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Chapitre II. Les caractères du service public de la justice

Ce service public doit présenter certains caractères qui sont fondés sur les principes fondamentaux posés par les lois des 14 et 26 août 1790. Pour rendre une justice de qualité, il faut respecter un certain nombre de principes, des principes qui sont issus de la Révolution Française.

Ces règles, ces principes fondamentaux constituent véritablement la colonne vertébrale d'un système judiciaire qui soit ambitieux et de qualité. Ces règles sont intangibles, elles ne sont pas négociables et elles sont vraiment au fondement de notre organisation. C'est pour ça qu'on peut les considérer véritablement comme des principes fondamentaux.

Il s'agit de l'égalité devant la justice, de la gratuité, de l'indépendance, de l'impartialité des magistrats, du caractère public de la justice ou encore de la continuité de la justice ou de sa collégialité.

Section 1. L’égalité

Sous l'Ancien Régime le juge variait selon le corps social auquel appartenait le justiciable : si l'on était noble, on était jugé par des juridictions nobles, sénioriales; si l'on était du clergé, on relevait des juridictions ecclésiastiques; si on provenait du tiers état, on relevait encore d'autres juridictions. Donc selon le statut social, on avait une juridiction qui nous correspondait.

Cette façon de faire créait une inégalité devant la justice, parce qu'on pouvait imaginer qu'un noble qui jugeait un autre noble avait un parti pris, sans doute, pour le noble contre l'autre personne. Ces privilèges de juridiction ont été abolis lors de la Révolution Française.

Et cette abolition, on la retrouve à la fois dans la Déclaration des Droits de l'homme et des citoyens de 1789, mais aussi dans la loi des 16 et 24 août 1790, et même dans un traité international, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques des Nations Unies du 16 décembre 1966, qui interdit aussi tout privilège de juridiction.

Ainsi, il y a une égalité pour tous devant la justice, égalité entre les justiciables devant la justice. Mais pour que cette égalité devant la justice soit respectée, en réalité, il faut s'arranger pour que trois principes soient respectés.

D'abord, il faut que tous les justiciables soient jugés par les mêmes juges, par des juges identiques. Il faut aussi qu'ils soient jugés selon des formes identiques. Ce sont les deux principes fondamentaux pour préserver finalement l'égalité de tous devant la justice. Néanmoins, il demeure, certains obstacles à cette égalité pour tous devant la justice.

Des juges identiques

Il ne faut qu'aucune discrimination fondée sur la qualité de la personne ne soit possible : qu'on soit chef d'entreprise, qu'on soit professeur d'université ou qu'on soit boulanger, si l'on divorce, on va tous devant le même juge.

Il n'y a pas de différence entre les personnes et entre les juges : c'est l'interdiction du privilège de juridiction.

Cela n'empêche pas d'instaurer au sein du système judiciaire et d'assurer quand même l'égalité pour tous devant la justice, d'instaurer des juridictions spécialisées, et d'ailleurs il existe en France, dans l'ordre juridictionnel judiciaire français, des juridictions spécialisées qui concernent certaines matières.

Mais il y a une différence fondamentale parce que la juridiction spécialisée ne dépend pas de la qualité de la personne, qu'elle soit noble ou ecclésiastique, mais elle dépense de la matière qui est à la base du conflit.

  • Il existe par exemple en juridiction spécialisée les tribunaux de commerce. Les tribunaux de commerce sont chargés de tous les affaires, de droit des affaires justement, qui concernent les commerçants, les affaires commerciales. Que vous soyez une société, un auto-entrepreneur ou un commerçant, tout litige sera porté devant le tribunal de commerce.
  • De la même manière, il existe une juridiction spécialisée pour toutes les affaires qui relèvent du droit du travail, du droit social : ce sont les conseils de prud'homme, qui sont chargés de régler toutes les affaires, toutes les litiges qui opposent un employeur à un employé. De la même manière, ici l'égalité est assurée, parce que, quel que soit l'employeur, il doit aller devant le conseil de prud'homme; quel que soit l'employé, il doit aller devant le conseil de prud'homme.

Il faut néanmoins ajouter une juridiction spécialisée, particulière, qui ne tient pas cette fois-ci à la matière, mais qui tient bien à la personne du justiciable, qui est une exception quant à la non discrimination selon la qualité de la personne : c'est la justice pour les mineurs.

Il y a une discrimination en France entre la justice pour les majeurs et la justice pour les mineurs, parce que les mineurs ont besoin d'une protection particulière, et donc il y a une justice, et notamment une justice pénale des mineurs, qui est propre à cette catégorie de personnes en raison de la protection qui les nécessaire d'accorder à ces mineurs.

Des formes identiques

L'égalité devant la justice passe par la forme même du procès. Cette idée est théorisée sous le nom de l'égalité des armes entre les parties au procès. Cela signifie que chaque partie au procès doit être placée dans une égalité procédurale.

Par exemple, si une partie est totalement privée de l'accès aux pièces du dossier, alors que l'autre partie, elle, a l'accès à toutes les pièces, la partie qui n'a pas accès aux pièces ne va pas pouvoir se défendre aussi bien que la partie qui a accès à toutes les pièces.

Cela permet de comprendre pourquoi l'égalité procédurale est absolument primordiale pour assurer l'égalité des justiciables devant la justice.

Au-delà de l'égalité des armes, qui permet une égalité procédurale entre les parties, c'est l'idée que le procès doit respecter le principe du contradictoire. Les parties doivent avoir une égale connaissance des arguments et des pièces de l'autre, et qu'elles doivent pouvoir y répondre chacune. On peut répondre aux observations de l'autre, on peut répondre aux documents de l'autre, etc. Et c'est cette égalité procédurale qui permet d'assurer l'égalité devant la justice.

Les obstacles à l’égalité

Le principe de l'égalité pour tous devant la justice rencontre toujours, toujours à l'heure actuelle peut-être, de façon même exacerbée sur certains points, des obstacles.

Si, dans les principes, en théorie, l'égalité devant la justice est préservée, parce qu'on accorde des juges identiques, parce qu'il y a une égalité procédurale, d'un point de vue effectif, en pratique cette égalité est parfois mise à mal.

En effet, il y a des obstacles sociologiques. Il peut y avoir une barrière sociale qui existe entre le juge et les justiciables, et notamment dans des milieux plus modestes, on peut hésiter pour tout un tas de raisons, que ce soit des raisons financières, des raisons de méconnaissance.

On peut ne pas refuser finalement de saisir le juge pour tout un tas de raisons. Et finalement, ça rend les grands principes d'égalité, certes toujours beaux, mais assez peu effectifs en pratique : pour une certaine frange de la population, la justice reste assez mystérieuse et assez lointaine.

C'est pour ça qu'un certain nombre de procédés, de mesures, ont été adoptés pour essayer de rapprocher le justiciable de la justice. Cela peut se faire par exemple par la mise en place de maisons de justice et du droit qui vont informer les justiciables sur leurs droits, des informations juridiques sur leurs droits, sur la façon dont on peut saisir un tribunal, etc.

Il y a également le développement de procédures orales. Le principe devant les tribunaux, c'est qu'il y a une procédure écrite. Mais la procédure écrite nécessite le plus souvent le recours à un avocat, ou en tout cas lorsque l'assistance d'un avocat n'est pas obligatoire, de pouvoir manier le verbe et l'écrit de manière suffisante pour défendre son dossier, ce qui n'est pas à la portée de tout le monde. Et donc dans certains cas, on privilégie une procédure orale qui facilite la procédure, qui l'allège et qui permet de défendre son dossier parfois plus facilement.

Parfois aussi, on facilite la procédure en renonçant à l'assistance obligatoire d'un avocat. Ce n'est pas toujours un service rendu aux parties, mais encore une fois, le coût que peut représenter un avocat peut être un obstacle à la saisie d'un tribunal; si on peut se présenter seul et défendre seul son dossier plutôt qu'en ayant recours à un avocat, cela peut faciliter et lever les obstacles, et permettre d'assurer d'une certaine manière l'égalité devant la justice.

Il y a un dernier obstacle, et non des moindres, à l'égalité devant la justice, c'est la question du coût, la question du coût du procès : la justice est gratuite, ça ne veut pas dire qu'elle est peu coûteuse.

Section 2. La gratuité

À l'origine, le problème de la gratuité de la justice concerne la question du salaire du juge. La justice est considérée gratuite si on ne paye pas le juge. En France, la justice est dite gratuite justement parce que les plaideurs n'ont pas à payer le juge.

Il faut savoir que ça n'a pas toujours été le cas et qu'avant l'abolition des privilèges et de certaines règles au moment de la Révolution Française, il y avait un principe qu'on appelait la vénalité des charges de la judicature : à l'époque pour être juge, il fallait payer une charge, comme les notaires actuellement doivent acheter leur charge, leur étude notariale. À l'époque, on achetait une charge de juge, c'était donc assez coûteux pour la personne qui voulait devenir juge; en contrepartie il fallait qu'il soit payé, par les plaideurs.

Pour la petite anecdote, la somme qu'on versait aux juges à l'époque, donc avant la Révolution Française, sous l'Ancien Régime, on appelait ça les épices, parce qu'il était de coutume que le juge ne soit pas toujours payé en monnaie sonnante et trébuchante, mais parfois il était payé avec des dragées, des confitures, des vrais épices, qui, à l'époque, étaient des denrées rares, ou précieuses.

Au moment de la Révolution Française et lors de la nuit du 4 août 1789, on abolit la vénalité des charges. Les magistrats n'achètent plus leurs charges et on va s'installer dans un système où le juge sera in fine fonctionnaire comme il est aujourd'hui, c'est-à-dire payé par l'État et où le plaideur n'a plus à payer son juge.

Ainsi, la justice est bien gratuite en France. Néanmoins, dire que la justice est gratuite ne résout pas toutes les difficultés : en réalité, à côté de la question qui est certes très importante du salaire du juge, il y a d'autres frais qui sont générés par une action en justice, par un procès.

Ces frais reposent essentiellement sur les plaideurs, ce qui fait que cela pose un problème, une difficulté en termes d'accès à la justice.

Un exemple : vous achetez un ordinateur, un nouveau téléphone et le vendeur a inséré des clauses abusives dans le contrat ou il y a une pratique commerciale trompeuse. Votre ordinateur a coûté quelques centaines d'euros, peut-être quelques milliers d'euros. Est-ce que vous avez envie véritablement d'engager une action justice ? Certes, vous n'aurez pas à payer le juge, mais il va falloir payer l'avocat, il y a des frais supplémentaires et la question de l'utilité de dépenser autant d'argent (avocat, frais divers) pour finalement un litige qui lui n'est pas d'une somme très élevée. Il y a en réalité une question d'accès à la justice, parce qu'on peut se priver d'un procès en tenant ce raisonnement.

Donc même si la justice est gratuite au sens où on ne paye pas le juge, la question des autres frais qui sont engagés lors d'un procès sont extrêmement importants. Certaines personnes ne sont pas capables d'engager ces frais, n'ont pas les revenus nécessaires pour engager ces frais. L'État français a mis en place ce qu'on appelle une aide juridictionnelle qui permet aux gens qui n'ont pas les revenus suffisants d'accéder quand même à la justice.

La notion de frais et dépens

Les honoraires d'avocat

Au moment de la rencontre de l'avocat, les frais sont négociés. Les honoraires sont variables d'un avocat à l'autre, mais aussi en fonction du temps qui est nécessaire à consacrer au dossier. Ces frais d'avocats sont à la charge du plaideur, c'est-à-dire de celui qui l'engage en principe.

Les frais autres : émoluments, débours, taxes

Il y en a trois principalement, les émoluments, les débours et les taxes.

Les émoluments désignent tous les prix des actes de procédure. Lors d'un procès, il y a un certain nombre d'actes de procédure à faire, donc par exemple des actes d'huissier pour l'assignation, par exemple; il y a aussi des actes de rédaction de conclusion d'avocat. Ce prix est fixe, il est fixé par voie réglementaire et cela s'ajoute aux frais, aux honoraires d'avocats.

Les débours sont tout simplement le tarif du déplacement de l'avocat, les frais de déplacement des avocats.

En effet, si vous habitez une petite ville qui n'a pas de tribunal, l'avocat va devoir se déplacer; ou alors en cas d'appel, si la cour d'appel ne se trouve pas dans la ville de résidence, l'avocat doit s'y rendre : ses frais sont aussi à la charge du plaideur et il s'appelle les débours.

Les taxes sont les frais qui sont les plus discutables parce que l'État, donc le Trésor Public, perçoit sur un certain nombre d'actes des taxes. Par exemple, quand on introduit appel, donc quand on fait appel, il y a une taxe. Ces taxes sont souvent critiquées, d'une part parce que ce sont des impôts, mais aussi parce que c'est finalement un moyen de rendre la justice payante, là où on nous dit que la justice est en principe un service public gratuit.

Les dépens

Ces frais, émoluments, débours, taxes sont à la charge du plaideur, certes, mais il existe une règle particulière, c'est finalement qui supporte les frais à la fin : c'est la notion de dépens.

Les dépens, c'est l'ensemble des frais donc qui sont supportés par la partie perdante du procès. Il est, en principe, prévu par le code de procédure civile, c'est son article 696, que "la partie perdante est condamnée au dépens", c'est donc le principe, "à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge de l'autre partie".

Ainsi, il y a un principe : la partie qui perd le procès va, en fait, assumer les dépens, c'est-à-dire l'ensemble des frais que, mais que le juge, et il a un pouvoir souverain en la matière, a le moyen de moduler cette règle et en fait de répartir les dépens entre les deux parties et même de les mettre à la charge de la partie gagnante, le cas échéant.

L’aide juridictionnelle

Ces frais de justice peuvent être importants et certaines personnes, en raison de revenus limités, n'ont pas les moyens d'agir en justice, ce qui est extrêmement grave du point de vue de l'accès à la justice et cela suscite de graves difficultés. Et donc a été mis en place ce qu'on appelle l'aide juridictionnelle.

L'aide juridictionnelle est une institution qui permet à des personnes qui sont démunies, avec des ressources insuffisantes, d'être dispensées d'avoir à payer les frais et les honoraires des auxiliaires de justice pour plaider devant les tribunaux.

Les conditions

La première condition est une condition de ressources. Il y a un seuil qui est révisé chaque année et en deçà duquel l'aide juridictionnelle donc peut être obtenue. Par exemple, en 2020, l'aide juridictionnelle totale était accordée aux personnes qui gagnaient mensuellement moins de 1700 euros. Cela permettait une aide juridictionnelle totale.

Ensuite, il y a des seuils différents et on peut obtenir, si on gagne un peu plus que la somme indiquée, une aide juridictionnelle qui est simplement partielle et pas totale.

Cette première condition est une condition objective.

La deuxième condition est plus subjective car le bureau d'aide juridictionnelle, donc le bureau qui est en réalité chargé d'apprécier si la personne peut obtenir l'aide juridictionnelle doit apprécier si le plaideur, la personne qui demande l'aide juridictionnelle, a une demande en justice qui soit sérieuse. C'est assez difficile à évaluer parce qu'évidemment le bureau d'aide juridictionnelle ne peut pas se substituer au juge. Il ne peut pas dire "le plaideur a raison, il va gagner donc je lui accorde l'aide juridictionnelle", ou "il a tort, il va perdre donc je ne lui accorde pas l'aide juridictionnelle".

L'idée ici est juste de vérifier que la demande ne soit pas farfelue, totalement hors des clous, mais à partir du moment où la demande est un tant soit peu sérieuse, qu'elle est motivée, l'aide juridictionnelle peut être accordée.

Les effets

Une fois que ces deux conditions, conditions de revenu et conditions de sérieux de la demande, sont remplies, l'aide juridictionnelle est accordée. Le principal effet est que, lorsque le plaideur bénéficie de l'aide juridictionnelle, il va être dispensé d'avancer tous les frais liés au procès; ce n'est pas qu'il va payer et qu'on va le rembourser, il est dispensé d'avancer les frais, ce qui est beaucoup plus avantageux pour le plaideur et en termes d'accès à la justice. Il est donc dispensé des honoraires d'avocat, des émoluments, des débours, des dépens, de tous les frais qu'il était susceptible d'avoir à supporter.

Dans le cas où le plaideur de l'aide juridictionnelle gagne, c'est l'adversaire qui devra payer les frais et les dépens, mais au lieu de les verser au plaideur, qui n'a rien payé vu qu'il a été dispensé d'avancer les frais, le perdant devra rembourser le Trésor Public car c'est lui qui a avancé les fonds nécessaires au procès. Si le demandeur, celui qui a obtenu l'aide juridictionnelle perd son procès, normalement, la partie perdante doit payer les frais et les dépens - mais ici, il n'en a pas les moyens. Dans ce cas, le plus souvent, le tribunal va en réalité alléger les frais qui lui incombe et le gagnant, très souvent, même s'il a gagné, devra lui assumer les frais ou les dépens, en tout cas une grande partie de ses frais et dépens.

Section 3. L’impartialité

Avant de commencer, il est important de bien distinguer entre l'indépendance de la justice et l'impartialité. L’indépendance se rapporte à l’absence de lien structurel entre le juge et une autre entité ou autorité qui pourrait exercer une pression sur lui.

  • Magistrature assise : Les juges du siège, également appelés magistrats assis, sont totalement indépendants et inamovibles, donc protégés de toute pression.
  • Magistrature debout : en revanche, la magistrature du parquet, ou magistrature debout, est en relation de dépendance avec l'autorité de tutelle, notamment le ministre de la justice, le Garde des Sceaux.

Aujourd'hui, nous abordons une question différente : l'impartialité, qui implique l'absence de parti pris, de préjugé ou de préférence personnelle du juge sur l'affaire.

L’impartialité est une exigence de neutralité. Personne ne souhaite qu’un juge prenne parti pour l’une des parties sans analyse objective des règles de droit. Le travail du juge est d'appliquer ces règles pour trancher un litige de manière objective.

L’impartialité du juge est donc un caractère essentiel du service public de la justice. Elle est garantie par le Code de l'organisation judiciaire et internationalement protégée par des conventions telles que la Convention européenne des droits de l’homme (article 6, paragraphe 1).

Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bienfondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle.
Article 6, alinéa 1 (extrait) de la Convention européenne des droits de l’homme 

L’impartialité comporte deux aspects :

  • Impartialité personnelle : elle concerne l’opinion personnelle que le juge pourrait avoir en raison de sa connaissance des parties ou de l'affaire.
  • Impartialité fonctionnelle : elle résulte de fonctions qui ont amené le juge à traiter l'affaire auparavant, compromettant ainsi son objectivité.

L’impartialité personnelle

Des éléments personnels peuvent rendre un juge partial, notamment :

  • Intérêt personnel : par exemple, un juge ne peut pas statuer sur son propre divorce ou sur un litige concernant un bien immobilier dont il est copropriétaire.
  • Relations avec les parties : les relations amicales, familiales, sociales ou professionnelles avec les plaideurs ou leurs avocats posent également problème. Ainsi, un juge qui serait le père de l’avocat d’une des parties pourrait être perçu comme partial.

Le Code de l'organisation judiciaire, article 11-6, détaille les situations dans lesquelles un juge doit se retirer, comme lorsqu'il a des liens familiaux ou conjugaux avec les parties.

L’impartialité fonctionnelle

Certaines fonctions précédentes peuvent compromettre l'impartialité d'un juge. Par exemple :

  • Un magistrat qui a statué sur une affaire en première instance ne peut pas juger la même affaire en appel (si le magistrat a changé de poste), car il a déjà une opinion sur le dossier.
  • En matière pénale, un juge d'instruction ayant renvoyé un suspect devant les tribunaux ne peut pas ensuite siéger à la cour d’assises pour le juger, car il a déjà pris une position.

L’impartialité fonctionnelle garantit ainsi qu’un juge apporte un regard neuf sur chaque affaire.

Les solutions contre la partialité

Lorsque l’impartialité est compromise, plusieurs solutions existent :

  • L'auto-abstention : le juge doit s’abstenir de siéger s'il reconnaît une cause de partialité.
  • La récusation : une des parties peut demander la récusation du juge.
  • Le renvoi de l’affaire : dans les affaires de grand retentissement local, il est possible de transférer l’affaire à une juridiction différente pour garantir l’impartialité.

Ces solutions visent à assurer l’impartialité du juge pour maintenir la confiance du public dans le système judiciaire.

Section 4. La publicité

La publicité de la justice signifie que les procès sont ouverts au public, qui peut assister aux audiences. Peut-être que certains d’entre vous, en tant qu’étudiants en droit, ont déjà observé un procès ou une audience dans une salle de tribunal.

La publicité de la justice garantit que le processus judiciaire est transparent, visible de tous, et sans rien à cacher. Cela permet de dénoncer d’éventuelles défaillances, renforçant la confiance dans le service public de la justice. Elle est inscrite dans la Déclaration universelle des droits de l’homme (article 10) et protégée par la Convention européenne des droits de l’homme (article 6, paragraphe 1).

Les fondements de la publicité

Historiquement, la justice a toujours été publique :

  • Rome antique : la justice se rendait sur le forum, place centrale de la ville.
  • Moyen Âge : les rois et seigneurs rendaient justice dans la salle commune du château.

Aujourd’hui, cette tradition est maintenue pour garantir que la justice soit accessible et transparente.

Toute personne a droit, en pleine égalité, à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal indépendant et impartial, qui décidera, soit de ses droits et obligations, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle.
Article 10 de la Déclaration universelle des droits de l'homme 

Les contours de la publicité

Bien que la publicité soit primordiale, elle ne s’applique pas à toutes les phases du procès.

La publicité respectée

La publicité est essentielle dans deux moments du procès :

  • L’audience : les débats sont publics, permettant aux citoyens d’observer le déroulement du procès.
  • Prononcé du jugement : le jugement doit être rendu publiquement, bien que les documents soient anonymisés pour protéger la vie privée des parties. La décision sera ensuite consultable à l'écrit par tous auprès du greffe, et de nombreuses décisions sont désormais consultables en ligne grâce à l'Open Data.

Jusqu'à récemment, l’enregistrement vidéo de l'audience était strictement interdit, sauf pour des procès historiques (Klaus Barbie, l'affaire du sang contaminé, l'affaire Maurice Papon, le procès de l'explosion de l'usine AZF, le procès de la dictature chilienne...). Cependant, une loi du 22 décembre 2021 autorise l’enregistrement à des fins pédagogiques, informatives, culturelles, ou scientifiques. Par exemple, l’émission Justice en France, sur un partenariat entre le ministère de la justice et France Télévisions, diffuse des procès enregistrés pour éducation publique.

La publicité écartée

Dans certains cas, la publicité n’est ni utile ni appropriée :

  • Actes et consignations : il n'y a pas de publicité des écritures, des actes de procédures, les assignations, les consignations, etc. parce que cette publicité ne serait pas vraiment utile.
  • Affaires sensibles : les procès menaçant l’ordre public et la sécurité nationale, comme par exemple, le procès dans les affaires de terrorisme, mais aussi ceux impliquant des mineurs, ou touchant à la vie privée (comme les divorces) se tiennent à huis clos ou en chambre du conseil, sans public.
  • Délibéré : le délibéré, moment où les juges discutent en privé pour trancher le litige, reste secret. Ce secret protège les juges de pressions extérieures et préserve l’indépendance de leur décision.

Ainsi, ce quatrième caractère de la justice, la publicité, assure transparence et confiance dans le système judiciaire.

Section 5. La continuité

La justice est une mission régalienne, partie intégrante de la souveraineté de l'État, tout comme la police ou l'armée. Mais la question se pose : la justice doit-elle être exercée en continu ?

En France, contrairement aux systèmes nord-américains où les tribunaux fonctionnent par sessions, le service public de la justice est continu. Cela signifie que les tribunaux siègent toute l'année, du 1er janvier au 31 décembre, conformément au Code de l'organisation judiciaire.

La permanence et la continuité du service public de la justice demeurent toujours assurées.
Article L111-4 du Code de l'organisation judiciaire 

Bien que la justice soit continue, cela ne signifie pas que les juges siègent sans interruption. Le président du tribunal organise des permanences, notamment l'été et le week-end, pour qu'un juge soit disponible en cas de besoin urgent.

Toutefois, certaines juridictions, comme les cours d'assises et le tribunal paritaire des baux ruraux, siègent par session en raison de la nature de leurs affaires. Nous détaillerons les fonctions de ces juridictions dans la seconde partie du cours, consacrée aux organes de la justice.

Section 6. La collégialité

La collégialité signifie que la justice est rendue, en principe, par plusieurs juges (formation collégiale) et non par un juge unique. Cette approche permet une décision issue d'une réflexion commune, car des juges ayant des opinions et sensibilités différentes échangent et débattent. Ainsi, la collégialité renforce l’impartialité et l’indépendance des décisions judiciaires.

En France, la justice est donc majoritairement collégiale et comporte en général trois juges, ce nombre impair permettant de trancher le litige par majorité en cas de désaccord.

Les Inconvénients de la Collégialité

Malgré ses avantages, la collégialité présente aussi des inconvénients :

  • Assumer la Responsabilité : lorsqu’ils sont plusieurs, les juges pourraient être moins enclins à assumer pleinement la responsabilité d’une décision.
  • Charge de Travail : la collégialité mobilise davantage de juges par affaire, alors que la justice française souffre d’un manque de magistrats, ce qui ralentit le traitement des dossiers. Pour pallier ce problème, le système du juge unique a été introduit pour certaines affaires, permettant ainsi de traiter un plus grand nombre de dossiers.

L’Utilisation du Juge Unique

Le juge unique, introduit pour simplifier le traitement des affaires plus simples, est aujourd’hui commun dans des domaines comme les affaires familiales ou les juges de l'exécution ou de la mise en état. Ce modèle permet d’augmenter l’efficacité du système judiciaire face à l’accroissement du nombre de dossiers.

Cependant, pour les affaires pénales graves (correctionnelles ou criminelles), la collégialité reste incontournable en raison des enjeux de privation de liberté, nécessitant une prise de décision collective.

Section 7. La responsabilité

La justice, pour remplir sa mission de service public, doit respecter des garanties et des principes fondamentaux. Cependant, la justice étant rendue par des hommes, des défaillances peuvent survenir. La question se pose alors : quelle est la responsabilité en cas de dysfonctionnement du service public de la justice ?

Dans de rares cas, il est possible de mettre en œuvre la responsabilité personnelle du juge, bien que cela soit extrêmement rare. En général, pour garantir que le juge puisse exercer sa mission sereinement, c'est l'État qui est tenu responsable en cas de dysfonctionnement.

La responsabilité de l'État pour défaut dans le fonctionnement du service public de la justice repose sur deux types de régimes : un régime général et des régimes spéciaux.

Le régime général de responsabilité

Depuis 1972, le Code de l’organisation judiciaire prévoit que l’État est responsable en cas de fonctionnement défectueux du service public de la justice. Ce régime général couvre l'activité du siège, du parquet, des greffiers, et plus généralement de tous les agents participant aux opérations d'enquête et de police judiciaire.

Deux cas de responsabilité de l'État :

  • Faute Lourde : la responsabilité de l'État peut être engagée si une faute lourde est commise par le juge, telle qu’une intention de nuire ou un mépris flagrant des devoirs élémentaires (refus de statuer, retard effectif, perte de pièces...)
  • Déni de Justice : le déni de justice survient lorsqu'un juge refuse de trancher un litige ou de se prononcer. Ce cas est également couvert par le régime général de responsabilité de l'État.

Les régimes spéciaux de responsabilité

Les régimes spéciaux concernent principalement la justice pénale, où les conséquences d’un dysfonctionnement sont particulièrement graves. Ces régimes incluent :

  • Erreur Judiciaire : en cas d’erreur judiciaire (par exemple, une condamnation pour un crime dont l'accusé est ensuite prouvé innocent), une loi de 2000 prévoit que la victime peut obtenir la révision du procès et une réparation complète du préjudice matériel et moral.
  • Détention provisoire injustifiée : la détention provisoire permet de placer une personne en prison avant son jugement, dans certains cas de figure. Cependant, si cette détention se révèle injustifiée, la personne acquittée, relaxée, ou bénéficiant d’un non-lieu a droit à une indemnisation automatique, sans avoir besoin de prouver un préjudice.