Chapitre II. La Cour européenne des droits de l'homme
Dans le prolongement de la déclaration universelle des droits de l'homme, qui a été adoptée en 1948 par l'Assemblée générale des Nations unies, le Conseil de l'Europe, qui est donc une organisation internationale différente et qui est différente de l'Union européenne (mais qui ne comprend que des états qui sont des états européens) a signé en 1950 à Rome un traité international engageant formellement les états.
Aujourd'hui il y a 47 membres au sein du Conseil de l'Europe. C'est un traité international dans lequel les états signataires s'engagent à respecter les droits fondamentaux.
Section 1. Compétence
S'il fallait résumer les choses, on peut dire que la compétence de la Cour européenne des droits de l'homme est de faire un contrôle de conventionnalité.
La particularité de ce contrôle de conventionnalité est qu'il va être limité à la Convention européenne des droits de l'homme. Le rôle de la Cour européenne des droits de l'homme, c'est de vérifier la conformité des lois de ces états signataires, donc des 47 états signataires, à la Convention européenne.
C'est bien un contrôle de conventionnalité parce qu'on vérifie la conformité d'une loi par rapport à un traité international, sauf que évidemment la Cour européenne des droits de l'homme n'est compétente que pour vérifier la conformité de la loi par rapport à la Convention qui l'a créée, à savoir la Convention européenne des droits de l'homme.
Le droit de la Convention européenne des droits de l’homme
La Convention européenne des droits de l'homme regroupe non seulement le texte fondateur de 1950, mais aussi des protocoles additionnels, c'est-à-dire que régulièrement les États membres se sont réunis pour apporter des ajouts au texte initial de 1950.
À noter que les États signataires du texte fondateur, donc celui de 1950, ne sont pas forcément partis à tous les protocoles additionnels, ils peuvent décider d'en signer certains et pas d'autres.
La Convention, le texte de 1950, a été adopté bien sûr dans un contexte post-seconde guerre mondiale et le but était d'adopter un traité européen en vue d'éviter que ne se reproduisent, en Europe, les atrocités du type de celles dont le régime nazi s'était rendu coupable pendant la seconde guerre mondiale.
Le texte de 1950 égrène un certain nombre de droits fondamentaux, dont les plus célèbres, mais la liste est longue, sont le droit à la vie, l'interdiction de la torture, l'interdiction de l'esclavage, le droit à la liberté, le droit à un procès équitable, le droit au respect de la vie privée, le droit à la liberté évidemment, le droit à la liberté d'expression, la liberté d'association, le droit au mariage, le droit à un recours effectif ou encore l'interdiction des discriminations.
Ça c'est vraiment le coeur du texte de 1950 et peuvent venir s'y ajouter un certain nombre de protocoles additionnels.
On en a déjà rencontré un, quand on a parlé du recours, des voies de recours en matière pénale : l'article 2 du protocole additionnel numéro 7 qui impose une voie de recours en matière pénale et qui avait conduit la France à modifier son organisation juridictionnelle pour que le recours soit possible contre les décisions de cour d'assises avec la création donc de la cour d'assises d'appel.
Les attributions
La cour européenne des droits de l'homme a comme souvent deux missions, une fonction juridictionnelle, c'est-à-dire dire le droit et une fonction consultative.
Fonction contentieuse
La Cour européenne des droits de l'homme peut être saisie par un plaideur lorsqu'il estime que le droit de l'État a violé la convention européenne des droits de l'homme.
Il y a une seule et unique condition pour que ce recours devant la cour européenne des droits de l'homme soit valable, il faut que le plaideur ait épuisé les voies de recours internes.
Si on s'en tient à l'ordre juridictionnel français, ça veut dire que le plaideur a dû aller jusque devant la Cour de cassation, il n'a pas obtenu gain de cause et ce n'est qu'à ce moment-là qu'il peut saisir la Cour européenne des droits de l'homme.
Un exemple très célèbre dans lequel la France avait été condamnée : il s'agissait d'une affaire qui est du début des années 1990, dans laquelle un transsexuel avait souhaité obtenir, à la suite de sa transformation physique, la modification de la mention de son sexe à l'État civil.
Il voulait que la mention de son sexe corresponde à son nouveau sexe et le droit français n'admettait pas le changement de sexe à l'État civil, donc les juridictions du fond puis la Cour de cassation lui ont refusé cette possibilité. Le transsexuel a saisi la Cour européenne des droits de l'homme en arguant que cette situation était contraire à son droit à la vie privée, il a obtenu gain de cause et la France a été condamnée dans cette affaire.
Fonction consultative
La CEDH peut être saisie pour avis : ici, c'est un juge national qui est confronté à une question de conformité de sa loi avec la Convention européenne des droits de l'homme. Il s'interroge, il se demande si le texte est conforme ou pas et au lieu de trancher lui-même la question, parce qu'il a des doutes, il va directement poser la question à la cour européenne des droits de l'homme.
C'est en réalité le mécanisme de la question préjudicielle : le juge national pose sa question à la cour, il sursoit à statuer et il attend la réponse de la cour pour ensuite trancher et juger en connaissance de cause.
Section 2. Fonctionnement
Composition
Il faut savoir que la Cour comporte autant de juges que d'états membres. Il y a un juge par état membre, soit actuellement 46 juges, un juge par état qui est signataire de la convention.
Pour information, la Cour européenne des droits de l'homme siège à Strasbourg, son siège est à Strasbourg et les juges sont nommés pour 9 ans. C'est un mandat qui n'est pas renouvelable et la Cour se renouvelle par tiers tous les trois ans, ce qui permet d'assurer une certaine continuité de la composition de la cour.
La cour ne siège en revanche jamais à 46 juges, mais s'organise en plusieurs formations.
- Il y a des formations à juges uniques : ces formations sont vraiment là pour filtrer les demandes qui sont manifestement irrecevables, donc celle par exemple où il est manifeste qu'on n'a pas épuisé les voies de recours, la demande est manifestement irrecevable.
- Il y a ensuite des formations de la cour à trois juges. Si on examine le dossier et que la demande est recevable, c'est une formation de trois juges qui se prononce, c'est le second filtre.
- Et puis ensuite, il y a la formation de jugements. Pour une affaire classique, la formation de jugements est une formation de sept juges qui va trancher au fond l'affaire et procéder au contrôle de conventionnalité, vérifier si la loi de l'état signataire est conforme ou pas à la convention européenne des droits de l'homme. Et lorsque l'affaire est particulièrement importante, qu'elle soulève une question grave, on va réunir la formation la plus solennelle de la cour. Mais cette formation la plus solennelle, ce n'est pas une assemblée plénière, ce n'est pas une assemblée de 47 juges : la formation la plus solennelle comprend 17 juges et donc elle appelée à trancher des questions les plus importantes.
Procédure
Saisine
Il y a deux façons différentes de saisir la cour.
La première, c'est le recours inter-étatique.
L'idée, c'est qu'un des États signataires de la Convention constate qu'un autre État a commis un manquement, viole la Convention européenne des droits de l'homme et donc poursuit l'autre État devant la cour. Ce recours n'est pas très fréquent parce que pour des raisons diplomatiques, il est assez rare qu'un État poursuive un autre État devant une juridiction internationale.
Le second recours qui est beaucoup plus utilisé, c'est le recours individuel.
Le recours individuel, c'est l'utilisation du recours préjudiciel, de la question préjudicielle. Dans un contentieux national, il est question de l'application et de la conformité d'une loi nationale à la Convention européenne des droits de l'homme et une fois que les voies de recours internes ont été épuisées, un particulier peut saisir par un recours individuel, la Cour européenne des droits de l'homme.
Ce recours individuel a connu en réalité un succès qui a sans doute dépassé l'idée même que se faisaient les rédacteurs de la Convention et du recours individuel. Et c'est un véritable succès de la Cour sur ce plan là, et tellement que la Cour subit ce que de nombreuses Cours subissent, à savoir un certain engorgement de la Cour européenne des droits de l'homme qui croule sous les recours individuels.
Pour essayer de réguler l'afflux des affaires, la Cour européenne des droits de l'homme a instauré un délai de saisine qui a été restreint. Avant, à compter de l'épuisement des voies de recours, le plaideur avait six mois pour porter son affaire devant la Cour européenne des droits de l'homme et désormais le délai a été réduit à quatre mois. On espère ainsi peut-être que certains plaideurs seront découragés et ne saisiront pas la Cour européenne des droits de l'homme.
Sanction
Il n'y a pas de police internationale coercitive qui peut venir forcer l'État à respecter la condamnation prononcée, et en réalité ça n'existe pas de manière générale et ça n'existe pas plus pour la Cour européenne des droits de l'homme.
Ce que prévoit le texte de la Convention, c'est son article 46, qui dit que "les États contractants s'engagent à se conformer aux décisions de la Cour dans les litiges auxquels elles sont parties". Donc c'est un engagement purement moral de faire cesser l'illicite et de respecter la décision de la Cour, ce qui n'est pas extrêmement coercitif comme engagement.
Évidemment, les principaux États signataires de la Convention craignent la réputation que peuvent leur faire les condamnations par la Cour européenne des droits de l'homme. Et, le plus souvent ils vont respecter ces décisions et donc mettre leurs droits en conformité. Mais s'ils ne le faisaient pas, la Cour européenne a peu de moyens de les y forcer parce que le seul moyen qui est prévu c'est une sanction financière.
Il est possible que la Cour européenne des droits de l'homme demande à l'État de verser une compensation financière du fait de la violation mais en réalité, là encore, il n'y a pas de moyens de forcer l'État à payer.
Donc si l'État paye, tant mieux, si l'État ne paye pas, il n'y a pas véritablement de moyens de le forcer si ce n'est un moyen encore une fois diplomatique et réputationnel, parce que l'État n'a pas trop envie d'être montré du doigt comme étant celui qui a été condamné et qui ne s'exécute pas. Mais hormis cette situation, il n'y a pas de pouvoir de coercition particulier.
Alors, il ne faut pas penser que cela réduise la force et la portée du rôle de la Cour européenne des droits de l'homme, qui est devenue une cour particulièrement importante en Europe; qui prononce un très grand nombre de condamnations et la France la première a été condamnée pour un certain nombre de lois.
La Cour européenne des droits de l'homme s'assure véritablement du respect des droits fondamentaux sur tout le territoire des États membres de la Convention et son rôle, grâce au recours individuel qui permet à chaque plaideur d'un pays membre d'aller la saisir, a donné véritablement un poids très important à la protection des droits fondamentaux.
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