisées en matière financière, avec la cour des comptes, en matière de demande d'asile, avec la CNDA, la cour nationale du droit d'asile. Au passage, la CNDA, la cour nationale du droit d'asile, est la plus grosse juridiction administrative de France, c'est elle qui traite le plus grand nombre de litiges : l'asile est octroyé par un établissement public administratif qui s'appelle l'OFPRA, l'Office français de la protection des réfugiés et de l'asile, et les contestations des décisions prises par l'OFPRA sont adressées devant la CNDA.

Un gros contentieux aussi en matière de juridictions spécialisées correspond au contentieux des juridictions disciplinaires. Au sein des juridictions disciplinaires, on trouve notamment les juridictions disciplinaires des ordres professionnels.

Certaines professions réglementées sont constituées au sein d'un ordre, et au sein de cet ordre, il y a une forme de dédoublement fonctionnel avec une partie de l'ordre qui va être composée en chambres disciplinaires, et cette chambre disciplinaire va juger des litiges qui sont portés devant elle, mettant en cause l'activité professionnelle d'un membre d'une profession réglementée, d'un médecin, d'une infirmière, d'un notaire, d'un architecte, et il va y avoir une première instance locale, généralement départementale ou inter-régionale. Ensuite, en général, vous avez une chambre nationale de discipline adossée au conseil national de l'ordre, qui est juge d'appel, et recours en cassation devant le conseil d'État.

Ces juridictions administratives spécialisées résolvent beaucoup de litiges. Elles sont fréquemment échevinées, ça veut dire qu'elles sont composées de représentants des intérêts en présence, donc souvent des membres des professions réglementées si on est en cas de juridiction disciplinaire, par exemple, auxquels sont adjoints des magistrats administratifs ou judiciaires, des magistrats professionnels.

Les règles applicables devant ces juridictions suivent les principes généraux du contenu administratif. Un certain nombre de règles est fixée par les textes institutifs.

Par ailleurs, un point qui a beaucoup fait couler d'encre au sujet des juridictions spécialisées et notamment des juridictions disciplinaires correspond au respect des garanties prévues par l'article 6, paragraphe 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et de liberté fondamentale, c'est-à-dire le droit à un procès équitable.

Et sous l'influence de la Cour européenne des droits de l'homme et de cet article 6, différentes réformes du procès disciplinaire devant ces juridictions administratives spécialisées ont dû être mises en œuvre afin de les rendre compatibles avec les exigences d'un procès équitable. On pense par exemple au caractère public de l'audience.