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Chapitre II. La séparation du juge et de l'administration

On entend par administration le pouvoir exécutif. Cette administration, c'est l'administration qui vise le gouvernement d'abord et toutes les autorités administratives qui en découlent, les maires, les préfets, les établissements publics comme les hôpitaux publics, les écoles publiques, etc.

Il y a une séparation entre le juge et le législateur, et il s'opère également une séparation entre le juge et le pouvoir exécutif, entre le juge et l'administration.

Il y a deux points à étudier dans cette séparation : le premier point c'est que, par définition, s'il y a une séparation entre le juge et l'administration, c'est que le juge ne doit pas s'immiscer dans l'activité administrative. Et puis inversement, s'il y a une séparation entre le juge et l'administration, cela veut dire qu'il faut garantir l'indépendance du pouvoir de juger, l'indépendance du pouvoir judiciaire face aux immixtions de l'administration.

Section 1. La non-immixtion du juge dans l’activité administrative

Le droit français a une conception très stricte de la séparation des pouvoirs, une conception très stricte qui d'ailleurs n'est partagée par quasiment aucun autre pays du monde. C'est l'idée que, si le juge ne peut pas s'immiscer dans l'activité administrative, la conséquence c'est que le juge ne peut pas juger non plus de l'action, de l'activité du pouvoir exécutif, de l'activité administrative.

Si le juge judiciaire ne peut pas juger de l'activité administrative, cela pose évidemment une difficulté : cela voudrait dire que l'activité, l'action administrative pourrait rester impunie, ou que si elle est à l'origine de conflits, ces conflits ne peuvent pas être tranchés.

La situation ne pouvait pas rester telle qu'elle, et c'est ce qui explique, et c'est un point fondamental - qui explique l'intitulé du cours et la séparation entre les institutions judiciaires et les institutions administratives de l'autre côté - qu'il a fallu créer des juridictions spécialisées pour juger l'administration. Il a fallu donc créer un ordre juridictionnel propre à l'administration.

Cette notion de dualisme juridictionnel est absolument fondamentale.

En France, l'administration est jugée par les juridictions administratives qui sont différentes des juridictions judiciaires qui sont appelées à trancher les litiges civils, commerciaux, en matière pénale, etc. Et c'est fondamental parce que ça crée deux ordres de juridiction, et c'est une spécificité française.

Dans de très nombreux États, l'administration est jugée par le même juge qui tranche des questions de divorce ou de troubles de voisinage. Il va aussi dire si l'administration a bien ou mal fait son travail. En France, ce n'est pas possible. Il y a un ordre judiciaire, et il y a l'ordre administratif.

Une conséquence qui découle directement de ce dualisme juridictionnel, c'est que nécessairement cette situation peut créer ce qu'on appelle des conflits de compétences.

Prenons un exemple : une personne rencontre une difficulté, elle va devant le juge judiciaire qui lui dit « Ah non, ce n'est pas moi qui suis compétent », alors elle va voir le juge administratif qui répond « Ah non, ce n'est pas moi qui suis compétent ». De la même manière, dans un autre conflit, on pourrait imaginer qu'à la fois le juge judiciaire et à la fois le juge administratif s'estiment compétents, or en principe un seul devrait l'être.

Dans ces cas-là, il peut y avoir des conflits de compétences entre l'ordre judiciaire et l'ordre administratif, et c'est pourquoi il existe une juridiction qui a été créée pour trancher ces conflits de compétences : elle s'appelle le Tribunal des conflits. Elle est donc chargée de trancher les conflits de compétences entre l'ordre judiciaire et l'ordre administratif.

Section 2. L’indépendance de la justice

Pour devenir magistrats, ceux qui ont la vocation de juger, qui veulent devenir juge, il faut passer un concours et intégrer l'École Nationale de la Magistrature à la fin des études de droit.

Mais pour devenir magistrat, il faut faire carrière. Les magistrats sont donc pour l'essentiel, bien qu'il y ait des exceptions, dans l'ordre juridictionnel et judiciaire, des magistrats professionnels, des magistrats de carrière.

Or le problème, c'est que lorsqu'on fait carrière, on va chercher à être promu, on va chercher à recevoir des avancements. Parfois aussi, on peut être exposé à des sanctions parce qu'on a mal fait son travail.

Le magistrat de carrière, alors que la justice est un service public, est donc un fonctionnaire, un fonctionnaire de l'État, et il répond donc en principe du Ministre de la Justice. Il est donc soumis à l'autorité du pouvoir exécutif. Cela signifie qu'il y a bien un pouvoir du pouvoir exécutif sur les magistrats. Or, il faut qu'il y ait une séparation.

Pour comprendre cette séparation, il faut avoir à l'esprit une distinction fondamentale. Dans les magistrats, chez les magistrats professionnels, donc dans les magistrats de carrière, c'est la distinction entre les magistrats du parquet et les magistrats du siège.

Et cette distinction permet de comprendre comment s'organise l'indépendance de la justice en droit français. Il y a un organe qui est chargé de protéger cette distinction et de s'assurer de l'indépendance de la justice, c'est le Conseil supérieur de la magistrature.

La distinction entre les magistrats du siège et les magistrats du parquet

Une description d'une salle d'audience française : au fond de la salle se trouvent le juge ou les juges selon la collégialité du tribunal, les juges qui sont assis. Ceux-là ce sont donc les magistrats qu'on appelle les magistrats du siège ou la magistrature assise.

À côté, sur un côté de ces magistrats assis, on trouve un magistrat qui lui, lorsqu'il prend la parole, s'exprime debout. C'est la magistrature debout ou le parquet, parce qu'il se trouve dans un espace qui est un petit parc. Ces magistrats ont des fonctions très différentes.

Les magistrats assis, les magistrats du siège, ce sont eux qui sont appelés à trancher le différent. C'est eux qui disent à la fin comment le droit s'applique et quelle est la partie qui en porte dans un procès civil ou si elles condamnent ou pas le prévenu dans un procès pénal.

En revanche, les magistrats du parquet ont une mission très différente qui est notamment importante en matière pénale parce que c'est eux qui requièrent la peine, c'est eux qui demandent au tribunal, pour tel fait, et requièrent les peines de prison ou d'amende. Mais eux ne vont pas décider, ils ne vont pas trancher.

Dans cette distinction, il n'y a rien de choquant à ce que les magistrats du parquet se trouvent dans une étroite dépendance du pouvoir exécutif et notamment du ministre de la Justice, du Garde des Sceaux, parce que finalement ces magistrats du parquet ne font qu'appliquer une politique et notamment une politique pénale qui est décidée par le gouvernement. Dès lors il n'est pas nécessaire de s'assurer de l'indépendance de ces magistrats et leur promotion, leur avancement, etc., peut dépendre du pouvoir exécutif.

En revanche, la situation est extrêmement différente pour les magistrats assis, parce que c'est eux qui tranchent le litige, c'est eux qui disent comment s'appliquer le droit et il faut absolument empêcher que toute pression soit faite sur ces magistrats pour qu'ils décident dans un sens ou dans un autre.

Et pour éviter toute pression, on va faire en sorte que ces magistrats assis soient indépendants et donc qu'aucune pression ne soit exercée sur ces magistrats, ce qui fait d'ailleurs que ces magistrats assis, les magistrats du siège, sont notamment inamovibles.

C'est-à-dire que si vous prenez votre premier siège à Nice et que vous décidez de faire toute votre carrière à Nice dans le même tribunal, au même poste, on ne peut pas vous déplacer parce que vous êtes indépendant.

Le Conseil supérieur de la magistrature

Pour faire respecter, et protéger cette distinction entre les magistrats du siège et les magistrats du parquet, a été créé donc le Conseil Supérieur de la Magistrature qui va décider de l'avancement de carrière des magistrats, d'éventuelles sanctions contre les magistrats (elles sont rares mais elles sont possibles). C'est donc l'organe qui est compétent pour sanctionner les magistrats et aussi pour arbitrer leur avancement de carrière.

Son organisation est constitutionnellement prévue à l'article 65 de la Constitution.

  • Pour les magistrats du siège, il est composé de cinq magistrats du siège, un magistrat du parquet et le Premier Président de la Cour de cassation auxquels s'ajoutent un conseiller d'état, un avocat et six personnalités extérieures.
  • Pour les magistrats du parquet, on trouve cinq magistrats du parquet, un magistrat du siège (l'inverse des magistrats du siège), le Procureur Général près la Cour de Cassation, un conseiller d'état, un avocat et six personnalités extérieures.

Cet organe va être appelé à éventuellement sanctionner les magistrats et à se prononcer sur les décisions d'avancement.

Avec cette différence fondamentale, c'est que pour les magistrats du siège, les questions d'avancement sont entièrement remises entre les mains du Conseil Supérieur de la Magistrature. Donc c'est lui qui va décider des avancements.

En revanche pour les magistrats du parquet, leur indépendance n'est pas nécessaire et donc le Conseil Supérieur de la Magistrature ne se prononce pour les magistrats du parquet uniquement sur proposition et donne un avis, mais ce n'est pas le Conseil Supérieur de la Magistrature qui va finalement trancher les questions d'avancement des magistrats du parquet, de même que les sanctions.

Un procureur peut être limogé, c'est-à-dire qu'on peut décider de le déplacer et notamment le Ministre de la Justice peut décider de déplacer un procureur pour le changer de juridiction parce qu'il n'est pas d'accord avec la politique qu'il a appliquée ou qu'il ne s'est pas comporté comme il fallait, etc.

Il y a un traitement différent des questions selon qu'on est magistrat du siège ou magistrat du parquet.